Le streaming du jour #1546 : Alexandre Navarro - ’Anti-Matière’

"Plus rien n’est politique dans votre vie ?". A cette question posée d’emblée sur le Phosphoros initial, la voix étouffée ne répond pas aussi efficacement que les synthétiseurs modulaires desquels émane une puissance de conviction mêlée à un caractère lugubre et intriguant.

Ceux qui estiment que tout est politique verront dans Anti-Matière un disque engagé. En effet, il n’y a guère besoin de clamer sa rage dans un micro et de distiller des larsens pour être investi à ce sujet. A la contestation primaire, Alexandre Navarro préfère adopter une approche plus constructive et c’est en déclinant des océans de variations sinusoïdales que son propos prend du sens. De l’approche apaisée et minimaliste qui émane des neuf compositions de ce disque, l’auditeur peut saisir un véritable message : à l’agitation permanente qui devient la norme, peut être privilégiée une réflexion plus cérébrale. Inutile d’utiliser davantage de samples vocaux pour relayer ce sentiment.

Effectivement, Anti-Matière est essentiellement instrumental, et Alexandre Navarro s’intéresse une fois de plus à un aspect scientifique microscopique déjà apparent en 2012 sur Elements ou deux ans plus tard sur La Danse Des Substances que nous célébrions dans nos colonnes. En effet, l’anti-matière est le pendant de la matière, dont la charge est toutefois opposée. Comprenne qui pourra, ou qui aura un attrait particulier pour les sciences physiques, mais ce nouvel opus peut vraiment être vu comme le prolongement le La Danse Des Substances tant dans l’esprit que pour son nom qui aurait pu être réutilisé sur Anti-Matière tant il correspond au sentiment qui se dégage des nappes mélancoliques : les éléments au caractère parfois aquatique (Amazone) semblent se mouvoir au ralenti pour former une chorégraphie sensuelle.

Après avoir fondé l’excellent SEM Label puis DisqAN, le Girondin d’origine fait de nouveau confiance à Archipel Music, label canadien pour lequel il avait déjà réalisé les EPs Medium en 2005 puis Ame l’année suivante. Mettant entre parenthèses - au moins provisoirement - ses activités de patron de label, Alexandre Navarro peut se recentrer pleinement sur sa musique. A la manière de Komparce (Filaments), il explore les limites de l’ambient électroacoustique (les textures granuleuses de l’ovniesque Rêve-Eveil en sont l’un des sommets) qu’il a d’ailleurs étudié dans un cursus universitaire à Bordeaux et qu’il décline ici peut-être mieux que jamais. Au risque de se mordre les doigts à l’idée de prononcer une telle assertion mais, en lui permettant de se recentrer sur l’essentiel, la mise en sommeil de ses activités de producteur n’est-elle finalement pas la meilleure chose qui pouvait arriver à Alexandre Navarro ? Face à une aussi brillante réalisation, la question (est-elle politique ?) se pose en tout cas.


Streaming du jour - 29.04.2017 par Elnorton
... et plus si affinités ...
Alexandre Navarro sur IRM - Bandcamp