Watine - Géométries sous-cutanées

A l’intersection entre néoclassique, trip-hop, musique électronique et musique sérielle, le nouveau challenge de Watine est un bel album contemplatif et immersif qui se déguste sans compter.

1. Over Freeways
2. Sheer Power Voir la vidéo Watine - Sheer Power
3. Undying Pizzicato
4. Verrophone
5. Erratic Soul
6. Melancholia My Love
7. Lovesick
8. Raining Bees
9. Hearth Walking
10. Jetlag

date de sortie : 15-02-2019 Label : Catgang

Pour son 7ème album, Watine a décidé, une fois de plus, de tout changer. D’allonger le format. D’estomper les mots. De laisser parler les sons. D’hybrider ceux-ci. De confronter les instruments du classique aux nappes synthétiques. Puis de confronter ces nappes à des lancinations sérielles, comme dans l’attaque d’album, Over Freeways, qui nous offre une longue plongée, pas si éloignée du format post-quelque chose propre à des groupes comme Godspeed ! You Black Emperor avec qui ce disque partagera, plus tard, également, cette utilisation des cordes tellement propices au glissement intérieur avec Undying Pizzicato, qui se paie le luxe d’être reminiscent de Tribute to Monk & Canatella de Portishead sans le copier le moins du monde. Puis de confronter ce mélange au field-recording, laissant entendre ci et là des bribes, des respirations venues du monde réel. On se trouve alors en plein flottement entre accords de guitare et leitmotiv étrange de piano, quand une rythmique de trip-hop fait son apparition. On pense aux ambiances largement malaisantes d’Akira Yamaoka, lorsqu’il nous balançait en plein Silent Hill, puisant lui aussi de droite et de gauche dans tout ce qui comptait dans la musique contemporaine à forte charge émotionnelle, et mélangeant sonorités industrielles, piano classique, rock et rythmiques hip-hop. On pense à certains magiciens du rock progressif anglais des 70s, qui, à l’instar de Mike Oldfield, construisaient leurs titres par superpositions de couches hypnotiques successives, jusqu’à un climax final qui laissait bien souvent sur le carreau.

Mais si on pense à tout cela, ce n’est pas en se posant en point de comparaison, oh non. Il y a tant d’originalité, tant de personnalité dans la musique de Watine que ce ne sont là que souvenirs, impressions, bribes et influences, et non pas des références directes.


La plupart des longs morceaux enchaînés sur ce disque sont en effet à tiroirs, et ils s’ouvrent au fil de leur déroulement et des écoutes. Les thèmes vont et viennent sans qu’on les attende. Les rythmes apparaissent et disparaissent. Le tempo se modifie toujours un peu, un peu plus, un peu moins. Car Géométries sous-cutanées, tout aussi immédiatement fascinant qu’il soit, est construit sur de si nombreuses couches si savamment entremêlées qu’il est quasiment inépuisable et révélera toujours quelque chose de plus à l’écoute. Il a un côté intemporel et fascinant qui en fait un album idéal pour se laisser simplement porter par la musique (et ici cette métaphore prend vraiment son sens, tant cette musique semble aller de l’avant en permanence, grâce à cette construction en accumulations et à un flot continu de textures et de rythmes) mais aussi pour les plus exigeants, pour en capter les subtilités de composition et l’incroyable atmosphère de mélancolie latente qui s’en dégage. Après, c’est Catherine Watine qui compose, et son expertise paie. Elle nous prouve ici qu’être virtuose n’est pas toujours synonyme de démonstration ou d’aridité.

Lorsque le rythme se détend et finit par disparaître sur Erratic Soul, on se retrouve entre les notes de clavier, les chants d’oiseaux et les drones, coincé dans une dimension entre Debussy et l’ambient, dans une zone où musique électronique, musique sérielle et néoclassique auraient fusionné pour remplir délicatement l’espace dans lequel nous flottons. Car on a bel et bien quitté le plancher des vaches à cet instant, on flotte. On ne retrouvera le sol qu’avec Melancholia My Love, doux tapis légèrement dissonant à base de cordes frottées et de rythmique trip-hop.

Et les voix, me direz-vous ? Y a t-il des voix par ici ? Hé bien, pas au sens où on l’entend habituellement. Pas de chant par exemple. Aucun format chanson, aucune accroche mélodique simple. On trouve des chants samplés et mystérieux sur Raining Bees (ce qui peut nous rapprocher des premiers travaux d’Oldfield, dont on parlait plus haut), mais aussi une voix neutre, utilisée comme outil de narration. L’album est en effet quasi instrumental. Lorsque la voix de Watine commence à raconter des choses, sur Lovesick (qui comprend d’ailleurs un motif de piano que John Carpenter n’aurait pas désavoué) et le final Jetlag, c’est d’une façon très littéraire que le texte est construit et narré. Ce qui nous est raconté là (et non, on ne spoilera rien), est à la fois si trivial et si intime, si poétique mais si pragmatique, dit d’un ton si froid mais si proche, qu’on se surprend à rapprocher cette narration de ce qu’on a déjà pu entendre chez Matthieu Malon, Féroces ou Diabologum, des choses de la vie transcendées et rendues fascinantes par la force même des mots, une narration quasi cinématique, mais ici, on a remplacé la furie post-rock des pré-cités par un néoclassicisme classieux à bases de cordes sublimes et de délicates notes de clavier.

Enfin, bref, vous l’aurez compris, c’est un beau disque et on ne trouve pas de mots... ou si peu. Palabrer dessus plus longtemps serait inutile, l’écouter au calme est fortement recommandé.

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