PILES - Una Volta

Les disques monomaniaques basés sur l’utilisation d’un seul instrument peuvent se révéler pénibles à la longue. Ce n’est absolument pas le cas dUna Volta, premier album de PILES qui montre qu’une batterie a beaucoup plus de choses à dire et à exprimer que son proverbial tchak-poum ne le laisse penser.

1. Drones And Piles
2. Decay
3. Ulrik
4. Mort Aux Cons
5. Kraut And Piles
6. Materials In US
7. Chambre D’Echo
8. Marie

date de sortie : 21-09-2018 Label : Aago Records

Drôle de groupe. Drôle de disque. PILES réunit trois batteurs, Guigou Chenevier (d’Etron Fou Leloublan et Volapük entre autres), Anthony Laguerre (de Filiamotsa et Club Cactus dont on devrait très vite reparler) et Michel Deltruc (lui aussi impliqué dans nombre de projets depuis un bon paquet d’années). PILES est le dernier avatar des expérimentations débutées par Guigou Chenevier entre 1985 et 2000 avec Les Batteries, trio de batteurs qui le voyait s’acoquiner alors avec Charles Hayward et Rick Brown dans le but d’écrire « des petites pièces pour batterie » et montrer ainsi que manier les baguettes n’empêchait nullement d’être aussi compositeur et mélodiste. Alors évidemment, comme on pouvait s’y attendre, Una Volta se montre extrêmement percussif. Là où le disque devient passionnant, c’est que PILES va se charger de nuancer cet adjectif que l’on est obligé d’accoler à sa musique. C’est percussif mais percussif de plein de façons différentes. Suivant l’enchevêtrement de chacun avec les deux autres, ça sera plutôt tribal, plutôt ténu, plutôt explosif voire carrément muet. Alors que l’on pouvait craindre au départ une musique par trop monocorde et monolithique étant donnée la contrainte qui la fait naître (trois batteurs et souvent, autant de batteries), on se retrouve avec un disque qui échafaude des morceaux vraiment variés. Alors c’est vrai qu’une guitare et quelques claviers (le tout manipulé par Anthony Laguerre) viennent rehausser l’écorché mais pour le reste, ce ne sont que roulements de tambours et cymbales sur plus de quarante minutes et c’est à peu près tout. Pourtant, on s’y laisse prendre facilement. C’est évidemment très sec et abstrait mais c’est aussi étrangement foisonnant dans les émotions que ça procure.

Explorant les chemins de traverse reliant ce que la batterie peut avoir de plus conventionnel avec ce qui l’est beaucoup moins, Una Volta se balade en permanence entre explorations kraut, hypnoses tribales, désolation industrielle, drone, répétitions et improvisations intenses. Tout du long, on navigue à vue. Les atmosphères se succèdent, chaque morceau se différencie drastiquement de ceux qui suivent ou précèdent et alors qu’on pourrait être facilement perdu, on est accroché par la vibration singulière de l’ensemble. Une vibration qui, dans le cas présent, se transforme en souffle emportant avec lui toutes les résistances. C’est très exploratoire mais jamais abscons, même dans les moments les plus arides, PILES réussit toujours à surprendre en faisant quelque chose d’inattendu au moment où l’on s’y attend le moins. Après un Drones And Piles introductif et prenant (présenté comme la treizième version d’un morceau dont les douze premières apparaissaient sur Le Batteur Est Le Meilleur Ami Des Musiciens du même Guigou Chenevier en 2003), Decay et Ulrik apparaissent étrangement gémellaires et alors que l’on se dit que l’écoute va être fastidieuse et que l’on se prépare à refréner les premiers bâillements, déboule Mort Aux Cons et son pedigree punk-noise inattendu. Ensuite, la porte est ouverte et c’est parti pour le contre-pied permanent. Les très belles enluminures kosmische du parfaitement nommé Kraut And Piles se diluent dans l’aridité de Materials In US, neuf minutes d’extraits sonores entrecoupés de drones énigmatiques dynamitées sur la fin par une batterie furibarde. Idem sur Chambre D’Echo mais à l’envers. Cette fois-ci, c’est un charmant tintinnabulement qui vient rompre la rigidité des tambours. L’ultime Marie fait quant à lui résonner les cymbales. C’est presque imperceptible mais c’est surtout très beau et lorsque le disque est depuis longtemps achevé, on jurerait les entendre résonner encore.


On l’aura compris, sur Una Volta, le rythme et la pulsation sont roi et reine mais l’un et l’autre en prennent aussi plein la gueule au sein de compositions très maîtrisées. Le disque en lui-même est déjà une incontestable réussite mais l’objet aussi est particulièrement soigné. Empaqueté dans une pochette en papier vitrail très élégante, le CD s’accompagne d’un beau livret où s’entremêlent paraboles radio, typographies très graphiques (de Morgan Enos), images tirées de la vidéo de Drones And Piles élaborée par Bas Mantel. C’est tout à la fois noir, blanc et gris et ça permet de prolonger avec les yeux ce que les oreilles perçoivent. Una Volta se révèle ainsi être un album joliment prenant dans toutes ses dimensions.

Brillant.

Chroniques - 14.10.2018 par leoluce