Mr Protector - Gumbo

Nouvelle saillie noise locale et iconoclaste balançant une multitude de riffs tronçonneuses contre des cathédrales rythmiques et carrées, voici venu Mr Protector et son Gumbo furibard, multilingue et métamorphe qui a trouvé bien vite le chemin de la platine et ne s’en est jamais éloigné trop longtemps depuis.

1. It’s All About A Rise To Pleasure
2. Zeit Und Raum
3. Mirror
4. Das Felsen Von Carlong
5. Grabstein
6. The Glory
7. Skinny In The Universe
8. Don Benito

date de sortie : 16-02-2013 Label : À Tant Rêver Du Roi

Voilà un disque que l’on aura encore une fois bien du mal à catégoriser. Et si de la première à la dernière seconde, il y a certes un mot qui affleure, susceptible de lui convenir parfaitement - le mot « noise » - on se rend tout de même bien vite compte qu’une fois que l’on a dit ça, on n’a en fait rien dit. Parce qu’il s’agit avant tout d’un terme générique qui recouvre des usages différents et on serait bien en peine de trouver un quelconque point commun entre, au hasard, Jesus Lizard et Merzbow par exemple. Pourtant, ils jouaient pour les uns et joue pour l’autre de la noise. Donc, oui, Mr Protector joue, lui aussi, de la noise mais on ne sait pas trop laquelle. À défaut, on avancerait bien que Mr Protector les joue toutes mais là aussi, on n’aurait pas tout à fait raison. Ni totalement tort. Car Gumbo, au travers de ses huit titres, frappe avant tout par sa grande diversité. Une diversité bien plus importante que sur son premier long format, Pétrole, qui pourtant montrait déjà, lui aussi, de nombreux visages. De ce It’s All About A Rise To Pleasure introductif et échevelé au Don Benito final, haché menu et saccadé, le groupe nous fait passer par à peu près toutes les nuances de l’agression sonore avec une frénésie et une jubilation telles que c’est aussi exactement ce que l’on ressent à son écoute.

Mais cette manière très particulière d’injecter une bonne dose d’altérité dans sa mixture en apparence très homogène n’est pas la seule arme du trio qui, à l’instar de sa musique, multiplie également les dialectes pour éructer sa rage ou murmurer son propos : pour cinq titres crachés en anglais, trois autres le sont en allemand et à l’époque de Pétrole, d’autres encore usaient du français (que l’on retrouve d’ailleurs subrepticement dans Skinny The Universe). Son originalité vient aussi de là. Et du fait, pour finir, de se passer de basse pour se concentrer sur une batterie protéiforme accompagnée de deux guitares barbelées. Et l’absence d’ondes caoutchouteuses, loin d’empêcher de lier descentes de toms et riffs sauvages, influe directement sur l’identité sonore de la formation : Mr Protector se révèle en permanence affûté et tranchant. Lorsque les deux guitares se complètent parfaitement, l’une occupant les sous-bassements quand l’autre multiplie les lignes de fracture dans lesquelles s’engouffre la batterie, le groupe créé une dynamique chirurgicale habillée de lames de rasoir qui écorchent le cortex, sectionnent les axones et déchiquettent les tympans. Il en résulte des titres immédiats dont l’apex se faufile sans peine jusqu’au ventre pour y déverser des nuées de papillons qui s’y égaient alors tranquillement. Bref, Gumbo est avant tout un disque où l’on se sent bien et où l’on aime passer du temps, à l’aise avec sa dynamique et l’ensemble des styles qui définissent celui du trio.

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On passe ainsi d’It’s All About A Rise To Pleasure et son rock typiquement noise et rapide tout en break et riff haché au « Einige Monster » crié en ouverture de Zeit Und Raun puis aux chœurs et à l’évidence mélodique de Mirror. En seulement trois titres, Mr Protector enferme ainsi l’auditeur dans ses filets et il choisit le quatrième pour décocher sa plus belle flèche, un Das Felsen Von Carlong qui n’hésite pas à fureter du côté de Fugazi pour voir si son Slint y est meilleur. Il l’est. Un titre plus long que les autres qui achève la première face. Et ça tombe bien, la deuxième est exactement du même acabit. On sera plus réservé sur le refrain de Skinny In The UniverseMr Protector oublie sa finesse pour quelque chose d’un peu trop évident et testotéroné, mais c’est bien là la seule incartade d’un Gumbo partout ailleurs parfaitement classe, jusque dans ce Don Benito final qui convoque le saxo de Tom Bodlin pour un titre furieux qui résume très bien ce que l’on vient d’entendre. Une concassée de noise aux mille facettes qui sait comment s’y prendre pour surprendre l’auditeur et éloigner pour longtemps toute crainte de lassitude. Exécuté la rage au ventre avec une fraîcheur authentique, Gumbo est en permanence revêche, tendu et à aucun moment renfrogné. Bref, en un mot, irrésistible.

David Escouvois (batterie/chant), Quentin Deligne (guitare/chant) et Johann Gros (guitare/hurlements) jouent serré et n’ont peur de rien, même pas de la complexité bien réelle qui habite chaque recoin de leur musique. La dynamique alambiquée que montrent les morceaux ne passe jamais au premier plan et n’est jamais utilisée au détriment de l’urgence. Celle-ci en permanence préservée altère le temps et le disque semble se terminer dès qu’il a commencé, le changement de face est alors bien salutaire pour reprendre son souffle. Une galette verte couleur sapin cachée sous une pochette cryptique et psychédélique (imaginée par Mathieu Desjardins) qui, si elle ne laisse pas présager de la teneur du propos, montre tout de même qu’elle renferme quelque chose qui est loin d’être simplement simple. Un disque qui trouve parfaitement sa place au sein du formidable A Tant Rêver Du Roi qui continue à abreuver, depuis sa base atlantique et pyrénéenne à la fois, le reste du monde de ses trouvailles noise iconoclastes et hors normes. Un disque qui illustre également la grande vitalité de la scène charentaise (on retrouve d’ailleurs Furne Records à la co-production) et de son épicentre, Jarnac, à l’heure où l’un de ses plus fameux représentants raccroche les gants. On croise les doigts pour que Mr Protector ne fasse pas de même et continue longtemps à nous envoyer de si cinglants messages.

Dies ist, was wir ihnen wünschen, ou quelque chose comme ça.

Jubilatoire.


Pour vous familiariser avec Mr Protector, on ne saurait trop vous conseiller de jeter une oreille aux quelques titres suivants.

Chroniques - 04.03.2013 par leoluce