Summer - French Manucure

En pleine période rétro dans l’Hexagone, les Parisiens de Summer choisissent plutôt la voix sombre et tortueuse d’un rock français qui n’arrondit pas les angles, comme Diabologum jadis. Une lignée qu’ils sont peu à suivre, même si l’on peut citer les excellents Rhume ou Novö.

1. Sombre Timide
2. Market Core
3. Pénétration
4. Dur Facile
5. Age Christique
6. Marx Dormoy
7. Erreur Faciale
8. Salon de Coiffeur

date de sortie : 12-01-2013 Label : Autoproduction

Summer serait un peu le mec qu’on hésite à inviter à une soirée pour mettre l’ambiance et qui finira de toute façon par gueuler sa haine en titubant dans les ruelles. Une véracité, une vision de la société qui paraît détonner avec le discours post-moderne actuel, tant dans son approche d’une musique brute et bruitiste que des textes engagés peu engageants. Un groupe qui a encore l’ambition de ne pas prendre l’auditeur pour un con, avec une volonté de rendre le malaise tangible. French Manucure est un diamant noir à ne pas mettre entre toutes les mains. French Manucure n’est pas un album pour se faire des amis.

Après RDV Drague remarqué et produit par, quel hasard, Michel Cloup, le groupe continue son exploration de la misère sexuelle et sociale. French Manucure est un manifeste pour réveiller les consciences, celles embrumées par la routine, assommées par la médiocrité. Une œuvre qui saigne, la chair à vif, empreinte d’une douleur à la fois sourde et galvanisée, comme Pornography en son temps, la filiation est bien là.
On se remémore les propos de Michniak, « j’écris comme je coupe ma viande ». Un adage qui sied parfaitement au groupe, tant on ne sort pas indemne des coups de butoir du trio parisien.



Mais Summer a l’intelligence de multiplier les outils pour agresser l’auditeur sans se reposer uniquement sur les textes, avec des compostions entre coldwave, noise et musique industrielle (les très Nine Inche Nails Dur Facile ou Max Dormoy).
Une certaine naïveté, couplée à un cynisme proche de Houellebecq, auquel il emprunte le même ton détaché, permettant au groupe d’éviter le misérabilisme et d’apporter un certain humour à l’ensemble.
On est loin de la revendication appuyée, mais plutôt d’un romantisme désabusé proche du sexe sale, avec de nombreuses références à la prostitution, déjà présentes dans RDV Drague. L’amour y est souvent déceptif, décrit soit dans un registre pathétique ou critique (Market Core) ou bien au contraire fantasmé (Salon de Coiffeur). Plus que polémiste, Summer ne serait-il pas, finalement, un amoureux transi déçu ?



On pourrait qualifier l’album de « réac », mais « en réaction » serait plus juste. En réaction à son époque, à ce qu’on nous vend comme rêves de vie ou modèles de relations humaines. Le morceau d’ouverture, Sombre Timide, en est un exemple flagrant.
Mais c’est lorsque que le groupe ravale (un peu) sa bile qu’il nous touche le plus, notamment sur le meilleur morceau de l’album Age Christique, avec ses synthés plombés, sa rythmique martiale et ses guitares dissonantes.

Oppressant, froid et sans concession, touchant là où ça fait mal, French Manucure est un album qui reste ancré dans nos conduits auditifs, créant des liaisons traumatiques longtemps après son écoute. Difficile d’accès, il est reste pourtant d’une grande humanité, et à cet égard, d’une noirceur vitale.


Chroniques - 10.05.2013 par John Trent