RougeGorgeRouge - NaSH

Depuis son Froast inaugural de 2013, RougeGorgeRouge n’a cessé d’affiner sa musique et livre aujourd’hui NaSH, une belle pièce psycho-amalgamée qu’on ne se lasse pas d’explorer.

1. Sulfur
2. Pyramide
3. The Event
4. Garden Party
5. Remain
6. Mazout
7. Polonium
8. My Way
9. The End Of The Party
10. (A Way)

date de sortie : 01-02-2019 Label : Day Off Records

Sulfur, Mazout, Polonium, RougeGorgeRouge ne lésine pas sur le toxique, promet même The End Of The Party et de fait, place NaSH - nouvel album qui succède au très épatant Hypersomnia de 2016 - d’emblée dans l’inquiétude. La pochette évoque un lac de lave cerné par l’œil du microscope qui ne rassure pas beaucoup plus. Avant même d’avoir écouté le disque, on s’en fait donc une idée. Immédiatement battue en brèche par les presque six minutes de Sulfur qui ouvre les hostilités.
On s’attendait à du stressé, à de l’abattu, à du moribond et pas du tout. Attention, ce n’est pas non plus un sommet d’optimisme béat mais en fait, NaSH ne retient pas qu’une émotion et n’exprime rien de plus et rien de moins que ce que l’époque qui l’a vu naître exprime de son côté. Long lézard psycho-kraut bruyant et épineux, le titre d’ouverture séduit immédiatement. Tendu dans l’arrière-plan quand le chant se révèle plutôt éthéré et patraque, hérissé d’angles mais ne sacrifiant jamais la mélodie au profit de la digression cosmico-barrée, Sulfur vibrionne, se montre tour à tour flou et déterminé et annonce plutôt bien la teneur d’un disque qui préfère les voies de traverse aux grosses autoroutes encombrées. Pyramid suit plus ou moins le même chemin et donc n’en suit aucun en agrafant de mignons claviers à une ossature percussive très tribale : c’est tout à la fois lourd et léger et là aussi on ne sait pas trop sur quel pied danser même si l’on danse tout de même. Ça milite pour l’ouverture du troisième œil en dessinant de belles arabesques dans les airs mais ça laboure aussi le parterre : une chouette dichotomie qui provoque des envies contradictoires - bouger/s’asseoir, s’évader/détailler le présent, ce genre - mais qui agrippe fortement.
Après deux morceaux à peine, on est déjà très convaincu par NaSH et la suite sera du même acabit. Après un chouette et très court interlude (The Event), RougeGorgeRouge fait gronder ses guitares en gardant son tapis percussif foisonnant (Garden Party) et change encore d’azimut et puis le fait encore et encore, associe des bouts de kosmische à des fragments de pop, des poussières de no-wave à des petites touches de post-punk, pousse le psychédélisme au beau milieu des gros rouleaux et se laisse bringuebaler par la houle. Le disque touche à tout mais ne s’éparpille pas et même si l’on se retrouve très vite paumé dans les morceaux, le groupe ne s’égare jamais en conservant intacte sa tension tout du long.


On voit bien comment on a bien du mal à résister à l’envie de décrire la tracklist par le menu puisque tous les titres sont différents mais ce que l’on retient surtout, c’est la grande cohérence de l’ensemble, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour une musique aussi échantillonnée. Il faut bien s’y résoudre : RougeGorgeRouge a une patte, un truc bien à lui qui fait qu’on l’identifie sans peine quelles que soient les frusques qu’il revêt. Le groupe peut bien surfer la vague métaphysique sur Polonium puis enchaîner avec une variation psycho-pop sur My Way, filer un mauvais coton le temps du bien nommé The End Of The Party, on le reconnaît immédiatement et on le suit les yeux fermés où qu’il aille.
Très proche d’ Hypersomnia, NaSH s’en détache toutefois en mettant ses claviers un poil plus en avant et en étant un poil moins renfrogné mais pour le reste, tout pareil : le même goût pour l’onirisme et pour l’errance. On retrouve également toute la capacité du groupe à arpenter les frontières comme un funambule. Dès qu’il devient trop perché, le tapis rythmique se plait à repasser les contours au gros feutre noir ; dès qu’il devient trop terre à terre, il trace une zébrure cosmique qui envoie le morceau dans la stratosphère. Idem dans le refus de se cantonner à un seul style et ce faisant, en touchant à tout, c’est bien ainsi qu’il forge le sien. L’entre-deux, toujours l’entre-deux. Pour autant, et c’est une vraie gageure, NaSH - et par extension, tout ce que RougeGorgeRouge a pu sortir jusqu’ici - n’est jamais tiède, jamais timoré. Ce sont bien de vraies mélodies que l’on retrouve disséminées dans l’ossature, pas de vagues ersatz qui apparaissent par accident, et tout ce petit monde est capable de mettre sur pieds un groove salement nucléaire (Polonium le bien nommé et tous les autres titres à bien y regarder) sans jamais déchirer le fragile voile cotonneux qui recouvre sa musique : les neuf occurrences sont tout simplement très bien construites. Quand c’est pop, c’est vraiment pop ; quand c’est psyché, c’est irrémédiablement psyché (l’ultime A Way, uniquement présent sur la version CD) ; quand ça grésille, rien ne vient arrondir les angles et si les Bordelais amalgament nombre d’éléments, ils ne les diluent jamais.
Bref, encore un carton plein de la part d’un groupe qui au final ne nous a habitués qu’à ça et même si l’on ne sait pas très bien à quoi renvoie NaSH (Hydrogénosulfure de Sodium, délicate poudre blanche et cristalline à l’odeur dégueulasse ? Non Alcoolic Steato Hepatitis dite « Maladie du soda » ? Hommage facétieux à Graham Nash ? va savoir), on sait qu’il s’inscrit profondément dans l’encéphale.

Brillant.



Pour l’instant disponible en version CD (avec un dixième titre, A Way), une version vinyle de NaSH doit vite voir le jour.

Chroniques - 09.03.2019 par leoluce
 


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