Bad Guys - Bad Guynaecology
Heavy et se déployant comme une goutte d’huile de vidange, Bad Guynaecology de Bad Guys ne prétend pas révolutionner quoi que ce soit et ça n’a strictement aucune importance. Il a les deux pieds dans le metal de la mort mais préfère parler de jolis camions jaunes volés au Toys’r’Us du coin.
1. Crime
2. Zoltan
3. Prostitutes
4. World Murderer
5. Reaper
6. Fabled Succubus
7. Motorhome
8. No Tomorrow
Faudra-t-il se fier à la pochette avant d’écouter la moindre note ? D’un côté, elle évoque une sorte de Demis Roussos du ring (renseignement pris, il s’agirait du père de l’un des mauvais garçons), tout à la fois adipeux et sculpté pour le combat, le poil lustré par la sueur, de l’autre, elle nous regarde droit dans les yeux avec un je-ne-sais-quoi de morgue et de défiance. À l’issue de l’écoute, on voit bien qu’elle illustre parfaitement ce qui se tient en-dessous. La musique de Bad Guys est tout à la fois renfrognée et enveloppée. Elle est aussi binaire, comme le noir et blanc de la pochette mais elle s’autorise tout de même quelques nuances à l’image du regard de l’athlète posé là. Des larmes de graisse s’en échappent mais dans le même temps, elle peut se montrer redoutable lorsqu’il s’agit de courir le cent mètres. Velue, hirsute et particulièrement racée, elle évoque parfois un Motörhead sous lexomil et semble alors porter sur ses épaules tout le poids du monde (World Murderer). Son écoute n’en demeure pas moins jubilatoire : gorgée de fuzz, de riffs élastiques et de tempi charpentés, elle déborde d’énergie et file à la vitesse de l’éclair. Bad Guynaecology est comme cela, approximatif et négligé, pas carré carré, voire même complètement rond mais rien n’y fait, on aime laisser ses vignettes déglinguées croiser notre empan auditif. Amalgame de sludge, de doom et de rock’n’roll (avec quelques pincées de death metal pour pimenter le tout), Bad Guys trace un segment grossier reliant les ’70s heavy et balbutiantes à leur déclinaison stoner plus actuelle en passant par quelques points typiques des ’80s, la formule n’est sans doute pas ce qu’il se fait de plus original mais n’en reste pas moins parfaitement équilibrée. Pour une dose de poil à gratter (les paroles souvent hilarantes), la même de noirceur (les riffs souvent abrupts), pour une autre de concision, son pendant dans la durée, enfin pour un zeste de gêne (on dénombre quelques vocalises proprement suspectes), le double d’adhésion. Bref, on passe un bon moment en compagnie de ces huit vignettes enregistrées « in a snake pit, in a quarry, on top of a mountain, in the desert, at night, during a thunderstorm », ce qui expliquera sans doute pourquoi les atmosphères y sont si variées.
Il faut dire que le disque est cerné par deux morceaux formidables, Crime au tout début - une tranche de vie vraiment drôle résumée par un cinglant « Now I’m a criminal/You should have bought me the truck/You fuck » - et No Tomorrow à la toute fin où Bad Guys revêt d’abord ses frusques sabbathiennes avant de se métamorphoser en héraut du death quelques dix minutes plus tard. Entre ces deux bornes, d’autres saynètes, d’autres emprunts plus ou moins assumés, d’autres taches de gras fuselées et toujours cette dynamique qui ne s’encombre d’aucune bifurcation et préfère pulvériser l’obstacle que le contourner. Reprenant exactement les hostilités là où le précédent éponyme les avait laissées en 2013, Bad Guys a toutefois musclé son jeu et sa musique se montre encore plus lourde et brutale qu’elle ne l’a jamais été, en témoignent ces Zoltan, Reaper ou Motorhome exécutés pied au plancher et ne cherchant probablement pas autre chose que le piétinement puis la pulvérisation des neurones. On y entend parfois du Melvins ou encore du High On Fire, du Torche et du Harvey Milk et même des bribes d’Iron Maiden (ou autres représentants de la fumeuse NWOBHV, Judas Priest en tête) - n’oublions pas que le groupe est anglais - mais dans une déclinaison somme toute très personnelle mettant en avant la charge punk et l’humour qui inondent le disque. Alors, certes, Bad Guynaecology a parfois un côté bourrin (à l’image de son titre) mais c’est tout à fait assumé et l’on se dit souvent à son écoute que l’on a plus affaire à des esthètes qu’autre chose puisqu’il s’avère qu’au final tout cela se montre parfaitement exécuté. En effet, si Bad Guys ne se prend jamais au sérieux cela ne l’empêche nullement de traiter très sérieusement sa musique. Du coup, on rigole beaucoup c’est sûr mais pour peu que l’on détaille les morceaux, leurs riffs sauvages, les pulsations maousses qui tapissent le moindre interstice (deux guitares qui se partagent toute la hauteur du spectre) et la batterie consciencieusement martelée sautent au visage et s’accrochent aux tympans en éliminant toute velléité de second degré ou de parodie. Si Bad Guys sonne comme cela c’est bien parce que c’est comme cela qu’il sonne et qu’il n’y a pas de calcul là-derrière. Les morceaux sont tout simplement très bien construits.
On en prend parfois plein la gueule et comme il y a suffisamment de respiration là-dedans pour reprendre son souffle, on l’écoute sans doute plus qu’il ne faudrait. C’est que Bad Guynaecology présente tous les atours du plaisir coupable et comme on n’a jamais très bien compris en quoi la satisfaction devrait être condamnable, on se fond dans le disque en beuglant à l’unisson de ses « Prostitute » et « Fuck you snakes », l’index et l’auriculaire levés vers le ciel, un grand sourire aux lèvres. Plaisir coupable ? Tu parles, plaisir tout court, oui !
Merci Bad Guys.
Vous pourrez entendre l’excellent Crime sur le Bandcamp du toujours parfait Riot Season.
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