BRUCH - The Fool

Difficile de réduire The Fool, nouvel album de BRUCH, à un seul genre. On dira néanmoins très prudemment qu’il s’agit de synth-pop en expliquant ensuite pourquoi ça n’en est carrément pas.

1. The Trembler
2. The Big Boys
3. The Singer
4. Individual
5. The Underground
6. The Painter
7. Bruch
8. Fool The Fool
9. XY
10. Sweat The Crap Out
11. Gelotologie
12. In Relief
13. Mandelkern (digital + CD only)
14. The Sinner (digital + CD only)

date de sortie : Label : Cut Surface / TROST Records

Décidément, quel drôle de truc.
The Fool , quatrième album de BRUCH (aka Philipp Hanich) m’a de prime abord laissé de marbre. Choisis ton camp, camarade ! Les crooneries à la Johnny Cash, de mon point de vue, ne s’accordent que modérément à la synth-pop d’Human League. J’adore le premier, les seconds me laissent indifférent. Néanmoins, si je ne connaissais pas BRUCH jusqu’ici, je connais un peu Philipp Hanich, enfin surtout le label dont il s’occupe avec Anna Pü : Cut Surface. Du coup, je sais bien qu’il ne faut pas s’arrêter à une première impression concernant tout ce que peut sortir la maison autrichienne. L’éclectisme est le maître-mot de cette passionnante nébuleuse, avec en toile de fond une vibration post-punk qui traverse toutes leurs sorties, des plus sauvages aux plus synthétiques. The Fool appartient à cette dernière catégorie en plus d’être méchamment métamorphe, l’ADN de Cut Surface irrigue ses sillons et décidément, quel drôle de truc.
Du Human League, oui, c’est vrai, un peu. Du Suicide aussi. Et même du Bowie et plein d’autres réminiscences distillées au compte-gouttes. De la dream-pop, de la synth-wave, du post-punk, beaucoup de basse, très peu de guitares (voire quasi-pas du tout) et surtout, cette voix. Chaleureuse, parfois brinquebalante et à la limite de l’exténué mais in fine toujours dedans. Et puis aussi, ces morceaux.
Parfaitement équilibrés, ils menacent souvent de tomber dans l’emphase (The Painter), le tire-larmes outré (The Singer) ou le suspect (Individual) mais il y a toujours un petit quelque chose pour les ramener dans la justesse : une ligne de basse élégante, des claviers tristes, des beats cinoques ou des velléités exploratoires qui battent en brèche le ridicule, la platitude ou l’ennui et rendent la synth-pop de BRUCH extrêmement intéressante. Du coup, The Fool prend vraiment son temps pour se dévoiler (ce qui explique cette chronique tardive), ses côtés irritants se confrontent à des choses vraiment belles et quand débute un morceau, on se demande en permanence comment il va finir par nous accrocher.


Me concernant, je suis surtout attiré par les morceaux tangentiellement tristes et carrément patraques et ils sont nombreux : The Big Boys, The Singer, The Underground, Gelotologie, In Relief ou The Sinner dévoilent une vibration bien noire dans l’arrière-plan, leurs nappes exténuées et leurs chouettes mélodies à siffloter sous la douche s’insinuent facilement. Toutefois, ceux qui les entourent permettent à minima de les mettre en exergue quand ils ne montrent pas une nouvelle facette de l’amalgame de BRUCH. Individual m’a par exemple immédiatement posé problème : son côté primesautier, sa basse quasi-funky, la voie hachée et hululante, le côté breakbeat lorgnant vers le R’n’B, son refrain évident. Mais c’est sans compter sur son ossature très disloquée, les nappes imposantes et les vrilles suraigües qui le fracassent au sol et en font quelque chose de vraiment intéressant qui finit par s’imposer comme le reste bien que rompant avec lui.
Au final, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre et on est encore plus surpris de se retrouver accroché à un disque qui au départ ne payait pas de mine. C’est que Philipp Hanich maîtrise son sujet, ne s’interdit rien et saute sur tous les styles avec un appétit vorace, d’autant plus qu’à la fin, tout sonne comme du BRUCH et non pas comme un succédané d’autre chose. Il y a beaucoup de personnalité derrière The Fool et beaucoup de sincérité, une volonté de se mettre à poil et de livrer le tout sans calcul. C’est bien ce qui explique la grande justesse de l’ensemble alors que les moments casse-gueules ne manquent pas (la triplette tangentiellement funky Fool The Fool avec Anna Pü, XY et Sweat The Crap Out par exemple). Peu importe puisqu’à la fin, la voix grave et l’électronique donnent ce qu’il faut de chair et de substance pour envoyer valdinguer bien loin le spectre de la superficialité.
Voilà un disque qui pousse à découvrir les trois premiers et qui correspond bien à sa très graphique pochette : des couleurs mais du noir aussi, des lignes parallèles mais pas tant que ça, du chaud et du froid, un bon résumé de ce à quoi il faut s’attendre avec The Fool.

Décidément un drôle de truc... très réussi.

Chroniques - 21.12.2020 par leoluce