Ramesses - Possessed By The Rise Of Magik

Possessed By The Rise Of Magik, le nouvel album des doomsters de Ramesses, est une bonne gueule de bois : mal à la tête, le ventre disloqué, les idées entortillées et pas claires mais le regard affuté dévoilant la réalité telle qu’elle est, sans artifices. La musique du trio est toujours sale et brouillonne mais dans le même temps parfaitement hypnotique et addictive. Et d’une noirceur de plus en plus inquiétante.

1. Invisible Ritual
2. Towers Of Silence
3. Sol Nocivo
4. Plague Beak
5. Duel
6. Safety In Numbness
7. Possessed By The Rise Of Magik

date de sortie : 10-05-2011 Label : Ritual Productions

Ce nouvel album de Ramesses est à la fois absolument dégueulasse et complètement jouissif. À sa manière, un disque qui ressuscite Kazimir Severinovitch Malevitch et son célèbre monochrome, « le carré blanc sur fond blanc », un carré tout bizarre dont aucun angle n’est droit et qui n’apparaît que par une différence de matité avec le fond. Avec Possessed By The Rise Of Magik, Ramesses, un peu comme le peintre originaire de Kiev, atteint l’abstraction pure, arrache le monde des mains de la nature pour se concentrer sur ses propres entrailles et délivre, lui, son carré noir sur fond noir. Comme tout ce que le groupe a pu enregistrer auparavant, ce nouvel album exsude encore une fois une espèce d’aura glacée, proche du zéro absolu et franchement saisissante. Mais cette fois-ci, Ramesses pousse le bouchon très loin et joue avec les limites qu’il a pourtant très patiemment édifiées depuis 2003.

Pour celles et ceux qui ne les connaissent pas, ces Anglais du Dorset ont toujours entretenus une certaine ressemblance avec Electric Wizard. Il faut dire qu’à l’origine de Ramesses, on trouve Tim Bagshaw et Mark Greening, deux musiciens également impliqués avec Jus Oborn dans les origines du grand Sorcier Électrique (ils ont, en particulier, participé à l’enregistrement du génial Dopethrone). Et si, pour Ramesses, Tim Bagshaw a troqué sa basse pour une guitare, Mark Greening a quant à lui conservé son feeling tout néandertalien aux baguettes. Adam Richardson (ex-Lord Of Putrefaction entre autres) vient compléter le line-up et s’occupe de la basse et du, euh..., chant. Bref, les accointances avec Electric Wizard sont donc inévitables, en revanche, Ramesses est quand même largement plus brouillon et franchement moins gentil. La musique du trio œuvre évidemment dans le doom, mâtiné toutefois de relents death, sludge et même post-punk sur ce disque. Ce qui n’a rien de très original (quoique !), nombre de groupes pratiquent déjà ce type de musique (mais peut-être pas avec des accents post-punk si marqués), mais Ramesses a pour lui un côté complètement désespéré (qui vire largement au malsain) des plus intéressants. Ce qui fait la différence, c’est que chez ce trio, le désespoir et la rage ne semblent aucunement feints, ils sont au contraire bien réels et à de multiples reprises, le groupe vient tutoyer les sommets de noirceur glauque et poisseuse atteints par Khanate avant lui (dont la musique n’a absolument rien à voir). Ramesses donne l’impression d’avancer avec ses démons. Ce côté sordide, lugubre et glacé représente l’essence même de leur musique, bien loin d’être une façade stéréotypée qui fait que le groupe sonne comme ça car il fait du doom. Non, le groupe sonne comme ça parce qu’il est comme ça et ses fantômes ne sont malheureusement pas d’apparence. Il suffit d’ailleurs de croiser le regard que le trio nous lance sur la pochette pour bien comprendre qu’il ne plaisante pas. Un regard qui fout la pétoche. Cette pochette d’ailleurs est vraiment très intéressante. Jusqu’ici, le nom du groupe était toujours accompagné des fioritures chères au genre dans lequel le trio évolue, stylisé mais lisible sur fond d’images, belles certes, mais assez balisées. Là, c’est complètement autre chose, on dirait presque la pochette du Down By The Jetti de Dr. Feelgood en négatif, le nom du groupe en lettres bâtons blanches sur fond noir et les musiciens pris sur le vif, l’air pas contents, comme surpris en plein milieu d’une répétition. Et là encore, même si leur musique n’a rien à voir, on y retrouve cette même sécheresse, cette absence totale d’artifices dans le but d’éviter tout embellissement, cette volonté farouche de ne pas tricher.

Avec en sus, cette fois-ci, un soin quasi-maladif porté sur le son même du disque, son grain, sa tessiture : on dirait une démo. Enregistrée dans une pièce confinée qui plus est, directement dans les conditions du live. D’où cette atmosphère lointaine, légèrement étouffée qui contribue largement à rendre Possessed By The Rise Of Magik des plus singuliers dans la discographie de Ramesses. Les variations sont nombreuses et l’on passe allégrement d’un titre ouvertement doom mais franchement lo-fi (Invisible Ritual) à des digressions presque cold wave – on dirait vraiment entendre The Cure à plusieurs reprises, basse rampante en avant, lors des 11 minutes de Possessed By The Rise Of Magik, dans l’introduction de Plague Beak ou encore de Safety In Numbness par exemple – et tout un tas d’autres échelons dans l’exploration des sonorités crépusculaires, entraînant des différences de texture et de matité, de rythme et d’attaque (celle-ci n’est pas obligatoirement frontale et les potards ne sont pas toujours dans le rouge) qui font apparaître une grande hétérogénéité dans la très monolithique noirceur de l’ensemble. Le chant savamment approximatif achève de maintenir l’édifice dans le bancal. Un chant incantatoire qui en rebutera certainement beaucoup, parfois guttural, majoritairement écorché et clair mais avec une diction qui donne plus d’une fois la curieuse impression qu’Adam Richardson était ivre mort au moment de l’enregistrement. Et pourtant, le tout s’accorde parfaitement à cette basse énorme qui vient rehausser le tapis de riffs répétitifs et hypnotiques, de longs soli efficaces charriés par cette guitare au grain infiniment sombre. Il en résulte une alchimie vraiment particulière (d’ailleurs, Misanthropic Alchemy n’était-il pas le titre – parfait – de leur premier long format ?), franchement casse-gueule mais qui tient miraculeusement debout et qui trouve probablement ici son épiphanie. En particulier sur les réussites incontestables que représentent Plague Beak (où Ramesses fait du Ramesses), Safety in Numbness (où Ramesses fait autre chose que du Ramesses tout en restant lui-même, un titre qui résume d’ailleurs parfaitement l’album à lui tout seul) ou encore Towers Of Silence et son chant difficile qui ruine complètement le morceau mais dont on a pourtant du mal à imaginer qu’il pourrait être autre chose et surtout Sol Nocivo et ses sirènes crépusculaires qui cernent un morceau déliquescent, brutal et lent.

Misanthropic Alchemy et Take The Curse étaient déjà excellents, Possessed By The Rise Of Magik est simplement impressionnant. À la fois plus lourd qu’un jour de canicule et plus froid qu’un iceberg, Ramesses donne l’impression de foncer droit dans le mur, de s’enfoncer irrémédiablement dans des profondeurs dépressives insoupçonnées. Et nous, probablement un peu voyeurs, un peu masochistes, on a très envie de les suivre. Mais certainement pas de leur tourner le dos. Trop peur de se prendre un coup par derrière.

Approximativement magnifique.

Chroniques - 04.07.2011 par leoluce
 


Articles // 28 décembre 2011
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Le titre ne trompe pas, voici donc vingt disques présentés succinctement. Certains ont fait l’objet d’une chronique, d’autres non et un bilan, ça permet aussi de réparer certains oublis.