Interview : Faune, une pop onirique et puissante

Le nouvel EP du groupe nantais Faune vient de sortir : EP#0002. Une véritable identité se dégage de leur musique et à cette occasion nous avons souhaité en savoir plus sur leur parcours.

Faune est un groupe composé de trois acolytes réunis depuis l’enfance : Edouard Tyl (chant/guitares et textes), Antoine Sapin (basse) et Jean-Christophe Baudouin (batterie, machines). Ils nous font part de leurs pensées et de leur émotions de façon rythmée ou plus mélodieuse. Ils naviguent dans un univers que l’on pourrait qualifier d’indie-pop-électro. Pour ma part, je définirai leur musique en parlant de pop onirique, intime, puissante, cinématographique et profondément humaine, avec un regard poétique masculin particulièrement éclairé sur notre monde actuel.


- IRM : Commençons par une question « bateau » : comment et pourquoi avez-vous décidé de former le groupe Faune ?

Edouard : Il y a quelques années le trio avait déjà tourné ensemble. Antoine et JC se connaissent depuis l’enfance et, à l’adolescence je les ai rejoints. Depuis, l’amitié a perduré et n’a fait que grandir entre nous. Nous avons tous les trois emprunté des chemins professionnels musicaux à notre manière mais sans jamais se perdre de vue. Antoine et moi travaillons ensemble pour des créations musicales avec notre Agence Cadence (musique pour Kenzo, Givenchy, Lancôme etc…). Suite à nos différentes compositions pour l’agence nous avions aussi des compositions personnelles et avons pu constater que nous avions de nombreux morceaux en réserve.

Antoine : De son côté JC a participé a de nombreux projets comme Gong Gong, Volleyeurs, Pedagong, Pillow Pillots… L’envie est venue très simplement de faire écouter nos morceaux en « stock » à JC. L’idée a mûri … Et puis, la discussion s’est mise en place à trois et nous avons décidé de tenter l’expérience.

JC : Les retrouvailles furent une révélation. Et automatiquement un projet s’est mis en abîme. 

- Et Faune c’est en rapport avec « LA Faune » ou l’animal mythologique « du » Faune ?

Edouard : L’animal mythologique évidemment. C’est plus le côté animal de l’être humain hybride qui fait écho, l’animalité que l’on a en nous.

JC : Oui et puis nos compositions sont toujours vécues d’une manière profonde et intense.

Antoine : C’est ça, à l’instinct. Parfois un morceau qui pourrait sembler évident pour les autres ne sera pas celui que nous choisirons de travailler car c’est l’instinct qui nous guide, l’évidence.

- Comment vous partagez-vous la « création » : écriture, compositions ? Vous travaillez toujours en groupe ou parfois de manière individuelle ?

Antoine : En fait, on part toujours de « brouillons mélodiques » qui forment la base puis la structure se monte autour. Le « brouillon » peut être très avancé mais parfois la sensibilité du brouillon prend la part première.

Edouard : En général les mots arrivent après, ancrés à l’univers mélodique du morceau. Pour concrétiser la sensation voulue du morceau.

Antoine : Les répétitions se font régulièrement entre JC  et Edouard  et ils m’envoient leurs enregistrements à Paris. Moi je les travaille de mon côté, je leur envoie mes lignes de basse et je les rejoins régulièrement pour faire des résidences de travail tous les trois.

JC : L’avantage c’est qu’Antoine a un regard plus objectif du fait de la distance géographique. Il est moins dans la frénésie de la création et l’engouement que l’on peut parfois avoir à deux. Il a une mise à distance qui permet d’avoir ce regard différent sur les morceaux. Et la force de nos relations fait que les échanges sont simples et constructifs.

- Pour commencer je vous ai découverts grâce au titre Tout est une île qui m’a bouleversée, hypnotisée. L’effet est d’autant plus fort grâce à l’esthétique du clip qui est d’une rare finesse. Et pourtant, il me semble que le titre est loin d’être si calme que l’on pourrait le penser. La guitare, la basse et la batterie sont puissantes à certains moments. Il a une âme particulière, le regard rêveur masculin, ce qui la rend d’autant plus intéressante je trouve. Ce titre a une signification particulière pour vous ?

Antoine : On retrouve toujours cet univers rêveur masculin comme tu dis dans les écrits d‘Edouard.

JC : Oui, au niveau des textes cette chanson représente totalement l’univers de Faune  mais aussi musicalement. La mélodie est composée de tout ce que l’on aime transmettre : la fièvre, le brûlant, le contemplatif, la sensualité, le tourment.

Edouard : C’est exactement ça, je pense que c’est le morceau qui résume le plus l’identité de Faune. Et qu’elle résonne en nous comme un« leitmotiv ». C’est vrai que l’inspiration dans mes écrits est toujours axée sur des sujets récurrents tels que l’organique, le charnel, la contradiction du positif/négatif, le contemplatif et avant tout je pense que ce sont toutes les oppositions qui composent un être humain, ce qui nous bouleverse, nous touche, nous remue.

Edouard, JC & Antoine : C’est ça, on aime que ça remue émotionnellement parlant.



- En revenant plus précisément sur certains textes du nouvel EP je ne peux m’empêcher de constater des thèmes récurrents : sur L’irréelle qui est un de mes titres préférés de cet EP, l’amour est le thème principal, voir même l’amour inaccessible. Je pense clairement que ce titre a tout d’un tube. Enfin il a tout pour ! L’électro, la basse, la guitare ont chacun leur place définies qui forment une vraie légèreté mais embrouillent habilement l’esprit, et il y a ce moment d’apesanteur suivi d’une batterie omniprésente portant d’autant plus la puissance des propos. Les chœurs sont envoûtants. Bref, comment vous l’avez conçu ce morceau ?

Edouard : Brouiller les pistes c’est volontaire et un de nos choix artistiques d’ailleurs. Mettre en place un effet miroir avec l’auditeur ou créer un double sens pour laisser place à l’imaginaire de chacun.

JC : Dans ce morceau il y a un réel mélange de l’intime et de la puissance donc c’est vrai qu’il a été difficile de trouver le bon équilibre.

Antoine : Mais on est toujours prêts à remettre tout en question parce que l’idée de base est de servir l’atmosphère du morceau et si elle n’est pas atteinte le travail continue. Pour pouvoir retranscrire la vérité voulue. Et pour répondre enfin à ta question, finalement ce morceau n’a pas été le plus difficile dans la création mais on l’a peaufiné en studio avec David Odlum au Studio Black Box.



- Une phrase m’intrigue dans Songe dans un bain sans rivage, c’est : « la journée est pour un tueur ». L’interprétation que j’ai faite du titre est : la difficulté d’avancer, tous les jours, malgré les plaies, les blessures et les peines. Et le propos est appuyé par la mélodie qui devient petit à petit plus sombre, noire mais parsemée d’éclairs de lueurs hitchcockiennes. Mais j’en reviens à cette question : pourquoi « la journée est pour un tueur ? » Parce que la société est tellement dure aujourd’hui qu’il faut être un tueur pour en sortir intact, sans blessures ?

Edouard : C’est exact effectivement. Il faut toujours se battre pour y arriver… et puis tu peux te noyer dans un songe, une conscience, un éveil mais tu ne peux t’accrocher qu’à cela. Alors la journée est pour un tueur veut effectivement dire qu’il faut parfois être un caïman pour s’en sortir dans nos mondes. Et le sens général de la chanson c’est que l’on peut parfois se sentir happé par les profondeurs, se noyer et ne pas avoir de rivage pour s’y raccrocher.



-  Juste après l’avant est, à l’inverse, une ode à une nouvelle vie, au changement, à se laisser happer par les plaisirs. La voix est plus douce et poussée et surtout il y a cette boucle mélodique et électronique entraînante comme une chanson qui vous reste en tête, qui vous enveloppe dans un doux rêve imaginaire. J’ai eu le sentiment que ce morceau sonnait comme une évidence et qu’il avait été « facile » à créer.

Antoine : En fait tu n’as pas totalement tort car la guitare n’a pas bougé de A à Z. Par contre tous les arrangements ont été revisités.

JC : Oui c’est vrai mais la colonne vertébrale du morceau était là dès le départ. On savait vers où on voulait aller.

Edouard : Mais il n’est pas impossible que ce soit un morceau qui soit amené à bouger, à se mouvoir en fonction des émotions scéniques aussi, on se laisse cette porte ouverte.

-  Come to me, un titre plus rock, une guitare trépidante, des paroles pressantes, une urgence, la batterie qui appuie le propos et qui se fait de plus en plus électrique, la voix qui part dans les aigus pour finir par un cri, c’est un appel ?

Ils rient et répondent en choeur : Là c’est l’animal de Faune. C’est un râle ce morceau, tout en puissance.

- Et vos influences musicales à l’origine ce serait quoi ?

JC & Antoine : Les Pixies  à l’époque de l’adolescence qui est une référence du premier groupe que l’on avait formé.

Edouard : Aujourd’hui il y a la classe de Neil Hannon dans The Divine Comedy qui peut être un exemple dans l’intention voulue musicalement parlant.

JC : Grizzly Bear.

Antoine : Departments of Eagles.

Edouard : Dominique A pour l’intelligence de ses textes, l’humanité et l’énergie qui ressort de ses albums.

JC : Ce qui nous guide dans nos influences musicales sera toujours avant tout porté sur l’intention et l’honnêteté dégagées.

- Pour finir, comment définiriez-vous votre musique ? Vous parlez de« pop dans les nuages », pourquoi ?

Edouard, JC et Antoine (lançant des adjectifs définissant leur musique tour à tour) : Parce que nous aimons les sons voilés, les fausses pistes, le trouble, l’opaque, l’indicible, rester entre l’opacité et la clarté. Créer une atmosphère entre l’apesanteur, l’élévation et la retombée, le cotonneux, l’imaginaire. La volonté est toujours d’appuyer un propos avec légèreté et élégance. Apporter de la finesse à la puissance. Et le propos sera toujours personnel, singulier et intime. Une mise en danger sur une identité réelle.

Eh bien je vais souhaiter une belle et longue route à Faune qui a de quoi bouleverser et tournebouler beaucoup d’entre nous vu le chemin que vous avez pris. Le meilleur est devant alors courrez-y !


L’EP en écoute intégrale.



Interviews - 19.05.2014 par Lilie Del Sol