Lucy Railton - Paradise 94

1. Pinnevik Voir la vidéo Lucy Railton - Pinnevik
2. To The End
3. Critical Rush
4. Gaslighter
5. For J.R.
6. Fortified Up

2018 - Modern Love

Sortie le : 22 mars 2018

Paradis 94 ou Enfer 2018 ?

Violoncelliste de studio pour Bat For Lashes, Bonobo ou Jamie Cullum notamment, le moins que l’on puisse dire c’est que Lucy Railton cachait bien son jeu. Entre le portrait d’un noir profond de sa pochette et le choix d’un label, Modern Love, connu pour ses sorciers du sombre tels que Demdike Stare, Vatican Shadow, Andy Stott ou encore l’alias The Stranger de l’excellent Leyland Kirby, on avait beau s’attendre à autre chose pour son premier album qu’à de jolis arrangements de cordes frottées, on était loin d’imaginer que derrière les connotations hédonistes de son intitulé Paradise 94 se cachait l’un des disques les plus retors et cauchemardés de l’année, charriant le genre de névroses et d’abysses soniques que peu de musiciennes en solo arborent à même la peau - citons Phew, Pharmakon, Puce Mary, Moor Mother ou Susan Matthews... sans pouvoir affirmer qu’aucune d’elles ait vraiment su rivaliser un jour avec ce puits sans fond de noirceur anxiogène et de bruitisme insidieux.

Dès Pinnevik, la Britannique explore le point de rencontre d’un sound design abstrait fait de collages (les samples de verre brisé) et de motifs répétés jusqu’au vertige (les boucles industrielles aux allures de lacérations), avec les mutations les plus viscérales de l’avant-garde post-classique (les drones gothiques d’orgue lancinant). Ces dernières prennent évidemment, sur To The End, l’aspect de cordes discordantes dont le magnétisme ténébreux se frotte aux grouillements de field recordings malaisants et autres arpeggiators aléatoires à la Keith Fullerton Whitman, jusqu’à une coda de saturations et de pulsations glauques à souhait. Cette tentation du bruitisme culmine sur The Critical Rush, crissements du violoncelle et moteur à explosion évoquant un Penderecki de l’ère industrielle, dont les repères temporels volent soudain en éclats au son des synthés rétro-futuristes de sa dernière partie.

Plus minimaliste, Gaslighter est fait du même bois - celui de l’instrument à vent malmené, voire supplicié - que les fantasmagories horrifiques des nécromanciens dark ambient Kreng ou Adrian Anioł, à l’image des effets reverse lynchiens de For J.R. qui fait d’un sample de Bach à l’orgue d’église le moment de recueillement inattendu d’un disque pour lequel la nation de sacré semble constamment remise en question. Proprement flippant, Fortified Up en témoigne par son recours à la fameuse gamme de Shepard (dont tout le monde a plus ou moins entendu parler depuis la BO de Dunkerque et son illusion de constant crescendo angoissant) sur un glissando claustrophobe aux stridences oppressantes de près de 12 minutes, déconseillé aux âmes sensibles voire à tout autre type d’auditeurs que les masos que nous sommes. Vous voilà prévenus, mais loin de nous l’idée de décourager vos efforts : ce disque est tout simplement fabuleux.


( RabbitInYourHeadlights )



Disques - 22.10.2018 par RabbitInYourHeadlights
 


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