Babelfishh & Oskar Ohlson - We’d Rather Not

Sorti en septembre, We’d Rather Not résiste très bien à la pluie, au froid et au temps qui passe. Il est temps de revenir sur ce court album qui aime les paradoxes. Derrière sa légèreté se trament des choses bien plus denses qu’il n’y paraît.

1. Shovel Over Shoulderblade
2. Daily Reform
3. Never Wasteful
4. Lasting Unhealthy
5. Our Impermanence
6. Sure Handed Archer
7. Alike Our Fathers Before
8. The Shepherd’s Descent
9. The Grayest Work Day Yet
10. Miners Faint Call

date de sortie : 10-09-2012 Label : Knertz

Des petits bruits de synthétiseurs désuets dignes de l’antique carte-son d’un Commodore 64 qui se transforment parfois en boucle resserrées, des chœurs constamment iconoclastes, une caisse claire bien présente, des mélodies de poche exécutées sur un ersatz de clavier Bontempi en plastique finition fraise écrasée qui a l’air effectivement de s’y connaître question bon tempo et par-dessus ce joyeux foutoir, le flow increvable et singulier de Babelfishh. C’est sûr, comme ça, de prime abord, We’d Rather Not déconcerte. D’abord, il ne dure qu’une poignée de minutes, vingt au total, pour dix titres, le plus long frisant quand même les deux minutes trente. À peine a-t-on le temps de s’acclimater que le disque est déjà terminé. D’un autre côté, cela n’a strictement aucune importance puisqu’on y revient souvent. Ensuite, on aura beau brancher sur l’amplificateur tous les DAC de la Terre, le duo Oskar Ohlson/Babelfishh continuera à sonner irrémédiablement cheap et kitsch, mais pas au sens où l’entend quelqu’un comme Kundera par exemple. Le kitsch du duo est sans doute ironique (ce qui n’est déjà pas possible puisqu’« au royaume du kitsch tout doit être pris au sérieux », dixit Kundera) mais on y pressent plus encore un fond de sincérité. Car sinon comment expliquer des morceaux comme Lasting Unhealthy, Sure Handed Archer ou Miners Faint Call à la mélancolie acerbe derrière l’habillage positif et plutôt marrant ? Bref, lorsque l’on gratte leur surface, même très légèrement, ces dix vignettes montrent assez rapidement toute leur substance et leur profondeur. Et l’on s’en doutait à la seule vue de sa pochette, avec We’d Rather Not, les impressions sont systématiquement trompeuses. Ce qui, déjà, en fait un objet particulièrement intéressant.

Pour commencer, le hip-hop du duo est des plus efficaces : les productions d’Oskar Ohlson sont franchement inventives et on aime particulièrement sa façon bien à lui d’envoyer Mario chialer dans sa bière ou de fortement pixeliser La Joconde. Un parti pris esthétique qui s’appuie sur une philosophie less is more parfaitement maîtrisée. De prime abord tout paraît simple mais dès que l’on détaille l’architecture d’un track, on se rend bien vite compte à quel point tout est au contraire compliqué : les sons enchevêtrés, les changements constants de rythme, l’imbrication des voix et des chœurs dans des mélodies à peine suggérées, les instruments bien réels (joués le plus souvent par Ohlson lui-même) qui rehaussent le tout synthétique et ainsi de suite. Et tout cela sans compter la minutie dont fait constamment preuve Babelfishh, qu’il balance ses diatribes seul ou accompagné, toujours très à l’aise dès que le ferment où se déploie son flow se dérobe sous ses pieds. Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre, le soucis du détail est permanent et l’on comprend mieux les deux années nécessaires pour agencer les vingts minutes de We’d Rather Not. On y trouve ainsi une pléthore d’invités qui se succèdent derrière les instruments ou devant le micro (la mystérieuse Winterismyname, le déjanté Filkoe, le Papervehicle Mildew, la chorale des Allemands de Knertz ou encore Univac) et qui contribuent à densifier le propos du duo encore plus profondément. Et c’est bien en ça que le disque déconcerte : sa légèreté montre un sacré poids. Son hip-hop se gorge de pop et de rock, son imagerie pour de faux qui sonne comme du carton-pâte cache de vrais instruments et son côté azimuté et fou-fou fait preuve de beaucoup d’intelligence et de réflexion. Derrière We’d Rather Not, on trouve surtout l’envie d’offrir « a platform to exhibit their friendship with those that helped make the project possible » preuve qu’un disque entre copains n’est pas forcément synonyme de grand n’importe quoi.

Alors c’est sûr, ces dix titres ne sont pas des plus accessibles. Indéfinissables, mouvants, hésitants, pas toujours très structurés, souvent inclassables, ils demandent un certains temps d’appréhension en plus court-circuité par leur très courte durée. Il n’en reste pas moins qu’une fois apprivoisés, ils sont du genre à s’installer une bonne fois pour toutes dans la tête et à y faire pas mal de petits tours de vélo. Disponible contre dix petits euros chez Knertz, ce vinyle tiré à seulement cinq cents exemplaires contaminera de sa personnalité fantasque et déviante vos étagères trop bien rangées.

Alors, osez l’iconoclaste : « we say that we’d rather not, but, we really think that you should ». Pas mieux.


Chroniques - 05.11.2012 par leoluce
 


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