2017 dans l’oreillette - Best albums pt. 8 : 30 à 21

100 albums en 10 parties, pour renouer avec ma formule chronophage des années 2014 et 2015, car après 30 EPs il fallait au moins trois fois ça. Et surtout parce que quand on aime, on ne compte pas, et qu’il n’y a finalement pas une différence fondamentale dans mon cœur entre, mettons, le 50e et le 100e de cette sélection, simple question d’humeur et d’envie du moment.

Le fait est que tous ces choix, et même une dizaine d’autres laissés de côté pour des raisons de symétrie, m’ont fasciné, touché et marqué de diverses façons, d’écoutes-expériences dont je laisserai l’effet s’estomper quelques mois voire même quelques années avant d’y revenir en quête du plaisir intact de la (re)découverte, en albums-compagnons qui ont su chauffer ma platine virtuelle à intervalles réguliers. Autant de disques qui dans ce 8e volet en particulier m’auront donné l’occasion de plonger dans l’œil du cyclone, pour m’y recueillir ou pour mieux m’y perdre mais quoi qu’il en soit ce que j’y ai trouvé ne m’a pas tout à fait laissé indemne.




30. Monty Adkins - A Year at Usher’s Hill (Eilean Rec.)




Le label français Eilean Rec. a décidément le nez creux pour avoir débauché l’auteur du sublime Residual Forms de 2014, certainement l’un des plus beaux formats courts de la décennie. Pour cette nouvelle sortie, l’Anglais Monty Adkins privilégie au ballet drone subaquatique fortement contrasté de l’EP en question quelques idiophones cristallins sur fond de hiss et de craquements de vinyle (Radiant Moon), une ambient d’outre-rêve aux claviers irisés (cf. l’hypnotique Solstice) qu’irrigue la lumière du petit jour (An Eden Within, Ushers Hill, Burnt Sun) et surtout un piano au lyrisme délicat, moins impressionniste et en retrait des textures que sur Residual Forms, qu’il soit seul à percer le silence (le bien-nommé Alone, Shifting Ground, Before Sleep), en surplomb de nappes stratosphériques aux liturgies radiantes (Small Steps) ou uniquement paré de discrets échos oniriques (In Memoriam Jacques Hamel, Under A Luna Sky). Résultat, un album de récollections qui ne sent pas le formol pour autant et ouvre au modern classical des horizons singuliers, à la frontière de l’électronica et d’une ambient en cinémascope.




29. ECID - HowToFakeYourOwnDeath (Hello.L.A.)




"Il manquait toujours à Jason Mckenzie un vrai magnum opus, un truc puissant et intelligent, épuré et percutant, cool et ténébreux, mélangeur et idiosyncratique à la fois qui laisserait une trace sur le hip-hop des années 2010. Bonne nouvelle, avec ses lignes hypnotiques de basses/beats ultra-deep et de guitares lo-fi, ses arrangements électro clairs-obscurs évoquant Restiform Bodies, ses mélodies rappées/chantées dignes du Why ? d’antan, ses samples vocaux baroques à souhait et un storytelling aussi jouissif de nonchalance affichée que touchant d’humanisme sous-jacent, HowToFakeYourOwnDeath, blindé de tubes underground en puissance (Placebo fx, Grieving Mantra, Breaking Up With Death et Guru en tête), parvient à sonner dans le même temps comme la quintessence de la disco du MC et producteur alt-rap ricain et l’héritage le plus crédible d’un label Anticon aujourd’hui moribond. Grand."


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28. Gabriel Saloman - Movement Building Vol. 3 (Shelter Press)




Troisième volet d’une trilogie pour le label français Shelter Press démarrée en 2014 et que l’on peut désormais écouter ici dans son intégralité, Movement Building Vol. 3 permet de retrouver l’ex Yellow Swans dans ces atmosphères de tension martiale et de désolation qui lui sont familières en solo, entre dark ambient de no man’s land urbain rythmé de pulsations cardiaques (What Belongs To You), indus fuligineux aux scories digitales (What Belongs To Love), trémolos de guitare élégiaques (What Belongs To Bass, What Belongs To the Line) et tambourinades belliqueuses d’armée fantôme (What Belongs To the March et ses presque 13 minutes de tranchées où l’on croise piano funèbre, cordes angoissées, drones menaçants et exhalaisons de mort en sursis), du genre de celles qui hantaient le morbide et glaçant Soldier’s Requiem il y a quatre ans déjà. Le meilleur album de l’Américain à ce jour.




27. Hammock - Mysterium (Hammock Music)




A l’exception du dispensable I Would Give My Breath Away et d’un final à la Sigur Rós où la batterie réapparait pour mieux faire faire son petit effet au terme d’un album entièrement dénué de rythmique, le duo de Nashville se débarrasse de ce chant un peu lisse qui avait souvent nui à la mélancolie toute séraphique de son post-rock ambient par le passé et relègue à la néanmoins superbe BO du drame coréano-americain Colombus la tendresse rêveuse des reverbs de guitare pour faire de ce Mysterium un album de deuil aussi poignant qu’épuré, dédié par Marc Byrd à son protégé Clark Kern décédé d’une tumeur en 2016. Cordes élégiaques, piano délicatement lyrique et nappes éthérées s’y mêle aux chœurs liturgiques du Budapest Art Choir pour des ascensions orchestrales dont les élans portent finalement plus d’espoir et de foi en la vie que de tristesse ou de regrets. Les bijoux Mysterium, Elegy et surtout Things of Beauty Burn en témoigneront par vos larmes dès la première écoute : le chef-d’œuvre d’Hammock n’est plus à faire.




26. Chelsea Wolfe - Hiss Spun (Sargent House)




"Le songwriting fantomatique et tourmenté de la prêtresse goth rock du label Sargent House qui n’en finit plus d’arroser d’acide l’héritage de Siouxsie atteint des sommets de ferveur magmatique sur ce bouillonnant Hiss Spun, tirant le meilleur de chacun de ses prédécesseurs. Ici, complaintes vocales à fleur de peau, chants de sirènes pernicieusement éthérés voire même sur Vex le growl furieux d’Aaron Turner se frottent aux dissonances des guitares (les tempétueux Spun et Scrape), aux distorsions d’irrépressibles murs de riffs apocalyptiques (16 Psyche), aux grondements sépulcraux de drones électriques viscéraux (Particle Flux, Welt) et aux martèlements tout aussi implacables si ce n’est carrément épileptiques de la batterie entre deux relatives "éclaircies" doom ambient asphyxiantes et funestes (The Culling). Pour peu de s’y plonger corps et âme, ce sixième opus est peut-être bien le plus magnétique et puissant du lot. A écouter très fort, et dans le noir."


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25. Brian Harding & Matt Christensen - October II (Autoproduction)




La sortie la plus magnétique du leader de Zelienople en 2017 - enfin parmi celles que l’on a réussi à écouter, parce qu’il y en aura eu pas moins de 30 en tout, dont une majorité de LPs et même un double album - l’associe pour donner suite aux radiantes méditations synthétiques dOctober au bassiste des sus-nommés, mais ceux qui s’attendaient à une resucée des rêveries pour guitare amplifiée et Korg stellaire de l’opus précédent risquent d’être surpris par ces trois progressions démesurées allant de 22 à 26 minutes, dont les fantasmagories tantôt dronesques, kosmische ou dark ambient semblent déambuler à vue dans le vide glacé du cosmos, à la pâle lueur d’astres lointains qui se meurent, explosent et disparaissent dans le néant au son des arpeggiators ascensionnels, grouillements analogiques, saturations lancinantes et autres harmonies de synthés au spleen rétro-futuriste orchestrés par l’Américain - une fois de plus l’un des nos artistes incontournables de l’année écoulée.




24. The Body & Full of Hell - Ascending a Mountain of Heavy Light (Thrill Jockey)




"Forts d’un déjà bien impressionnant One Day You Will Ache Like I Ache en commun chez Neurot l’an passé, les hardcoreux ricains de Full of Hell s’associent à nouveau avec le duo metal/noise mutant de Portland, The Body (dont le récent EP autoproduit A Home on Earth vaut également son pesant de souffrance auditive et d’envoûtement crépitant et larsenisant), cette fois chez Thrill Jockey. Si Ascending a Mountain of Heavy Light persiste par moments dans le doom noisy aux nappes électriques liquéfiées et déstructurées plein de hurlements de torture et de riffs plombés, les beats post-industriels voire pratiquement techno (Earth is a Cage) se font cette fois particulièrement apocalyptiques entre deux échappées plus free (Our Love Conducted with Shields Aloft), donnant des élans de fin des temps à un album qui semble faire de la déchéance amoureuse le combustible de son atmosphère déliquescente, bien qu’étrangement le chant fantomatique de Chrissy Wolpert qui hantait les précédents opus de The Body s’y fasse très (trop ?) discret."


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23. Dag Rosenqvist & Matthew Collings - Hello Darkness (Denovali)




Si vous pensiez avec raison que le digital c’est le mal, Dag Rosenqvist (Jasper TX, From the Mouth of the Sun) et Matthew Collings vous réjouiront certainement pour avoir composé la BO idéale de notre époque de rapports humains désincarnés, la tension cinématographique délicate et imposante à la fois du premier se nourrissant du sens du contraste encore plus saisissant qu’à l’accoutumée des collisions entre acoustique baroque, électronica organique et tsunamis de bruit blanc numérique du second, dès l’entame It Was Digital, and It Was Beautiful... car non, malgré le smiley triste qui orne la pochette et le titre évident de ce nouvel opus du Suédois et de l’Écossais (déjà responsables en duo il y a 5 ans de cet EP proprement fabuleux), et par delà la menace tectonique et stridente du dévastateur Renaissance, tout n’est pas complètement ténébreux dans notre univers de 1 et de 0, et du piano aux pulsations animales de You Don’t Have To Tell Me About Hell au drone ascensionnel de The Age of Wire and String, il y a autant de beauté harmonique que de bruitisme malaisant sur ce Hello Darkness à faire figurer en bonne place dans tout panthéon drone/ambient 2017 qui se respecte.




22. Damu The Fudgemunk - Vignettes / Insight & Damu - Ears Hear Spears (Redefinition Records)




"Grand bonhomme méconnu du hip-hop ricain, Insight donnait de la voix sur deux albums cultes et indispensable des années 2000, le I Phantom de Mr. Lif et surtout Beauty and the Beat de son copain Edan. Cette fois c’est au côté d’un inconnu au savoir-faire insolent qu’il explose à nouveau, Damu The Fudgemunk, un peu le DJ Shadow underground de cette année 2017. La verve humaniste à l’ancienne du Bostonien concurrence celle d’un Blueprint et fait des merveilles sur le généreux Rather Unique autant que sur le fataliste All Human, sommet de ce chef-d’œuvre atemporel à découvrir d’urgence. Ensemble, les deux compères remettent le less is more au goût du jour, un boom bap classieux aux samples fabuleux tantôt dramatiques (les cordes d’All Human ou de Never Be The Same, classique instantané qui pourrait sortir tout droit dIllmatic avec son instru à la Large Professor) ou plus light (cf. la magie cristalline d’Aight If You Bite ou la classe soulful baroque de When Are We Gonna Get It Together) façonné par Damu via son talent inné pour la construction d’une ambiance et d’un beat avec un minimum de moyens pour un maximum d’effet, qui culmine sur You Couldnt See Me." Ce dernier fait d’ailleurs preuve d’une économie encore plus impressionnante sur Vignettes, album instru qui en comparaison d’un Endtroducing peut d’abord donner l’impression d’un humble artisanat boom bap et pourtant au gré des 12 minutes de groove urbain aux accents presque stellaires de The High Light Zone ou Get Lost To Be Found, la sensation d’easy listening s’estompe devant la subtilité des variations qui président aux irrésistibles progressions de ces morceaux-fleuves. Une science du détail et du crescendo atmosphérique qui appose peu à peu sa patte sur Current, méditation de plus de 18 minutes (et qui pourtant passe toute seule, c’est dire) sur la nécessité d’accepter la mort comme inéluctable et faisant partie de la vie, dont le motif samplé de clavier cosmique disparaît puis reparaît plus loin sur le très chill Perpetual Purpose puis sur l’épilogue Ascension to Earth, comme un fil conducteur mouvant qui évoque finalement tout autant l’impressionnisme de Massive Attack que les premiers travaux abstract du beatmaker de feu Mo’Wax. Qu’il infuse ses instrus de soul vibrante à la Al Green (Plea Jargon), de jazz vocal aux arrangements rétro (les désarmants Offering et Grace Value) voire de blues et de rock psyché (Conviction, Solitary Refinement), rende un hommage vibrant à l’âge d’or du hip-hop sur le liquide Rememberance ou invite Raw Poetic à rapper sur un Openings percutant aux cordes capiteuses et aux cuivres de western urbain, le beatmaker de Washington ne se départit jamais de cette dimension spirituelle et de ces qualités oniriques qui font de Vignettes un album si personnel et unique.


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21. Esmerine - Mechanics Of Dominion (Constellation)




On attendait forcément avec impatience le retour du groupe le plus singulier de l’écurie Constellation, dont on vous vantait les méditations acoustiques aux emballements polyrythmiques du cristallin La Lechuza en 2011, l’ethno-folk-rock de chambre de Dalmak deux ans plus tard et les rêveries arabisantes déjà plus électrifiées du fabuleux Lost Voices en 2015. Mais lorsque le combo toujours emmené par le percussionniste et batteur Bruce Cawdron et l’ex violoncelliste de Set Fire to Flames et A Silver Mt. Zion, Beckie Foon (dont le départ de ces derniers coïncida bizarrement en 2008 avec le début d’une chute d’inspiration assez flagrante) insuffle dans ses élégies orientales aux cordes capiteuses une ferveur pianistique néo-classique (des cascades minimalistes à la Philip Glass de The Space In Between aux accords tourmentés du poignant Northeast Kingdom) et des crescendos post-rock plus typiques du label canadien sans jamais tomber dans les clichés du genre pour autant (cf. La Lucha Es Una Sola tous cuivres et marimbas en avant, l’apocalyptique et saturé La Plume Des Armes, la fougueuse ignition presque free à mi-chemin du révolté Que Se Vayan Todos ! ou encore les tiroirs rythmiques du morceau-titre), ça donne un album encore plus intense et puissant que ce à quoi Esmerine nous avait habitués jusqu’ici.