One Lick Less : "Le résultat n’était pas prémédité"

En seulement quatorze morceaux, One Lick Less s’est imposé sans peine dans ma boîte crânienne parmi d’autres mètres-étalons du genre. Quel genre ? Difficile à dire, disons, pour faire simple, que le duo se balade quelque part entre le blues, l’americana et la folk, traçant des médianes contondantes et écorchées. Jamais bien loin quand l’envie de combler les quelques silences qui jalonnent le quotidien se fait sentir, toujours proche lorsque le besoin de musique originale, élégante et sauvage devient irrépressible. C’est qu’avec & We Could Be Quiet et Spirits Of Marine Terrace, One Lick Less s’est constitué une aura de vieux sage qui inonde les moindres parcelles de son œuvre : sa parole est chiche, mais lorsqu’il parle, on l’écoute et quand il joue, on achète ses disques.

De quoi donner l’envie d’en savoir plus même si, au fond, on sait bien que l’on sait l’essentiel : One Lick Less n’est rien de plus que sa musique, ou plutôt, ne veut pas être plus que sa musique. C’est bien en ça que l’exercice de l’interview est une vraie saloperie. D’une part, lorsque des morceaux touchent à ce point, difficile de rester objectif. Ensuite, difficile d’intellectualiser le talent. Et enfin pourquoi, après tout, se poser et poser toutes ces questions quand la moindre écoute apporte bon nombre d’éclaircissements ? Du coup, on s’intéresse aux atours, on scrute les détails et on pose aussi des questions auxquelles on sait pertinemment qu’il n’y a aucune réponse. La musique du duo est épidermique, dès lors, nulle besoin de l’analyser. Mais comme on se refait pas, on tente. Parce qu’au final, on aimerait comprendre comment One Lick Less a pu accoucher d’un album de la trempe de Spirits Of Marine Terrace. S’il y a eu préméditation lors de l’édification de cette americana écorchée. Si le résultat final correspond au dessein. Bref, en gros, si le groupe sait ce qu’il crée, comment il le crée et pourquoi il le crée. Un peu la quadrature du cercle mais pourtant, Basile Ferriot et Julien Bancilhon ont pris le temps de répondre.

Patiemment.

Généreusement.

À l’image de leur musique.


Une interview de One Lick Less


Des origines...


- IRM : Comment en êtes-vous arrivés à jouer ensemble ? Pourriez-vous revenir en quelques mots sur la genèse de One Lick Less ?

Julien Bancilhon (guitares, chant) : One Lick Less a démarré comme un projet solo. Au départ je n’avais même pas l’ambition d’un quelconque "projet". A l’époque c’est Olivier Brisson qui m’a un peu poussé à faire mon premier concert dans une de ses soirées Vert Pituite.

Basile Ferriot (batterie) : J’ai découvert Julien en solo à l’un de ses concerts et je lui ai proposé qu’on essaie de jouer ensemble. Les choses se sont ensuite enchaînées naturellement.

- D’où vient votre nom ? Est-ce une référence à Faulkner ? Si oui, cela relève-t-il de l’hommage ou trouvez-vous chez lui une référence littéraire qui pourrait vous correspondre ou encore, est-ce tout simplement parce que ça sonne bien ?

J : Au départ j’utilisais le nom de Dying Crapshooter en hommage à Blind Willie Mc Tell et son Dying Crapshooter’s Blues (« dig my grave with the ace of spades ! »), puis on m’a proposé d’autres concerts et j’ai choisi le nom de One Lick Less en référence à un passage très rythmique d’un chapitre de «  As I Lay Dying  » de Faulkner. La version bilingue que je lisais à ce moment là traduisait One Lick Less par « et que j’te cogne ». Je ne sais pas vraiment quoi penser de cette traduction du point de vue du roman mais en tout cas la correspondance avec la musique me plaît beaucoup.

- Pour en venir à la genèse du son caractéristique de One Lick Less, extrêmement sauvage, était-ce une volonté délibérée et consciente de sonner ainsi ou est-ce le fruit du pur hasard qui fait que lorsque vous jouez ensemble, c’est comme cela que ça sonne ?

J : Le son est très en rapport avec la fabrication des guitares. Dès le départ, ne possédant pas de lap steel électrique j’ai bricolé un micro sur ma Weissenborn (guitare acoustique hawaïenne). Puis, à la suite de Benjamin Renard qui s’était fabriqué une slide en mécano pour notre duo, les Red Horn Cannibals, je me suis fabriqué mon premier lap steel. Après deux ou trois répétitions en formule duo (batterie/guitare), on s’est vite rendu compte que l’énergie qui se dégageait de la rencontre se heurtait aux limites de l’utilisation d’une guitare électro-acoustique. J’ai donc apporté le lap steel électrique maison sans trop savoir ce que ça allait donner : le résultat c’est ce qu’on peut entendre maintenant...

B : La musique de Julien est le point de départ de ce projet, elle existait déjà avant qu’on se rencontre. Julien avait déjà plein de morceaux plus ou moins finis. J’ai donc composé les parties de batterie comme je les sentais, puis j’ai commencé à apporter mes idées et on a retravaillé certaines structures. Pour répondre plus précisément à ta question, One Lick Less est la combinaison de toutes les choses qui ont marqué notre histoire musicale à tous les deux : le jazz, l’indie rock et le grunge, le blues, l’americana... mais le résultat n’était pas prémédité !

- On voit bien que l’on a du mal à catégoriser votre musique, pour ma part, je trouve que le terme d’americana de combat vous sied bien mais peut-être suis-je complètement à côté. Pour vous décrire vous-mêmes, que diriez-vous ?

B : C’est toujours un peu compliqué de catégoriser sa musique sans l’enfermer dans des cases. Un ami a trouvé blues mutant, on a gardé ça parce que One Lick Less c’est avant tout du blues.

J : En tout cas, ce qui est sûr c’est que c’est complètement en lien avec l’americana…

- Vous avez tous les deux un parcours musical assez riche - pour ne s’en tenir qu’à vos projets les plus connus, Xnoybis pour Basile, Red Horn Cannibals, A.K. Studs ou tout simplement son travail en solo pour Julien - One Lick Less est-il devenu votre groupe principal à tous les deux ou continuez-vous par ailleurs vos autres groupes/projets ?

J : Nous travaillons tous les deux à côté, alors en ce qui me concerne, One Lick Less a fini par prendre toute la place côté musique. Il faut dire que ce projet nous ouvre à d’autres choses : ciné concert (La coquille et le Clergyman), collaboration avec des écrivains (Gilles Amalvi, Eugene Robinson)...
Mais il y a aussi la dimension acoustique à laquelle je suis très attaché et qui reste encore trop peu explorée à mon goût.

B : Je considère One Lick Less comme mon projet principal, en tout cas c’est clairement celui pour lequel je dépense le plus de temps et d’énergie ; mais je continue de jouer avec Xnoybis, et je collabore de temps en temps avec d’autres musiciens dans des contextes plus improvisés, et aussi avec une compagnie de théâtre, Möbius-Band.

- Ce qui vous lie également, en dehors du fait que vous formez tous les deux un duo, c’est cette volonté de bricoler vos instruments : un jeu de pédales bizarre sur le tom basse pour Basile et la construction de guitares ou de pédales d’effets pour Julien. Est-ce une façon d’explorer d’autres possibilités, d’autres sonorités, peut-être moins académiques, pour vos instruments respectifs ou de vous retrouver au plus près du son juste que vous auriez en tête mais qu’une simple batterie ou guitare ne pourraient pas exprimer ou une façon d’avoir un instrument qui colle parfaitement à votre jeu ?

J : Fabriquer ses instruments, surtout en mode DIY, entraine un bon nombre de surprises. On se retrouve avec des sons qu’on n’avait pas prévus, on tombe sur des possibilités qu’on n’imaginait pas. C’est assez enrichissant, même si au fond, je sais bien qu’on reste sur des sonorités plutôt classiques. Pour avoir un peu fréquenté les milieux de harsh noise ou de musique électro-acoustique, ça me fait toujours un peu rire quand on nous attribue un côté « expérimental », même si je vois ce que les gens veulent dire.
Ce qui est intéressant avec les guitares-à-plat que je fais, c’est qu’elles sont tellement rudimentaires dans leur forme que je peux les faire varier assez facilement : leur simplicité me laisse la possibilité d’expérimenter avec un grand nombre de facteurs. Ces instruments qu’ils soient en bois ou en aluminium sont des surfaces sur lesquelles je peux mettre toutes sortes de choses : cordes de guitare, de basse, ressorts, micros, réverbération, sustainer, cordes sympathiques. L’autre jour j’étais au musée des instruments de la Cité de la Musique et j’ai été frappé par le fait que les premiers instruments à cordes étaient très inventifs et peu standardisés ; avec souvent beaucoup de cordes sympathiques. Aucun ne se ressemblait. Puis au fur et à mesure de la visite chronologique on voit les idées s’appauvrir, jusqu’à arriver à la famille classique : piano, violons, guitare, etc. Des fois j’ai un peu l’impression de faire le chemin inverse. Après coup, j’ai découvert le travail de Yuri Landman, Bart Hopkin et d’autres luthiers originaux et j’étais étonné de la proximité entre leurs instruments et les miens. Finalement, à expérimenter sur la « lutherie », on finit toujours par produire le même genre d’objet.

B : Alors moi, je ne bricole pas du tout, hein ! J’ai juste inversé la came de ma pédale pour pouvoir utiliser mon tom basse à la fois comme grosse caisse et comme tom. Mais le principe existe depuis super longtemps avec les cocktail drums. Ce qui est sûr en revanche, c’est que ce kit minimal m’amène à jouer un peu différemment que si j’étais devant une batterie complète, dans le sens où j’essaie de tirer le maximum de sons du peu d’éléments que j’ai. J’imagine qu’il y a aussi un côté bricolo dans mon utilisation de divers types de baguettes et de petites percussions (bol tibétain, archet, glockenspiel, maracas…)

- Ce qui frappe, dès le départ, c’est votre cohésion qui aboutit à une musique ayant une vraie atmosphère - un mélange de sauvagerie et d’apaisement menant tout droit à une sorte de transe subtile et élégante - comme si le groupe existait depuis des décennies alors qu’il ne s’agit après tout que de votre deuxième disque. Comment expliquez-vous cela ? Et en êtes-vous conscients ?

J : L’arrivée de Basile a pas mal bousculé ma pratique de solo. Souvent les gens parlent de nous comme d’un duo ou chacun occupe l’espace musical de façon égale. Je trouve ça assez vrai. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu une idée précise de la musique que je voulais faire. Nous avons joué, nous avons tâtonné aussi (plutôt en ce qui concerne le son et les instruments comme je l’écrivais plus haut) et ça a donné ce qu’on peut entendre aujourd’hui mais qui reste de toute façon en pleine évolution.

B : Je ne crois pas qu’on puisse expliquer pourquoi la musique qu’on fait est comme ça. Je pense qu’on a réussi à trouver une sorte d’équilibre naturel... qui repose paradoxalement sur le déséquilibre et la tension. J’ai un rapport très osmotique avec la musique de Julien, je suis dans une sorte de commentaire permanent de ce qu’il joue. Encore une fois, tout ça est assez instinctif, même si bien sûr on a beaucoup travaillé ensemble !

- Comment se construit un morceau de One Lick Less ? Des jams qui aboutissent à quelque chose de structuré, une écriture en amont ? D’abord les guitares, puis les paroles et la batterie ou d’abord un rythme auquel se greffent les guitares ou autre chose encore ?

B : Le plus souvent, Julien amène des idées, soit des morceaux déjà ficelés (c’était beaucoup le cas au début, un peu moins maintenant) et je compose la batterie par dessus, en chamboulant un peu les structures au passage, parce que je peux pas m’empêcher de vouloir triturer les rythmes dans tous les sens. Parfois, Julien a juste quelques riffs sans savoir précisément comment on va les mettre ensemble ; là on improvise et ça prend forme petit à petit. Le chant est la cuisine secrète de Julien, il arrive généralement en dernier.

J : Je suis particulièrement lent pour accoucher des morceaux. Parfois je compose deux parties qui vont bien ensemble, et je les joue plusieurs mois ou plusieurs années jusqu’à trouver autre chose… J’ai beaucoup de choses sur le feu mais il est rare que ça tourne en de réelles compositions. Parfois je montre des choses à Basile et c’est lui qui trouve comment mettre un point final, ajouter une partie, modifier un rythme, trouver une fin. Son intervention est un moment très important du travail de composition.

- Pourquoi cette volonté de chanter en anglais ? Voire de chanter tout court puisque vos morceaux laissent souvent la place à de longues digressions instrumentales dont on pourrait croire qu’elles se suffisent à elles-mêmes alors qu’au final, lorsque la voix apparaît, on se rend compte qu’au même titre que les autres instruments elle a parfaitement sa place dans l’ossature des morceaux ? Les paroles sont-elles importantes ? Y a-t-il un message ? Une fonction cathartique ? Ou cette dimension-là, si elle existe, n’est-elle présente que dans la musique ?

J : C’est vrai que les morceaux sont presque toujours composés comme des instrumentaux. Le chant vient après quand je trouve que la partie instrumentale a déjà de la gueule. Il a même été fréquent que des morceaux soient joués longtemps en version instrumentale et que petit à petit du chant vienne s’y installer.
Concernant les paroles, je chante en anglais parce que j’écoute presque exclusivement des groupes qui chantent en anglais, même parmi les français.
Je n’ai jamais particulièrement investi l’écriture du chant, et souvent j’ai repris des textes existants que je croisais au hasard de mes lectures : Silvia Plath, Shakespeare… Je me suis souvent fait aider par des amis, mais aujourd’hui, je commence seulement à penser que peut-être je pourrais donner plus d’importance aux paroles.

- D’une manière plus générale, qu’est-ce qui vous inspire ? Quelles sont vos muses ? Que trouve-t-on à l’origine d’un morceau ?

B : En ce qui concerne One Lick Less, c’est la musique de Julien qui m’inspire, c’est elle qui m’a poussé à lui proposer de jouer ensemble. Après, je peux dire que la découverte du jazz a été très déterminante dans l’évolution de ma pratique de musicien. Ensuite, le noise rock un peu math des années 90 (Shellac, Jesus Lizard, Oxbow, Dazzling Killmen...) et de manière générale tous les groupes qui arrivent à inventer des choses qui sortent un peu des sentiers battus comme This Heat, Gastr Del Sol, Cheval de Frise, Deerhoof, Colossamite, Moonshake... Enfin, les musiques improvisées /expérimentales ont également fait partie de mon parcours et nourrissent ma pratique de manière plus ou moins consciente.

J : Je ne réfléchis pas particulièrement au départ d’un morceau, je joue et les choses viennent dans un processus très lent, trop lent. Parfois c’est en écoutant mes erreurs de jeu ou en forçant l’inattendu : je me dis par exemple, « comment est-ce que je pourrais intégrer cette note qui sonne complètement faux au premier abord ? ».

- Vivez-vous de votre musique ou avez-vous d’autres activités par ailleurs ?

J : Je ne vis pas de la musique et c’est aussi bien comme ça. Je trouve déjà très compliqué de faire avancer un groupe mais alors s’il fallait multiplier les projets pour en vivre... vu d’ici ça me paraît très pénible.

B : Je travaille à temps plein dans la fonction publique. C’est un choix que j’ai fait, je n’aime pas trop l’idée que mes revenus dépendent de la musique. Devoir sans cesse courir après les concerts pour vivre est une idée qui ne me plaît pas trop.

... à Spirits Of Marine Terrace


- Pouvez-vous revenir sur la genèse de Spirits Of Marine Terrace ? A-t-elle été facile ? Avez-vous vécu votre lot de galères en tout genre ? Etait-ce comme d’habitude ? Au final correspond-t-il à l’idée que vous vous en faisiez au départ ? En êtes-vous fiers ?

J : Le problème c’est toujours, les attentes qu’on se fixe au départ. Sans faire de mauvaise blague, & We Could Be Quiet avait été plutôt tranquille : enregistré en une journée pour la musique, une soirée pour les voix. Spirits, globalement c’est un album qu’on a plutôt sué. Au niveau de l’enregistrement, on avait prévu très peu de temps. On a explosé ça bien correctement avec plein de stress…
Sur la fierté et ce genre de choses, je n’ai pas vraiment d’avis, je me laisse influencer par ce que disent les gens mais je suis sûr que si j’avais pu y passer deux fois plus de temps, je l’aurais fait. Après, il y a tout le travail du mixage qui a été compliqué mais Basile est beaucoup mieux placé pour en parler.

B : On a enregistré Spirits en quatre jours si on additionne les séances, soit deux fois plus de temps que pour & We Could Be Quiet. La différence la plus importante entre les deux disques, c’est qu’on joue la plupart des morceaux de Spirits depuis beaucoup plus longtemps (sauf Perishing Riot qui est plus récent). On est donc arrivés avec plus d’assurance et plus de recul par rapport à ce qu’on pouvait faire en studio. On a aussi essayé de s’éloigner un peu des morceaux tels qu’on les joue live, en variant les guitares (électriques et acoustiques) et en expérimentant d’avantage sur le son (la douze cordes acoustique sur HK, qu’on a passé ensuite dans un ampli avec de la disto ; les doublages de guitare sur Eyes Want, l’intro fantômatique de Unkind où Julien a utilisé uniquement les résonances des cordes par sympathie…). L’autre nouveauté, c’est que je chante un peu et que je joue du piano sur Wiegenlied. Mais je ne chanterai pas en live, en tout cas pas pour l’instant, car ça affecte trop mon jeu de batterie (c’est hyper dur de faire les deux en même temps).
Après, je préfère ne pas trop en dire, j’ai envie que le disque garde aussi sa part de mystère et de magie !

-  Spirits Of Marine Terrace, que se cache-t-il derrière ce titre ?

J : Je travaille auprès de personnes en difficulté psychique qu’on appelle parfois des fous ou des autistes et à travers ça j’ai fini par me passionner pour l’art brut et ses quelques formes plus populaires. L’exposition à la maison Victor Hugo qui s’appelait « Entrée Des Médiums » (expression empruntée à André Breton) rapprochait les productions spirites et médiumniques des productions de l’art brut. Elle présentait entre autres les activités spiritistes de la famille Hugo. Marine Terrace c’est le nom de la maison où séjournaient l’écrivain et ses proches pendant une longue période d’exil où ils s’adonnaient presque tous au spiritisme.
De nombreuses productions photographiques ou plastiques en rapport avec les médiums étaient également visibles. J’ai beaucoup aimé cette exposition et en feuilletant le livre, le titre m’est venu. A ce moment-là, on cherchait un nom qui pourrait aller avec le poisson de la pochette (qui vient d’une tapisserie chinoise). C’est surtout ce côté hétéroclite qui emprunte à plusieurs origines qui m’a le plus plu. Notre musique a un côté pot-pourri et c’est sans doute pour ça que les gens ont tellement de mal à la classifier.

- Pourquoi avoir repris ce morceau de Robert Wyatt ? C’est intéressant, l’exercice de la reprise ?

J : C’est encore Olivier Brisson qui est responsable. Je connaissais finalement assez mal Robert Wyatt et Olivier m’avait demandé de faire une reprise d’Alifib pour une compilation (si ma mémoire est exacte, en tant que bon obsédé de la reprise, il voulait faire une compilation de reprises qui avaient déjà été reprises par Pascal Comelade). Cela dit, je trouve l’exercice assez compliqué surtout sur un instrument aussi limité que la slide et s’il m’arrive de m’y essayer, je me donne finalement assez peu de mal. Il faut en fait, et c’était le cas pour Alifib, que le morceau se prête facilement à la transposition sur une slide. C’était donc un méchant coup de bol (ou une intuition étonnante du côté d’Olivier Brisson) que la structure d’Alifib se prête aussi facilement à être traitée comme un blues des plus basiques !

B : On a d’autres projets de reprises dans les tiroirs depuis longtemps (Promise Me du Gun Club, Johnny Guitar) mais on ne s’y est pas vraiment mis... Ça se fera sûrement un jour !

-  Spirits Of Marine Terrace doit-il être considéré comme un album ou est-ce encore un E.P. comme l’était & We Could Be Quiet ? On y retrouve après tout le même nombre de titres même si sa durée est plus longue. En quoi est-ce un album là où & We Could Be Quiet était un E.P. ?

B : Mais on n’a jamais envisagé & We Could Be Quiet comme un EP ! D’ailleurs, on ne pense pas vraiment nos disques de cette manière je t’avoue. La longueur de nos disques dépend de combien on a de morceaux au moment où on est prêts à enregistrer. Ensuite on réfléchit à l’ordre des morceaux, mais on s’en fout un peu de coller à un format prédéfini. Je trouve d’ailleurs dommage que la musique indé suive toujours des formats qui ont été décidés historiquement par l’industrie de la musique et les maisons de disque... Au départ, la seule chose qui conditionnait la durée d’un disque était le support d’enregistrement. Quand on aime un disque, on s’en fout un peu de savoir si c’est un EP ou un LP, non ? Aussi, j’ai toujours aimé les disques un peu trop courts, et les formats de 30 à 40 minutes, avec la petite frustration que ça génère à la fin (All Lingo’s Clamor de Colossamite ou Mirror Repair de Gastr Del Sol par exemple).

-  Spirits Of Marine Terrace sort d’abord au format numérique via bandcamp puis ensuite au format vinyle. Est-ce important pour vous le support sur lequel est couchée votre musique ?

B : Bien sûr, on est attaché au support. Rien de tel qu’un bel objet soigné pour raconter une histoire autour de la musique et stimuler l’imaginaire. J’aime les beaux objets et je suis très sensible au côté graphique, ça fait partie des choses qui peuvent vraiment donner envie d’acheter un disque, même si tu n’as pas entendu la musique qu’il y a dessus. Le vinyle pour ça est le plus beau support, parce que c’est un objet qui impose un rituel (poser le disque, faire tourner la platine, changer de face). Mais je prends aussi énormément de plaisir à écouter des choses en ligne ou sur mon ordinateur au format numérique (je streame et télécharge pas mal). En revanche, je paie très rarement pour la musique numérique.

J : Le numérique, c’est indispensable et c’est très bien. Le CD, c’est quand même pratique pour tous les gens qui ne sont pas équipés de platine. Et le vinyle, on ne le dira jamais assez : c’est la classe !

- Pourquoi justement faire en sorte que Spirits Of Marine Terrace soit d’abord disponible au format numérique via bandcamp ?

B : Le disque est sorti au format numérique en premier tout simplement parce qu’on avait envie de le rendre écoutable le plus vite possible, sans attendre la sortie physique (qui a eu du retard, c’est ça l’artisanat) mais aussi parce qu’on allait tourner et que ça nous permettait de créer un peu de nouveauté et un peu d’attente.

- Plus généralement, quel est votre sentiment sur la situation actuelle et l’avenir de l’industrie musicale ?

B : Difficile de traiter cette question en deux phrases, et ne je suis pas sûr d’être assez au clair avec tout ça pour dire quelque chose de cohérent et d’intelligent, donc je passe.

J : L’autre fois j’ai lu un article où Steve Albini chie majestueusement sur les majors. C’est Basile qui m’avait envoyé le lien en ajoutant : "Enfin bon, Albini travaille quand même avec eux". Finalement c’est peut-être ça être un vrai punk : tu prends l’argent et ensuite tu craches.

- Même si votre patte est toujours là, il me semble que la grande différence avec & We Could Be Quiet, c’est que sur celui-ci les morceaux sont bien plus longs. Etait-ce là une volonté délibérée ou la résultante d’un processus de composition différent ou est-ce que ça s’est trouvé comme ça puisque entre votre précédent E.P. et Spirits Of Marine Terrace, il y a eu pas mal de concerts, ce qui a sans doute influé sur votre patte, votre fonctionnement ?

B : On peut pas vraiment dire qu’on a radicalement changé de processus de composition. Chaque morceau a sa propre logique. Il se trouve que les nouveaux morceaux sont d’avantage fondés sur la transe et la répétition, et ont plus de parties différentes qui demandent chacune un temps de développement pour les faire vivre de façon satisfaisante.
Mais il est tout a fait envisageable qu’on refasse des morceaux plus courts.

J : J’avais pas vraiment remarqué… En tout cas, j’ai plutôt l’impression que par rapport aux concerts, les séances d’enregistrement sont des moments où on élague pas mal…

- Pour en venir à la superbe pochette, comment est-elle arrivée là ? Brian Cougar a-t-il écouté le disque pour la réaliser ou l’avez-vous choisie après coup, une fois le disque terminé ?

B : En fait, Alex / Brian Cougar a seulement fait l’impression en sérigraphie, mais c’est moi qui ai réalisé l’artwork. Je suis tombé par hasard sur ce poisson en cherchant des images pour faire l’affiche de la tournée en Chine l’année dernière. On a décidé de le réutiliser pour la pochette. Au départ, c’est un motif brodé issu d’une tapisserie traditionnelle chinoise, que j’ai redessiné et adapté.

- Votre nouvel album sort estampillé du logo de trois labels différents, à quoi cela est-il dû ? Les avantages et peut-être, aussi, les inconvénients ?

B : C’est dû au fait que ça coûte assez cher de produire un disque, et que très peu de labels aujourd’hui sont prêts à produire intégralement un groupe de rock bizarroïde qui fait 30 dates par an ! Donc, comme beaucoup de nos camarades (dont certains sont intermittents et vivent de leur musique), on fait de la coprod. Pour Spirits Of Marine Terrace, il faut quand même souligner que Les Disques De Plomb ont financé presque la moitié des coûts de production, ce qui est une grande première pour nous. C’est aussi le premier "vrai" label (au sens traditionnel du terme) avec qui on travaille, dans le sens où ils font de la promo et s’occupent de distribuer le disque auprès des disquaires. Ce qui est intéressant aussi avec la coprod, c’est qu’on touche des réseaux différents ; on en profite d’ailleurs pour remercier chaleureusement Les Disques De Plomb, Whosbrain Records et VLA Records pour avoir coproduit ce disque.

- Une nouvelle fois, on trouve Benoît Courribet à la réalisation. Est-ce le troisième membre de One Lick Less ? Vous impliquez-vous dans toutes les étapes de la réalisation ou le laissez-vous faire ?

J : Benoît a été d’un grand soutien dans le processus d’enregistrement. Il a partagé son matériel très généreusement : celui de l’enregistrement bien sûr mais aussi les guitares (j’utilise une des siennes sur Spirits ) et ses amplis sur lesquels j’ai enregistré l’intégralité des deux albums. Il donne son avis en faisant toujours attention de rester à l’écoute, un vrai thérapeute !

B : Benoît, avec qui je joue dans Xnoybis, est quelqu’un d’assez extraordinaire. C’est un mec en or : plein de ressources, passionné par la technique et d’une grande sensibilité musicale. C’est aussi quelqu’un de très ouvert, souple, et patient... On a énormément de chance de pouvoir travailler avec lui.

- Vous faites énormément de scène, d’ailleurs on peut trouver sur l’Internet quelques vidéos de vos prestations scéniques, diriez-vous de votre musique qu’elle existe pour le live ou séparez-vous studio et live ? D’ailleurs, est-ce facile pour un groupe comme One Lick Less de trouver des dates ? Est-ce important pour vous cette dimension live ?

B : La dimension live est certainement la plus importante pour nous. On aime faire des disques mais rien ne remplace le contact direct avec le public que permet le concert, l’énergie et l’émulation que ça génère est irremplaçable. Concernant les rapports entre live et studio, on essaie à la fois que les disques sonnent un peu brut et live, tout en profitant des possibilités diverses qu’offre la production en multipiste. C’est un équilibre pas facile à trouver mais qui est important pour rendre compte de notre musique, qui est à la fois brute et un peu sophistiquée.
L’année dernière on a pas mal tourné, une trentaine de dates. Sans doute à peu près pareil cette année. C’est pas toujours évident de trouver des concerts, ça demande beaucoup de temps et d’énergie. Il y a de plus en plus de groupes qui tournent et de moins en moins de gens qui organisent donc c’est un peu la foire d’empoigne. On se fait un réseau petit à petit mais c’est un travail de longue haleine. Dans l’ensemble on a pas trop à se plaindre je trouve !

J : C’est vrai qu’on aime les sons bruts, mais personnellement plus j’avance plus j’aurais envie de séparer enregistrement et live. Sur & We Could Be Quiet nous n’avons presque pas utilisé les ressources multipistes alors qu’on s’est permis beaucoup plus de choses de ce genre sur le dernier. J’y vois là l’amorce d’un mouvement vers l’exploration des possibilités de l’enregistrement. A suivre donc…

- Vous tenez-vous au courant de l’actualité musicale ? Y a-t-il des disques que vous aimeriez faire découvrir à nos lecteurs ? Des groupes/artistes dont vous vous sentez proches (que ce soit dans l’esprit ou dans la musique) ?

J : Je me sens un peu imposteur parfois... Je fais partie d’une certaine scène et je ne m’y intéresse pas activement. Après, jouer, c’est rencontrer d’autres groupes et j’essaie de rester au courant de l’actualité des gens qu’on connaît et ça fait déjà pas mal de monde. Mais côté proximité, je me sens aussi proche de groupes de harsh noise que de guitaristes de folk. De la même façon que j’apprécie l’Art Brut et l’art de ceux qui n’ont jamais vraiment rencontré les discours officiels, je suis fasciné par les field recordings d’Alan Lomax, John Cohen ou encore par des travaux similaires qui ont lieu actuellement en Chine et en Asie du sud-est...

B : Je suis un boulimique de musique, et j’écoute plein de trucs différents, beaucoup de jazz, de la pop, du noise rock. J’essaie de m’intéresser à l’actualité mais j’avoue que suis souvent tourné vers le passé (proche ou lointain). Je découvre de nouvelles choses quasiment tous les jours, mais pas forcément des nouveautés. Quelques disques sortis ces dernières années que j’aime beaucoup : Bliss de Sweet Williams (ex-Charlottefield) ; Imaginate que acierto des Espagnols de Picore, Bending Bridges du Mary Halvorson Quintet ; Papa’s Ear des Tenniscoats ; le dernier Powerdove qui vient de sortir chez Africantape ; Introvenus de Austin Townsend (introuvable maintenant), qui est un musicien incroyable…
Parmi mes classiques, en vrac et en évitant les trop évidents : Oxbow, Codeine, Low, Gastr Del Sol, Harvey Milk, Tim Berne, The Pastels, Swans

- Le futur de One Lick Less ?

J : Pour ma part l’avenir de One Lick Less aura 7 cordes et sera tout en aluminium avec plein de cordes sympathiques... Pis il y aura sans doute un banjo baryton 5 cordes qui se baladera de ci, de là.

B : On va se remettre à composer tranquillement. Côté scène, on a une autre tournée en Chine prévue au mois de novembre avec les Chinois de After Argument, un duo eux aussi. On est aussi en train de chercher quelques dates dans le nord et en Belgique pour début octobre.


Et nous voici déjà au terme d’une interview qui, espérons-le, vous aura donné envie de jeter une oreille sur les disques de One Lick Less. Bien sûr, certaines questions un peu candides restent sans réponse mais vous trouverez de toute façon de quoi éclairer les zones d’ombre dans cette musique singulière qui recherche l’équilibre dans le déséquilibre. C’est très bien comme ça. Et puis l’on sait bien, au final, que toute œuvre recèle une part d’impalpable qui permet à toute personne qui n’en est pas à l’origine de se l’approprier et d’y mettre ce qu’elle veut. Dès lors, inutile d’aller plus loin car l’essentiel est déjà couché sur microsillons et tout le reste est à voir en concert où la musique du duo gagne encore en épaisseur.

Car non content de partager un bon nombre de classiques avec nous, One Lick Less n’a pas son pareil pour faire figurer ses disques parmi les nôtres.

Pour preuve, si ce n’est déjà fait, écoutez donc ce qui suit :





Un grand merci à Julien et Basile pour leur spontanéité, leur exhaustivité et leur disponibilité.


Interviews - 07.08.2013 par leoluce


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Marre de la muzak de réveillon et des compils à tonton ? IRM a la solution et pour bien commencer l’année 2013, le second volet de notre projet Clouds/Ashes s’offre à vous, avec quelques explications.



Chroniques // 20 mai 2013
One Lick Less

Deuxième album de One Lick Less, Spirits Of Marine Terrace continue à tracer les esquisses d’une americana extrêmement originale qui frappe autant par son authenticité que par la tension qui l’habite. Attention, grand disque !