Chat Pile - God’s Country
Premier album de Chat Pile, l’intransigeant God’s Country est là pour un bout de temps.
1. Slaughterhouse
2. Why
3. Pamela
4. Wicked Puppet Dance
5. Anywhere
6. Tropical Beaches, Inc.
7. The Mask
8. I Don’t Care If I Burn
9. Grimace_Smoking_Weed.jpeg
Chat Pile sent le glauque et le désespéré. Parce que Chat Pile est glauque et désespéré. Rien n’est feint, pas de distance ni d’ironie : on joue ce qu’on est et on est ce qu’on joue. Les pieds bien ancrés dans son espace dégueulasse. Ici, les terrils de résidus miniers bien toxiques - "chat" pile - issus de l’extraction du zinc et du plomb qui faisait rage au nord-est de l’Oklahoma au siècle dernier. Les mines ont fermé depuis mais les montagnes de résidus sont restées là parce que... qu’est ce qu’on en a à foutre de l’environnement et de ses habitants. J’imagine aisément les conséquences que peuvent avoir ce genre de paysages, leur genèse et leur agonie, sur le psychisme quand on grandit dans leur ombre. Je suppose que quand on veut jouer de la musique, on n’a pas forcément envie de sortir sa guitare en bois et susurrer des mots doux. On fait plutôt comme Chat Pile. On encapsule les terrils malsains dans des morceaux nocifs et on expulse le tout.
Alors God’s Country sent le zinc, le plomb et le résidu toxique mais exhale ses senteurs lourdes d’une manière un tout petit peu différente que sur ses premiers EP (réunis en un seul vinyle en 2020). Pas de mue drastique à déplorer mais il me semble que Chat Pile est aujourd’hui un poil plus nauséeux encore qu’il ne l’était déjà hier et son cri primitif n’est plus qu’un cri.
Un cri profond, haché, disloqué et très dense. On pourrait le débiter au rasoir pour en détailler les strates malsaines.
Partant du noir pour revenir exactement à la même couleur, God’s Country s’enfonce dans la boue austère en lévitant à l’envers et entraîne tout ce qu’il touche avec lui. Pourtant, en lui-même, le disque n’est pas si lourd, c’est son ambiance qui l’est. Son sludge-noise-core rehaussé d’un soupçon de death agit comme un kaléidoscope chelou qui vrillerait la lumière en modifiant son spectre visible, éjectant toutes les couleurs pour n’en garder que l’absence. Dans ces conditions, même les moments les plus apaisés sonnent menaçants (Pamela ou Anywhere) et la tension est partout. De quoi inscrire profondément God’s Country sous la peau parce qu’à le lire, on pourrait croire tout cela hideux alors que ça ne l’est carrément pas.
Ça plante immédiatement le décor via Slaughterhouse, son « Hammers and grease » hurlé qui ouvre le morceau avant que les riffs carnassiers, la basse qui pèse et l’électro-batterie martiale, rigide comme une boite à rythme aux échos étranges, n’envahissent l’espace. C’est tout à la fois très industriel et très humain. Les circonvolutions détraquées de la voix participent pour beaucoup à l’établissement de cet entre-deux organico-mécanique. En sus, elle débite des textes cyniques qui flinguent et s’accordent parfaitement à ce qui les entoure (« I’ve never had to push my shit around in a shopping cart, have you ? Have you ever had ringworm ? Scabies… » ou « Thinking about killing you every day [...] Cause, you may not see me now. But, motherfucker I see you », ce genre). Les morceaux se succèdent, faussement monolithiques, parcourus de courants contraires : ça peut aller vite comme se trainer au sol, ça peut appuyer sur une répétition maladive comme changer d’idées à chaque seconde et au final, il s’avère assez difficile de cerner le tout.
C’est tout à la fois orthogonal et aéré, légèrement lancinant et tout le temps contrôlé mais pas exempt d’îlots de pure folie. Ça arrache fort mais jamais totalement, c’est complètement glauque mais c’est aussi très beau : la guitare ne se contente pas de plaquer du riff barbelé, elle arpège pas mal aussi, la basse tapisse plus d’une fois élégamment et la batterie électronique désarçonne (les tons de la grosse caisse et de la caisse claire sont assez déconcertants) et il y a quelque chose dans la voix de Raygun Busch qui magnétise fortement, une fêlure enfouie, un truc qui revient régulièrement à la surface et qui fait que je crois profondément à tout ce qu’il crie. Bref, il n’y a pas de moments en-dessous des autres et on reste agrippé à God’s Country bien après que les derniers râles ne résonnent. On comprend très vite pourquoi le disque en est déjà à sa troisième réédition alors qu’il n’est sorti que depuis quelques semaines : des intenses et torturés Why, Wicked Puppet Dance ou The Mask aux non moins menaçants Pamela ou I Don’t Care If I Burn (en mode psalmodie très très très psychopathe) jusqu’à l’ultime Grimace_Smoking_Weed.jpeg qui encapsule tout cela en neuf minutes, la sidération reste intacte tout du long et God’s Country montre une drôle de propension à aseptiser tous les disques qui l’entourent.
Il appuie sur les plaies, ne cherche jamais à séduire et ce faisant, constitue un polaroid idéal de notre époque flinguée.
Grand.
On continue avec une série sous le sceau de la diversité : dream-pop protéiforme, bass music du futur, noise rock plombé et prose ambient, jazz mélangeur, metal-indus incantatoire, field recordings équatoriaux et grand-messe de nécromancienne, hip-hop narcotique, piano manipulé, bruitisme cinématographique et techno de rave déglinguée... hasard absolu (...)
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