Les Marquises - Pensée Magique

Lost Lost Lost avait déjà fortement intrigué il y a quelques années. Bonne nouvelle, avec Pensée Magique, le mystère reste entier : comment faire cohabiter tant d’idées dans un espace et un temps si resserrés ? Encore une fois, Les Marquises commettent un petit bout de plastique qui pèse bien plus lourd qu’il n’y paraît.

1. Les Maîtres Fous Voir la vidéo Les Marquises - Les Maîtres Fous
2. Cassette (Hands Of Fire)
3. In The Forest
4. The Visitor
5. Night Falls On The Dale
6. Chasing The Hunter
7. Jennie’s Magic Cast-On Voir la vidéo Les Marquises - Jennie’s Magic Cast-On

date de sortie : 17-02-2014 Label : Ici D’Ailleurs

Il faut bien le dire, il m’a fallu du temps pour en faire le tour. Et encore, soyons honnête, le tour est loin d’être achevé. Il ne contient pourtant que sept morceaux. Une petite demi-heure et puis s’en va. Mais il donne l’impression de durer plus. En fait, il efface le temps. Et l’espace aussi. Il est sans doute un poil moins évident que Lost Lost Lost qui était pourtant déjà bien tarabiscoté, brouillant encore plus les pistes, creusant encore plus profondément le sillon de l’exigence parsemée d’immédiateté (et réciproquement) qui est probablement le trait saillant des Marquises. Celui qui lui confère toute sa singularité. C’est à la fois très mélodique et très déstructuré, accueillant et torturé, élégant et grossier, inoffensif et féroce. Disque funambule, Pensée Magique empile nombre de strates épaisses tout en montrant beaucoup de légèreté et d’élégance. Il est fortement attiré par les contraires, comme un aimant et pourtant, à aucun moment ne rompt. Les morceaux se suivent et ne se ressemblent pas vraiment, parfois portés par une polyrythmie proprement ahurissante à laquelle se substitue un mince filet électronique à d’autres moments. Parfois, une voix se fait entendre, elle peut d’ailleurs déclamer ses mots en anglais ou en français, et parfois elle se tait et ne subsistent alors que des arrangements mêlant synthétique et organique. Une grande variété habite donc Pensée Magique. Il s’agit d’un patchwork de vignettes aux textures et à l’architecture mouvantes dessinant pourtant un tout cohérent. À aucun moment Les Marquises ne ressemblent à autre chose qu’à elles-mêmes et Jean-Sébastien Nouveau peut bien convoquer qui il veut pour participer à sa créature, c’est bien lui que l’on entend avant tout, ses idées, ses envies, ce qui l’habite et qu’il expulse, ce qu’il veut faire passer.

Ainsi, le line-up qui intervient dans Pensée Magique n’est plus tout à fait le même que celui qui officiait derrière Lost Lost Lost. Et si l’on retrouve Jonathan Grandcollot (batterie, claviers) qui participait déjà à l’aventure en 2010, sont venus également se greffer cette fois-ci Benoît Burello (Bed), Nicolas Laureau (Don Nino, NLF3) et Johannes Buff (Dubaï) au chant, Etienne Jaumet (The Married Monk, Zombie Zombie) au saxophone, Martin Duru (Immune, Colo Colo) aux claviers et à la basse, Souleymane Felicioli à la trompette, Julien Nouveau (Immune) aux larsens et percussions et enfin Pierre-Alain Vernette au violon. Bien plus qu’un groupe, on le voit bien, les Marquises sont avant tout un collectif protéiforme qui change de visage au gré des rencontres et des envies. Cette fois-ci, exit Henry Darger dont les toiles constituaient les muses de Lost Lost Lost, la source d’inspiration est à chercher du côté du cinéma et en particulier d’œuvres telles que Fitzcarraldo et Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog, Sa Majesté des mouches de Peter Brook ou encore Les Maîtres Fous de Jean Rouch. Sans doute pas ce qui se fait de plus positif et optimiste, à l’instar des peintures d’Henry Darger, mais des trucs bruts à la plastique toutefois bien maîtrisée, au message fort et qui collent parfaitement à la musique de Pensée Magique. Oui, parce qu’au final, on sent bien que Jean-Sébastien Nouveau n’a pas vraiment besoin de quoi que ce soit pour donner de la substance à ses morceaux, qu’il pourrait très bien expliquer trouver son inspiration dans le calendrier de la Poste que Les Marquises sonneraient de la même façon. Collectif peut-être mais projet avant tout éminemment personnel qui tient parfois de l’effeuillage émotionnel sans pour autant que l’on se sente le moins du monde gêné, voyeur ou pas à sa place. Ce qu’il véhicule est suffisamment universel pour que tout le monde puisse y trouver des échos de sa propre mécanique interne, de ses propres sentiments, fussent-ils à fleur de peau.


Oui, car Pensée Magique est aussi tendu. Même lorsque les tambours se calment, il revêt les atours de l’eau qui dort, du calme avant la tempête. Il a un côté très contrit, retenu, à vif. Un côté déjà présent du temps de Lost Lost Lost mais sans doute poussé plus avant ici. Un côté qui saute au visage dès Les Maîtres Fous, premier titre parfait puisque contenant tout ce qui le disque va décliner ensuite : des percussions tribales, des nappes synthétiques désuètes mais obsédantes, une trompette élégante et cette voix déclamatoire et fatiguée que intrigue et enveloppe. Plus loin, Cassette (Hands Of Fire), joli patchwork d’idées aux multiples visages semble incapable de faire sa mise au point : il passe du gros plan au grand angle sans s’arrêter, convoque une chorale, une cithare, des cloches et tout un tas d’autres choses passant devant puis se retirant à tour de rôle. Et puis surtout, il y a ce Chasing The Hunter envoûtant. Les Marquises y convoque carrément une batucada a-t-on l’impression et la mêle à des nappes sombres et inquiètes huit minutes durant. Mélodica, cithare et claviers peuplent les rares interstices pour constituer un territoire où le collectif peut exprimer toute sa félinité. Tribal en diable, répétitif, Les Marquises expédie l’auditeur dans une jungle intérieure où l’on n’a pas trop envie de savoir ce que cachent les hautes herbes et ce qui se dissimule sous la végétation anarchique et luxuriante. Un titre qui rompt avec ceux plus mélodiques (The Visitor, Night Falls On The Dale), tout aussi réussis et tarabiscotés, tout aussi prenants. Pensée Magique est donc des plus varié et frappe par le soin insensé porté aux arrangements et à sa construction même. Tout est ici réfléchi, pesé, soupesé, chaque élément s’imbrique dans le tout sans jamais nuire à la cohérence d’ensemble et il faut bien attendre d’avoir posé la dernière pièce pour comprendre ce que le puzzle représente. On aura ainsi bien du mal à en faire le tour.

Une demi-heure peut-être mais c’est largement suffisant au regard de son épaisseur et de son extrême densité.

Magnifique.

L’album s’écoute (et se regarde) en intégralité ici.

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