Ural Umbo - Fog Tapes
La musique évocatrice d’Ural Umbo exhale à nouveau de très belles atmosphères. Sorti en catimini la même année que le précédent et suivant le même sillage, Fog Tapes est une confirmation.
1. Ghost Cell
2. Speed Of The Light In Vacuum
3. Background Value
4. Indefinite Outline
5. Self-Appointed
6. Non-Physical Contact
7. The Mediums Feed
8. Glory Humus
Attention, ce disque est à classer au rayon expérimental. Non, ne partez pas tout de suite en courant. Restez au moins jusqu’à la fin du premier paragraphe. D’abord, la pochette, preuve que ce duo est animé par la volonté de ne laisser que des miettes au hasard. Tout y est planifié avec le plus grand soin, pesé, posé, réfléchi. Toujours Rik Garrett, toujours ces créatures aqueuses, éthérées, de la surimpression en noir et blanc. Et gris. Un visuel travaillé donc, mystérieux, et qui colle parfaitement à la musique développée par Ural Umbo. Comme le précédent, l’objet est superbe et montre qu’il ne s’agit pas là d’un simple disque de plus. Non, là, il s’agit bien d’une œuvre qui explore plusieurs pistes. Une identité visuelle forte, une identité sonore qui l’est tout autant. Fog Tapes succède à l’éponyme sorti la même année, tout juste quelques mois avant mais sur un autre label. Cette fois-ci, c’est chez Hinterzimmer Records que l’on peut se le procurer (exclusivement en vinyle) et le moins que l’on puisse dire, c’est que rien n’a vraiment changé. Toujours cette même ambiance particulière, grise, lourde, indéfinie, vraiment à part. Toujours cette grande élégance. Ural Umbo poursuit son bonhomme de chemin, visant la maîtrise totale de la formule développée sur son premier album mais fait aussi un peu plus que cela. Cette formule, le duo la développe et l’explore. N’hésite pas à tisser des traits sombres depuis son noyau central inquiet et atavique. Sur cet opus, une vision d’ensemble devient possible, les contours sont moins diffus bien que la musique du duo reste difficile à décrire, à étiqueter. Elle navigue à vue entre métal exhalant quelques poussières de doom dans ses intentions, drone languide et ambient sombre dans sa forme mais avec pas mal de déviances étant donné qu’une multitude d’instruments et procédés (cors, kalimba, synthétiseurs divers, électronique variée) viennent renforcer l’arsenal instrumental associé normalement aux genres sus-cités. C’est à ce niveau que le duo se fait expérimental : il désarçonnera les fanatiques de tout poil, pas assez métal pour les uns, bien trop pour les autres, trop lent, trop rapide, trop long, trop court, etc.
Mais cela n’a aucune espèce d’importance.
Ne pas oublier qu’Ural Umbo réunit une paire de musiciens aguerris, à cheval sur un nombre incalculable de projets, touchant à tous les genres avec un plaisir et un aplomb inébranlables : Reto Mäder (guitare basse, cordes, orgue, synthétiseur, cor, percussions, bandes, électronique) et Steven Hess (batterie, percussions, électronique, bandes). Plus rien à prouver, juste le besoin de jouer, d’explorer et le mélange à l’œuvre sur cet opus est si exotique qu’il n’appartient, à bien y regarder, qu’à eux. Fog Tapes, le bien nommé car enregistré directement sur des bandes analogiques mais aussi parce qu’on se dit à plusieurs reprises que si le brouillard pouvait parler, son langage s’apparenterait probablement à ce que ce disque nous donne à entendre. Des drones élégants et lents, des pièces éthérées très évocatrices qui font naître de nombreux plans-séquences dans le cerveau. Déjà bien présent sur leur opus précédent, ce qui frappe d’emblée, c’est le côté très cinématographique de l’ensemble, bande originale d’un film qu’il ne reste plus qu’à tourner et qui ne peut être, lui aussi, qu’atypique, attiré d’un côté par la description crue de la vie moderne et de l’autre par des métaphores rêveuses traduisant l’envie irrépressible de s’en évader. À moins que le Nosferatu de Murnau ne fasse l’affaire. Ou le Stalker de Tarkovsky ou les films-énigmes de Lynch. En tout cas, de l’étrange. Du sombre aussi.
L’album ne contient que huit morceaux s’articulant parfaitement. Le premier, Ghost Cell, est un enchantement, purement organique, avec une pulsation lente et répétée, la grosse caisse qui s’exprime planquée derrière le subtil jeu de cymbales. Une ménagerie orchestrale s’ébroue, se met en place lentement, se développe, prend de l’ampleur et alors que l’on s’attend à une explosion finale, tout ce beau monde quitte la scène successivement. Plus loin, Speed Of The Light In Vacuum, Non-Physical Contact ou l’impressionnant The Mediums Feed sont plus ouvertement ural-umbiens dans leur approche, les guitares en avant, trafiquées et déformées, des drones sales et amplifiés qui enveloppent tout l’espace et enferment littéralement l’auditeur dans un cocon qu’il pourrait presque toucher du doigt. C’est que cette musique modifie la perception, ajoute une dimension supplémentaire aux trois que l’on connaît déjà. Un nouvel axe inconnu, impossible à représenter par une flèche car trop diffus, un éther, un gaz. J’exagère à peine. D’ailleurs impossible d’écouter le disque en faisant autre chose, il accapare toutes les synapses. Ural Umbo est exclusif. Et lorsqu’on l’écoute, on est ailleurs et c’est complètement jubilatoire. Sans cesse partagée entre ombre et lumière, entre électronique et organique, entre explosion et retenue, la musique du duo avance, tranquille, sur un fil tendu entre les tours invisibles de ses envies. Partout des recoins anthracites qui reflètent parfois les infimes rais de lumière qui les atteignent. Cela peut prendre la forme d’une mélodie comme celle, somptueuse et très simple, qui orne Indefinite Outline par exemple : juste trois notes répétées sur des tonalités différentes, une dynamique lente et majestueuse qui s’étire sur plus de sept minutes mais salopée dans ses entrailles par nombre de bruits parasites qui apportent une note dangereuse à la luminosité et l’apaisement du morceau. C’est que cette musique a beau être totalement immersive, il ne faut surtout pas redouter la claustrophobie, l’air y entre plus souvent qu’à son tour par les multiples ouvertures que représentent les arrangements et les mélodies orchestrés par le duo et on peut donc facilement reprendre son souffle. Des atmosphères soigneusement construites, avec assez de variété pour que, souvent, on y revienne.
Fog Tapes est ainsi une très belle confirmation et de la part de tels musiciens, on ne pouvait de toute façon s’attendre qu’à quelque chose au pire d’intéressant. Quand l’expérimentation se fait aussi élégante que celle-ci, plutôt que de prendre ses jambes à son cou, mieux vaut rester là et laisser la musique couler en soi et autour de soi. Bien loin du tourisme de masse, la cathédrale sonore au style original érigée par Ural Umbo ne demande qu’à être visitée alors surtout, sans une once d’hésitation : tentez autre chose, explorez.
Magnifique, cette fois-ci encore.
Cet éponyme est peut-être le premier album d’Ural Umbo mais fait preuve d’une maîtrise incroyable. C’est que les membres de ce duo, un pied à Berne et l’autre à Chicago, appartiennent à une nébuleuse musicale expérimentée, attirée par le gris et le noir, et livrent ici un disque où le drone fraye dans les marécages poisseux de nos pensées les plus (...)
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