Le streaming du jour #1253 : Sleaford Mods - ’Divide And Exit’

Peu importe le fait que certains magazines mainstream aient été plus rapides que nous pour se faire l’écho de Divide And Exit, ce disque caustique et enragé constitue l’un des ovnis de l’année.

On vous entend déjà vous lasser de l’emploi du terme d’"ovni musical" utilisé plus souvent qu’à son tour dans les différents webzines. Peut-être, c’est vrai, faisons-nous ici preuve d’un trop-plein d’emphase. Au regard de la formule - un sample répété en boucle, un riff, quelques effets par-dessus et le spoken word de Jason Williamson pour seuls ingrédients - il n’y a pas là grand chose de révolutionnaire.

Certes. Néanmoins, à cette époque où la création musicale est à la portée de tous, il faudra bien comprendre que ce qui importe, ce n’est pas la nature même des éléments mais bien leur qualité. A ce titre, les instrus lo-fi sans concession d’Andrew Fearn rappelant vaguement celles de The Streets constituent un formidable terrain de jeu sur lequel s’engouffre la tête la première son acolyte Jason Williamson avec une singularité justifiant l’emploi du terme d’ovni.

Atypique, le spoken word de ce dernier n’est cependant pas dénué d’influences. Son style rappelle ainsi l’incursion de Phil Daniels sur le Parklife de Blur il y a déjà vingt ans. D’accord, celui-ci était efficace avec parcimonie, entre deux refrains chantés par Damon Albarn, mais ne serait-il pas usant sur la durée d’un album ? Absolument pas. Le Nottinghamien ne relâche jamais la pression et c’est à ce prix que son flow percutant et intriguant nous tient perpétuellement en haleine. Cette efficacité vocale atteint probablement son paroxysme sur Strike Force et Tiswas.

Le duo britannique n’est en tout cas pas prêt à faire de concessions et oriente ses compositions sans accorder la moindre importance à la manière dont elles seront reçues. En ce sens, ils restaurent une esthétique post-punk à tendance anarchiste. On est ainsi accueillis avec un rot sur A Little Dirty, on pense à Aphex Twin - un autre jusqu’au-boutiste vivant dans un univers parallèle - sur Middle Men et l’on découvre avec surprise l’aspect brut(al) de certaines transitions comme la folie que constitue celle entre The Corgi et From Rags To Richard.

Quant à la pochette, elle est l’essence même du punk 2.0. On y découvre les gueules burinées des deux artistes : l’un vêtu d’un tee-shirt Umbro d’une autre époque sur lequel repose une chaîne kitsch (trop) apparente, l’autre arborant une coupe au bol comme on n’en fait plus. Aussi bien graphiquement que musicalement, les Sleaford Mods ont quelques points communs avec Jessica93.

Enfin, il conviendra un jour de se poser la question suivante : l’Angleterre de David Cameron est-elle véritablement plus agréable que celle de Margaret Thatcher ? La fracture sociale s’est-elle réduite ? A la fin des années 70, alors que l’arrivée au pouvoir de la "Dame de fer" était déjà prévisible, The Clash, les Sex Pistols ou Joy Division sortaient de nulle part et incarnaient cette vague de contestation prenant la musique comme support.

De manière paradoxale, alors que les réseaux sociaux permettent aux modes d’apparaître plus rapidement que jamais, les formations musicales faisant de la contestation de leur condition leur raison d’être ne parviennent pas à captiver une audience conséquente. Par manque de talent ? Peut-être. On pouvait en tout cas l’entendre avant la sortie du troisième disque de Sleaford Mods.


Streaming du jour - 16.12.2014 par Elnorton
... et plus si affinités ...
Sleaford Mods sur IRM