Fort de presque 30 ans de carrière, le Britannique Oli Heffernan a fait partie d’une demi-douzaine de groupes depuis les années 90, dont certains encore en activité. Projet à géométrie variable quoique le plus souvent solitaire, Ivan The Tolerable le voit explorer depuis le début des années 2010 une lo-fi mélangeuse des plus évocatrices, variant les formats (K7, CD, vinyle, numérique...) et sortant parfois comme ce fut le cas en 2024 plus d’une douzaine d’albums et d’EPs en l’espace de 12 mois. Au départ plutôt électrique et déglinguée, volontiers saturée et agrémentée de chant filtré, la musique à tendance psychédélique de l’Anglais s’est peu à peu détachée de ses influences post-punk pour s’orienter vers des bricolages instrumentaux plus élaborés voire cinématographiques aux entournures, lorgnant notamment sur le trip-hop et la library music.

Nocturnes, sa première sortie de 2025 (mais sûrement pas la dernière donc, comme vient déjà en témoigner ce mois-ci un Proust, Quartering aux compositions downtempo beaucoup plus longues et immersives), s’est rapidement imposé comme un cru inventif et des plus attachants, à l’image de son artwork aux couleurs contrastées quelque part entre BD surannée et art naïf. Pas de chant ici, mais un groove hip-hop toute basse en avant sur fond d’atmosphère de forêt vénusienne et d’arrangements chamber pop plus ou moins oniriques ou carillonnants (Confessionals, A Serious House), une vibe de library music jazzy/psyché très 70s (Heavy Flowers, Too Much Moonlight, Into Leaf) ou de kosmische musik organique aux textures denses et magnétiques (Silver Knife, Brain & Eye), des incursions dub bien digérées et autres samples radiophoniques (Redcaps, Scentless Weightless, The Long Hills), le tout au service d’un univers singulier devant autant au Ninja Tune 90s (Funki Porcini notamment) qu’aux compositeurs exotica ou pourquoi pas aux guitares sinueuses et aux percussions boisées de Tortoise et à la manière qu’ont ces derniers de les télescoper avec des influences electronica plus abstraites.

La fausse simplicité du projet fait mouche, ne dévoilant qu’au gré des écoutes répétées toutes ses subtilités, mais c’est surtout son charme si particulier qui nous fait déjà revenir régulièrement vers Nocturnes, cette ambiance de rêve éveillé pas complètement rétro ni vraiment expérimentale mais définitivement à distance des modes et des réalités du monde qui nous entoure, telle un cocon de chaleur analogique et de pure imagination aux conforts enivrants.