TV Lumière - Addio ! Amore Mio

Troisième album du groupe transalpin TV Lumière, Addio ! Amore Mio est une réussite. Portée tout du long par de belles mélodies, une voix grave et profonde et de délicats arrangements, à la fois sombre et lumineuse, simple et luxuriante, cette noise élégante aime s’habiller de velours.

1. La Condanna
2. Transoceanica
3. De Rosario
4. Un Fiore Per Il Capitano
5. La Lettera
6. A.M.A.N.O.
7. Da Quando Mi Hai Abbandonato...
8. Ago E Filo
9. Scena Muta
10. L’Ospedale Vecchio - I Sette Giri Del Corrente

date de sortie : 23-05-2011 Label : Acid Cobra Records

Sous cette pochette qui n’est pas sans rappeler le travail graphique d’un Götting se cache un disque réellement envoûtant (exactement comme peuvent l’être les bandes dessinées de Götting). Un petit coup d’œil discret au logo du label au dos de l’objet, à l’opposé du code-barre au propre comme au figuré, permet d’en savoir un peu plus. Les deux étoiles cernées d’un serpent enroulé sur lui-même et voilà que l’on se retrouve en milieu familier : Acid Cobra. Au regard du catalogue de l’élégant et jeune label, TV Lumière se placerait probablement tout près de The Somnambulist au moment de la photographie de famille. Le même goût pour les instrumentaux organiques et foisonnants, pour les ambiances troubles et interlopes, pour les voix graves et cabossées, parfaites dans leurs imperfections mêmes. D’ailleurs, on retrouve le violon de Rafael Bord sur deux titres. Et ce petit supplément d’âme qui fait toute la différence. En revanche, la musique de TV Lumière est peut-être moins portée sur l’Orient, plus attirée par les bas-fonds occidentaux, de New York aux mégalopoles déclinantes de la banane bleue européenne, peut-être moins véloce aussi, voire carrément lente.

À ce titre, La Condanna qui ouvre l’album est très représentatif de ce que réserve l’écoute dAddio ! Amore Mio, une entame tranquille, une voix de velours qui lâche ses mots avec parcimonie, au ralenti, habitant l’espace avec une belle aisance, accompagnée d’une guitare discrète qui retient ses notes et d’une batterie économe. Puis la voix se retire et laisse les instruments prendre le pouvoir, mais ces derniers ne pratiquent pas tout de suite la surenchère et tissent un canevas élégant qui s’étend sur plus de cinq minutes, dialoguant en prenant leur temps. Et c’est peut-être bien là que se situe l’une des grandes réussites de cet album, il prend son temps, œuvre par empilement, discrètement mais sûrement et chaque morceau se développe précautionneusement, prend de l’ampleur pour finalement exploser en gerbes feutrées ou prend le chemin inverse lorsque l’album préfère explorer la voie de l’implosion. Le climax est d’ailleurs toujours un peu le même, les morceaux sont souvent symétriques dans leur construction, le début s’oppose à la fin, une entame enlevée et structurée appelle un épilogue lent et presque flou (De Rosario), une introduction tranquille laisse la place à un dénouement plus cru (Transoceanica) et le disque fait ainsi preuve d’une belle diversité, de faux plats en dos d’âne, de mers d’huile en océans brisés, de chœurs célestes en murmures presque hurlés.

Et c’est vrai que les voix font des merveilles, en particulier celle, habitée, de Frederico Persichini, une voix profonde et enveloppante qui surplombe l’album de sa belle majesté. Mais cette voix ne saurait suffire et ne peut cacher le travail formidable des instruments qui se montent les uns sur les autres ou bien défilent en rangs serrés et tout cela sans jamais déborder du cadre, car une autre grande réussite de cet album est sans nul doute sa parfaite retenue, une retenue qui emmène avec elle l’élégance. Et il s’avère bien difficile de se rendre compte lorsque, dans le même morceau, l’on passe d’un canevas fatigué, semblant porter sur ses épaules tout le poids du temps qui passe à quelque chose d’ouvertement noise et habité, exposant fièrement ses hématomes et ses stigmates, excepté lorsque l’on vient de passer au morceau suivant. Un disque-montagne russe où tout progresse au ralenti et aux points d’orgue nombreux : Da Quando Mi Hai Abbandonato... rappelle les Bad Seeds de Nick Cave, on penserait presque à une chanson de Tender Prey, une sorte de Slowly Goes The Night qui bifurque assez rapidement vers autre chose, toujours en prenant son temps, balançant ses arrangements languides et troublés directement dans l’œil du cyclone sur ses dernières secondes. Ou les deux visages du diptyque L’Ospedale Vecchio/Sette Giri Del Corrente, l’un porté par un piano patraque et élégant qui se balade les mains dans les poches et l’autre qui apparaît presque sans crier gare, au terme d’un très long silence, ouvertement lo-fi, complètement dépouillé et rappelant carrément Tom Waits dans sa façon de traiter voix et percussions. Et ce n’est là que pour s’en tenir à deux morceaux tant cet album est en permanence captivant.

Addio ! Amore Mio est le troisième opus de TV Lumière après un éponyme en 2005 et Per Amor Dell’Oceano en 2008 et c’est très certainement leur meilleur aussi. Le premier à sortir sur Acid Cobra et connaissant les habitudes du patron, on est bien sûr peu surpris de retrouver Amaury Cambuzat à la production et au mixage mais pas seulement puisqu’il vient aussi prêter main forte du côté des instruments (e-bow, guitare slide, orgue, etc.) habituellement tenus par Frederico et Ferrucio Persichini (guitares et respectivement voix et piano), Irene Antonelli (basse profonde) et Yuri Rosi (batterie carrée). Et puis, entendre ces mots susurrés en italien auxquels on ne comprend pas grand chose si ce n’est l’essentiel - on s’en doute, le propos est bien loin d’être des plus guillerets - sur ces arrangements sombres et molletonnés procure une sensation vraiment intéressante, à la fois accueillante et malaisée, à l’instar des mélodies, graves mais lumineuses. Bref, le disque aime également les paradoxes et développe une musique en clair-obscur des plus efficaces qui n’ennuie jamais et suffisamment variée pour que l’on y revienne. Addio ! Amore Mio a tout le charme d’un flocon de neige en plein été ou d’une éclaircie qui vient transpercer un ciel noir et chargé. Écouter cet album, c’est un peu comme jouer à pierre-feuille-ciseaux, ce sont finalement toujours les doigts qui gagnent et qu’elles soient sages, relevées, crues, contemplatives ou quoi que ce soit d’autre, ce sont finalement toujours les chansons qui font mouche et c’est bien là une autre grande réussite dAddio ! Amore Mio : ce disque est avant tout un beau disque de chansons. Construites patiemment, artisanales et élégantes, aux ambiances fortes et à l’âme bien présente. Une réussite de plus dans le catalogue d’un label qui décidément ne déçoit pas.

Un disque fort.


Pour se faire une (petite) idée, le trailer dAddio ! Amore Mio, La Condanna avec une voix malheureusement très en retrait.

Chroniques - 23.06.2011 par leoluce