2023 en polychromie - bonus : 10 disques écoutés et/ou sortis trop tard
Au contraire des dilettantes forts en gueule qui ne cessent de se plaindre de "petits crus" où les sorties dignes d’intérêt se compteraient sur les doigts de la main (en général de mauvais disques... est-ce donc si étonnant que le dernier Sufjan Stevens soit dans toutes ces listes ?), les mêmes qui lorsqu’on leur oppose des sélections telles que les nôtres n’en ont bien souvent écouté que 4 ou 5 sur 150 ou 200, nos lecteurs assidus ne le savent que trop bien : plus on explore de disques tous genres confondus et plus la conscience de passer à côté d’une infinité de potentiels coups de coeur comme autant d’occasions manquées forge l’humilité à la hauteur de la frustration qu’elle génère.
Ce sentiment bien sûr, on apprend rapidement à le canaliser, à accepter que l’on ne pourra jamais tout connaître, tout écouter, et que toute la disponibilité du monde, même si on l’avait, n’y changerait rien. Pour autant, aucune raison de pénaliser de belles sorties découvertes trop tard ou lâchées dans les tout derniers jours de l’année, d’où cette ultime sélection bonus après quelques semaines de rattrapages d’écoutes en retard, parmi tant d’autres qui se perdront malheureusement dans les limbes des copies promo et autres pages Bandcamp mises de côté pour "plus tard"...
#1. Watine - Short Series of Arranged Piano
Plutôt qu’avec le néanmoins très joli Cinétique Géostationnaire, dernier volet plus "pop’ et dynamique d’une quadrilogie ambient abstraite et nébuleuse qui culminait sur le foisonnement hanté d’Intrications Quantiques en 2020 puis l’année suivante sur un Errances Fractales aux nappes saillantes et au spleen endeuillé, c’est au détour de sa sortie de toute fin décembre que Catherine Watine m’a cueilli en 2023, collection de micro-requiems qui font la part belle à un piano aux sonorités travaillées par le passage du temps, dont les mélodies poignantes se parent d’arrangements délicats (cordes, carillons, pulsations électroniques, petites percussions samplées, etc), de field recordings et autres textures organiques comme autant de récollections entêtantes de tourments passés encore trop présents.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 65 et 66e
#2. EABS meets Jaubi - In Search of a Better Tomorrow
On avait déjà repéré les Polonais EABS, jazzeux dopés à l’abstraction et à la dynamique du hip-hop, mais associé ici à l’étonnant trio pakistanais Jaubi, entre musique traditionnelle, hip-hop instru et influences jazzy, le quintette passe un palier, aussi bien dans un jazz d’atmosphère aussi luxuriant que capiteux que dans une veine cinématographique et mystico-psyché que n’auraient pas reniée John Zorn et ses Dreamers, tirant sur du free paradoxalement ligne claire et facile d’accès ou en fin de disque, le temps du l’impressionnant Sun, sur un abstract plus insidieux au beatmaking percutant et aux basses rampantes.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 74 et 75e
#3. Murray A. Lightburn - Once Upon A Time In Montréal
Les limites d’un Mass:Light trop emphatique et synthétique m’avaient finalement éloigné des tentatives solo du chanteur des Dears. Mal m’en a pris, et ce fut donc un double rattrapage avec le petit bijou Hear Me Out et surtout sa suite du même acabit, vraie merveille de pop de chambre au spleen irrésistible dans la lignée du beau diptyque Times Infinity de son groupe mais en plus sixties dans ses sonorités : au gré des classiques instantanés Dumpster Gold ou In The Kingdom Of Heaven, ou de titres lorgnant par la suite sur la soul (Oh But My Heart Has Never Been Dark) ou le jazz (Once Upon A Time In Montréal), on pense ainsi à Van Morrison, Curtis Mayfield, Nilsson, voire même à Love ou au Gainsbourg de Melody Nelson (influences croisées du stratosphérique No New Deaths Today), sans que l’album, un brin trop court mais d’une désarmante spontanéité, ne démérite vraiment face à ses glorieux aînés.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 93 et 94e
#4. Sun Thief - alkahest spectrale
Favori d’IRM depuis son projet Methuselah au côté de Luke Knight puis le fabuleux Winds, l’Américain Adam Wetterhan nous avait de nouveau fait très belle impression avec Empty Light Events il y a quelques années. Depuis, celui que l’on appréciait pour son ambient mystique aux soundscapes démesurés a viré électro, en particulier l’an dernier avec l’emphatique et technoïde Wraithwaves, autotune et sonorités 80s à l’appui, et surtout cet alkahest spectrale plus IDM/acid dans son approche rythmique au feeling organique et plus évolutif dans ses compositions qui laissent de l’espace aux textures et aux atmosphères, évoquant moult albums ambitieux mi-futuristes mi-transcendantaux qui façonnèrent le genre au début des années 90, ceux de The Orb, de Beaumont Hannant ou bien sûr d’Autechre à leurs débuts.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 128 et 129e
#5. Granuja & Jam Baxter - De las Sombras
Exilé à Mexico City, le génial rappeur du label britannique High Focus s’est acoquiné avec un MC colombien, Granuja, déjà fort d’une dizaine de sorties. Premier album issu de cette collaboration à deux voix (et en deux langues, donc), De las Sombras perpétue le goût de Jam Baxter pour un hip-hop narcotique et étrangement éthéré aux samples de piano inquiétants et gondolés, tout en s’appropriant en partie mais sans aucune ostentation l’identité musicale d’un rap latino prisé des narcos, à la fois minimaliste, lascif et frontal. Une réussite, dont on espère qu’elle en appellera d’autres tant l’alchimie entre ces deux rappeurs que tout semblait opposer s’avère idéale.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 158 et 159e
#6. Astrïd - Always Digging The Same Hole
Dédié au regretté clarinettiste du groupe, Guillaume Wickel, dont on peut entendre les vents et percus sur le disque, premier à sortir depuis sa disparition prématurée en 2022, le bien-nommé Always Digging The Same Hole voit les Nantais d’Astrïd, précédemment chez Gizeh Records, continuer de creuser du côté du label False Walls leur sillon singulier à la croisée d’un post-rock feutré tirant sur le modern classical et d’une folk capiteuse aux accents jazz, dans la lignée du très beau A Porthole (I) de 2019. Ici, c’est surtout l’affligé Talking People tout en piano solennel, cordes douloureuses et clarinette mélancolique qui m’a embarqué par sa puissance émotionnelle à l’intensité retenue, la suite du disque glissant avec une chaleur triste vers une folk introspective matinée d’ambient élégiaque, comme un doux requiem pour ce cher ami disparu.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 168 et 169e
#7. Småland - Döden
Oeuvre d’un petit ensemble scandinave basé en Suède et inconnu au bataillon si ce n’est pour Dag Rosenqvist (From the Mouth of the Sun, Jasper TX) qui en partage le leadership avec Thobias Eidevald (Domus) et Christian Hutchinson Berg (Kite) et a mixé l’album dans son studio de Göteborg, Döden est semble-t-il le deuxième opus du projet et impressionne par l’ampleur texturée de sa pop/folk lyrique évoquant rien de moins que la grande époque de Sigur Rós, dimension orchestrale et vocalises éthérées comprises. Une superbe découverte, qui associe le souffle des Islandais à un instrumentarium traditionnel scandinave et au genre d’affleurements saturés aux contrastes puissants qu’affectionne l’auteur de The Black Sun Transmissions.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : entre les 174 et 175e
#8. Marnie Stern - The Comeback Kid
Sans forcément y retrouver toute l’urgence fulgurante du génial The Chronicles of Marnia emballé à l’époque par les drums en roue libre de Kid Millions (Oneida), c’est forcément un plaisir de réentendre Marnie Stern 10 ans après, avec un disque toujours aussi efficace et électrisant que foutraque et alambiqué, non sans atomes crochus avec l’univers d’un Deerhoof par exemple. Mentions à la surprenante reprise de Morricone Il Girotondo Della Note, et surtout au fabuleux One And The Same final, qui renoue enfin avec l’instantanéité mélodique flamboyante de ses plus belles heures.
Sa place approximative dans le classement "180 albums 2023" : juste après la 180e place mais ce cru manquait clairement de bonne pop/rock et j’avais envie de le citer...
#9. Attention Fête - Poupoule
Viens Poupoule, viens ! Coutumier d’une darkwave minimale flirtant avec le dark ambient et le sampling, Nathan Rien aka Attention Fête nous a laissé un drôle de volatile en chocolat au pied du sapin, tout sauf cheap néanmoins et sans véritable correspondance avec sa cover en plastoc : avec Poupoule, on est en plein dans le côté obscur de l’underground électro/ambient, un disque de goth après l’heure qui trace son sillon quelque part entre Coil et Nurse With Wound, culminant d’entrée sur un Juno dense et dronesque aux dissonances inquiétantes.
Sa place approximative dans le classement "50 EPs 2023" : entre les 25 et 26e
#10. Bonkar Jones x La Fausse Patte - Paradigme Perdu
On découvre le rappeur Bonkar Jones par l’intermédiaire de l’excellent La Fausse Patte, aux manettes de cet EP irrigué par son sens du sampling jazzy ou ciné séquencé au scalpel et d’un boom bap aux groove insidieux, des productions parfois plus posées ici à l’image de la vibe très Miles Davis de Baobab ou des choeurs morriconiens du planant Une belle ballade. Également en featuring sur l’épileptique L’hymne à la Loose, le Bisontin héberge sur son Bandcamp cette première collaboration dont on espère qu’elle fera des petits, tant l’association entre son beatmaking aussi virtuose qu’imparable et la verve indocile et anticonformiste du MC au flow grave s’avère fertile.
Sa place approximative dans le classement "50 EPs 2023" : entre les 29 et 30e
Bonus autopromo : Konejo - Music To Kook By
Il m’arrive aussi de sortir des disques, et 2023 bien que plus calme de ce côté-là me concernant (2024 devrait toutefois redresser la barre et contrebalancer cette baisse de régime avec la sortie d’au moins 4 projets, tous collaboratifs) n’a pas dérogé à la règle avec cet album défendu par le label La Voix dans le Désert, et chroniqué notamment par le blog Scratched Vinyl - je vous laisse juges :
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- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- One Far West - Heliacal Risings
- Feeling Flying - Spirit Level
- Glacis - This Darkness From Which We Cannot Run
- Glåsbird - Fenscapes
- EUS & How To Disappear Completely - Remaining Light
- Roger Robinson - Heavy Vibes
- John Thomas Remington - Pavements EP
- EUS - Vergel
- Seefeel - Squared Roots EP
- Eli Tha Don & Hot Take - Ghetto Beethoven
- EUS & How To Disappear Completely - Remaining Light
- Masayoshi Fujita - Migratory
- The Sombre - Like a dream without light
- 2024 à la loupe (par Rabbit) - 24 chansons
- Octobre 2024 - les albums de la rédaction