Alva Noto + Ryuichi Sakamoto - Summvs

Cinquième et dernier volume de la série VIRUS imaginée par Alva Noto et Ryuichi Sakamoto, Summvs poursuit la voie défrichée par ses prédécesseurs : toujours la même charte graphique – un rectangle blanc, deux carrés de couleur – et toujours la même musique, hors du temps, minimaliste, lente, parfois abstraite toujours fascinante et pour finir incontestablement magnifique.

1. Microon I
2. Reverso
3. Halo
4. Microon II
5. Pionier IOO
6. Ionoscan
7. By This River
8. Naono
9. Microon III
10. By This River – Phantom

date de sortie : 09-05-2011 Label : Raster (Raster-Noton)

Il m’en aura fallu du temps, non pas pour arriver à poser quelques mots sur Summvs, ce que je suis en train de faire, mais pour simplement arriver à la conclusion que cela ne servait probablement à rien. Ce disque se suffit à lui-même : il est d’une beauté fulgurante. Dès lors, est-il réellement nécessaire d’expliquer pourquoi ? J’y vais, je n’y vais pas, j’écris, j’efface, je recommence, j’arrête à nouveau. Bref, cette chronique n’est que le résultat d’une longue valse-hésitation. Donc, ici, pas de décorticage, enfin un peu mais pas trop. En revanche, l’envie de faire passer le truc, de défendre l’album même si, ça aussi, il n’en a certainement pas besoin. Encore une fois, il se suffit à lui-même. Mais voilà, à l ‘instar de tous les opus de cette série acrostiche débutée en 2002 avec le fabuleux Vrioon, il faut l’avoir. Ce disque nettoie tout sur son passage, on aura beau écouter des tonnes de trucs extrêmes, sombres, dégueulasses, lumineux, tarabiscotés, influencés, mélangés et j’en passe, il y aura toujours un moment où l’on reviendra à Summvs et par extension aux cinq volumes de VIRUS.
Summvs, comme ses prédécesseurs, est une enclave autonome, une île déserte sur laquelle on sait pouvoir poser l’oreille avant de repartir à l’assaut de citadelles différentes, moins minimalistes, plus véloces, moins glacées, plus obscures ou féroces.
Il coule à l’intérieur du corps et fait oublier tout le reste. On pourra toujours louer sa grande élégance, son minimalisme, sa retenue, dire qu’il est simplement parfait mais, finalement, à quoi bon ? Fin de la chronique. D’un autre côté, il est peut-être intéressant d’essayer d’expliquer qu’il ne s’agit pas là d’une beauté papier glacé, la musique du duo n’est pas un mannequin aux courbes retravaillées et illusoires, elle est au contraire authentique. Électro-acoustique. Ici, on se demande en permanence comment Ryuichi Sakamoto et Alva Noto réussissent à suggérer tant avec si peu. Derrière tout ça, il y a bien évidemment beaucoup de talent mais ce n’est pas tout, probablement aussi un petit quelque chose en plus, de très mystérieux, qui se niche quelque part au cœur de leur collaboration et qui transcende leur musique.

Écouter les marteaux parcimonieux de l’un s’envelopper des circonvolutions élégantes et synthétiques de l’autre demande énormément à l’auditeur, peut-être encore plus qu’à l’habitude avec cet opus-là mais franchement, en retour, le jeu en vaut largement la chandelle. Certes aride, parfois même difficile – définitivement, la musique du duo n’est pas une musique d’ambiance et l’écouter en faisant autre chose n’a que peu d’intérêt, c’est prendre le risque de rater quantité de choses à mon avis – et extrêmement minimaliste, elle nous réserve pourtant son lot de plages éthérées et paradisiaques où il fait bon promener ses tympans. Le toucher hypnotique du Japonais s’accorde parfaitement à l’électronique discrète de l’Allemand. Ryuichi Sakamoto égrène ses notes une à une en les détachant nettement, des notes raréfiées, qu’il fait naître avec une grande parcimonie et qu’il laisse résonner longtemps et dans le même temps, Alva Noto façonne un genre de maïeutique électronique, suggérant à ses machines toute la subtilité dont il les sait capables, extirpant des microprocesseurs une dentelle synthétique aux mailles extrêmement fines, aux nombreux micro-accidents, crépitements et infra-sons, aux pulsations ténues : séquences très répétitives à l’édifice fragile. Le résultat est d’une rare élégance. Difficile d’expliquer l’alchimie très particulière à l’œuvre ici : beaucoup de silence, énormément, habillé de notes et de bruits. Le piano résonne et se tait, des frémissements électroniques prennent la place puis à nouveau le piano, une nouvelle note et ainsi de suite et de cet environnement on ne peut plus minimaliste, pourtant, quelque chose naît, quelque chose de simplement beau. Une symbiose parfaite, chacun étant à l’affût de l’autre, complétant ses séquences ou agissant de concert avec lui et puis, encore, cette impression que le duo n’est pas seul, que le silence lui-même fait partie de leur association comme un membre invisible mais bien présent, agissant lui aussi dans l’édification de ces pièces singulières qui lui doivent beaucoup.

Minimalisme et majesté, on se perd assez rapidement dans Summvs, on se fond en lui et on le laisse faire. Le plaisir que l’on a tantôt à écouter les déambulations acoustiques de Ryuichi Sakamoto, tantôt à observer le détail des strates qui constituent le mortier électronique de Carsten Nicolai et puis le plus souvent à faire les deux en même temps, est du genre long en bouche et ne semble pas vouloir montrer de signes d’épuisement. Pas de points faibles, de séquences moins enthousiasmantes que les autres, du triptyque Microon parfaitement équilibré et symétrique, particulièrement bien placé (le piano mène la barque sur la première partie puis navigue de concert avec l’électronique sur la deuxième avant que celle-ci ne prenne la direction des opérations sur Microon III), des deux exceptionnelles relectures de By This River, l’une habitée, dénotant tout le respect des deux compères pour ce sublime morceau (issu du Before And After Science de Brian Eno) et l’autre qui clôt le disque, plus longue, plus lente où cette fois-ci ils inversent les rôles, Alva Noto emmenant la mélodie quand Ryuichi Sakamoto l’habille de ses accords encore plus rares mais toujours majestueux, le duo poussant le morceau jusqu’à la cassure, se l’appropriant ainsi totalement, il en résulte une séquence longue et sourde qui nous accompagne doucement et délicatement au terme de l’écoute. Et puis, il y a évidemment tout le reste, ces magnifiques Reverso, Halo ou Naono (dont la mélodie, à chaque fois, me fait tomber par terre), parfaitement opalescents comme si le duo tentait de reproduire l’air qui les entoure sur du papier calque avec un crayon à mine fine, ce qui est une sacrée gageure. Que ce soit de l’acoustique vers l’électronique – quand les accords majoritairement mineurs du piano se retrouvent habillés de circonvolutions synthétiques lumineuses – ou de l’électronique vers l’acoustique – lorsque les séquences mouvantes et détaillées d’Alva Noto sont jalonnées de notes de piano, autant de balises acoustiques qui permettent de suivre son cheminement électronique – Summvs amène de toute façon l’auditeur vers une transe ouatée et contemplative dont il est bien difficile de se détacher. Encore une fois, une symbiose, chacun au service de l’autre et les deux au service d’un disque qui ne pouvait mieux clore cette incroyable série qui malheureusement semble s’arrêter ici. Espérons qu’il y ait une suite ou une nouvelle série peut-être, une nouvelle fois acrostiche mais avec un mot comprenant bien plus de lettres, paramyxovirus par exemple et pour rester dans la microbiologie ou même hgjhftitkljgomy s’ils le veulent... N’importe quoi pourvu qu’ils continuent. Longtemps.

Simplement beau et magique.

Chroniques - 18.07.2011 par leoluce
 


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