Comité d’écoute IRM - session #9 : †††, Liars, Röyksopp/Robyn, Sole/DJ Pain 1 & Sébastien Tellier

Ça n’est pas parce qu’on n’en avait pas encore parlé qu’on n’a rien à en dire : chaque semaine, les rédacteurs d’IRM confrontent leurs points de vue sur une sélection d’albums de l’actualité récente.

Au cœur de cette 9ème série qui devrait bousculer quelques idées reçues, cinq "mal-aimés" qui ne le furent pas toujours et qui pour certains l’ont bien cherché en flirtant depuis quelques disques avec le racolage radiophonique ou la médiocrité. Disgrâce méritée ou malentendu, sursaut qualitatif ou confirmation d’un talent gâché, à l’équipe de se prononcer en son âme et conscience sur ces nouvelles sorties !


††† (Crosses) - ††† (Sumerian)



Elnorton : ††† est clairement un disque sous influences. Cela n’a rien d’inavouable, mais le problème réside dans le fait que la bande de Chino Moreno oscille entre références largement avouables (on pense aux Smashing Pumpkins des premiers albums, et ce, jusqu’à certains tics vocaux d’un chanteur qui, dans le cas de Crosses aurait cependant oublié d’avoir la voix nasillarde) et d’autres plus discutables (Green Day) en passant par des entre-deux (les Deftones, évidemment ou même Coldplay). Trop éparpillé donc pour que j’y revienne régulièrement, mais je ne cacherai pas un plaisir immédiat à l’écoute du disque.

Le Crapaud : Je n’attendais plus grand chose de Chino Moreno, qui depuis quelques années m’agace sérieusement, avec son chant plaintif, outrageusement maniéré, et surtout, si peu pertinent depuis les grandes heures de Deftones. Le projet Team Sleep m’avait déjà laissé de marbre, et en 2012, Palms, à peu près pareil, mais peut-être d’un autre marbre. Bref, à la sortie de cet album éponyme du groupe aux trois croix, je n’ai pas sauté de joie, mais je me suis dit "peut-être que cette fois...". Non, décidément, ce mélange de rock FM, de pop sombre et languissante et de sonorités électro datées, ne me semble pas une réussite. Alors parfois, quand même, on surprend un souffle d’inspiration derrière un refrain évident, d’autre fois, c’est une ambiance, pas trop dégueu, ou un beat, plutôt bien envoyé. Mais dans l’ensemble, c’est faible, kitsch et répétitif... Tiens, je vais réécouter White Pony...

Rabbit : Eh bien moi non plus je n’en attendais pas grand chose de ce Crosses, et pour cause à l’exception d’une paire de singles les Deftones ne m’ont jamais fait grand effet. J’en suis donc le premier surpris mais ce retour au lyrisme sombre et testostéroné des 90s m’a fait plutôt belle impression, un premier degré paradoxalement presque frais en ces temps d’ironie et de culte daté aux années 80. Avec une démarche finalement assez proche de Peeping Tom il y a quelques années (en plus radiophonique, certes, on parle de Chino Moreno là, hein, pas de Mike Patton), ††† fait feu de tout bois, "gros son" nu-metal calibré mais finalement doté d’une production digne de ce nom et downtempo cinématographique lorgnant sur le trip-hop, électro-rock atmosphérique aux crescendos mélancoliques (on pense presque à Archive sur Nineteen Eighty Seven ou l’instrumental Cross) et hymnes post-adolescents sans complexe, la recette n’invente rien mais s’avère généreuse et le songwriting attachant sous ses dehors bateau.

Riton : Serait-ce par nostalgie d’un groupe beaucoup écouté à l’adolescence ( Around The Fur et White Pony surtout en tête), mais tout ce que touche Chino Moreno, excepté un Palms sans réel intérêt, a décidément toujours trouvé bon accueil dans mes oreilles. Pour moi la recette fonctionne à merveille avec ††† (Crosses), même dans ses aspects les plus kitsch et bien que l’impression de connaitre les morceaux sans les avoir trop écoutés en dise long sur l’originalité. Peu importe j’en redemande !




Liars - Mess (Mute)



Rabbit : Pas foncièrement client des débuts braillard et arty des New-Yorkais que beaucoup semblent révérer pour d’obscures raisons, leur basculement progressif vers un rock moins savamment déglingué aux atmosphères prégnantes qui culminait sur Sisterworld en 2010 m’avait nettement plus convaincu, me permettant finalement d’apprécier ce virage électro dark où la synth-pop pour vampires modernes du trio de Brooklyn réalise tout son potentiel de subversion dans le contraste des intrus dancefloor faussement vulgaires et très fortement décadentes. Bel exercice d’équilibriste doublé d’une vraie efficacité, Mess aurait mérité un bien meilleur accueil.

Elnorton : Foncièrement, on ne peut pas dire que cet album soit mauvais. Mess contient son lot de beaux moments (notamment un Pro Anti Anti sur le fil). Il est néanmoins dommage que les circonvolutions électroniques et les rythmiques associées soient trop répétitives. Moins ambitieux que par le passé, les Américains font le boulot mais évoluent désormais en deuxième division, en témoignent quelques passages évoquant l’électro-rock à tendance disco des Français de Poni Hoax.



Le Crapaud : J’aimais bien les Liars... Découverts sur le tard, avec WIXIW, j’avais pris plaisir à parcourir le chemin sinueux qui les avait conduits, depuis 2002, à cet album étrange et réussi. J’ai compris que ce trio expérimentait dans le froid une déconstruction systématique du rock, se métamorphosant à chaque nouvelle intervention dans une animal non répertorié. Mais en les voyant lors de la tournée de WIXIW, j’ai également compris que leur nouvelle direction marquait finalement une rupture radicale avec la branche noble de l’indie rock, pour préférer se greffer, de façon commerciale et forcément artificielle, à sa bouture la plus moisie. Déjà très clairement arty à leurs débuts, les Liars ont sombré vulgairement hipster. Cet album, bonbon techno à l’opportunisme outrancier, me dégoute. Je ne suis même pas sûr de vouloir connaître le visage de leur prochaine métamorphose... en tout cas, celui-ci, même si je dois être seul, je m’y oppose !


Röyksopp & Robyn - Do It Again (Dog Triumph)



Elnorton : Fan de la première heure de Röyksopp, je n’avais même pas regretté le virage plus dansant emprunté par le duo sur Junior. En revanche, Senior, l’album suivant constituait à mon sens le premier échec discographique des Norvégiens. Si la démarche consistant à revenir vers des ambiances moins immédiates était tout à fait louable, Röyksopp avait perdu en route les moyens de ses ambitions, tout simplement.
Avant un prochain album qui devrait bientôt voir le jour, cet EP réalisé avec Robyn me rassure quant à l’avenir du duo. Il vient par ailleurs confirmer le bien-fondé de ce trio déjà expérimenté avec brio sur The Girl And The Robot en 2009. Entre trajectoire hypnotico-labyrinthique et presque chamanique (Monument), house déjantée (Sayit), mélancolie retenue et bienvenue (Every Little Thing) ou l’instrumental Inside The Idle Hour Club sur lequel Röyksopp renoue avec ses plus belles heures, il y en aura pour tous les goûts. Peut-être que les sirènes FM y trouveront même, elles aussi, leur compte avec un Do It Again sur lequel les avis seront probablement plus tranchants car taillé pour les clubs mais néanmoins diablement efficace, puisque jamais putassier et porté par la voix d’une Robyn pas loin d’être au sommet de son art.
Initialement, cette réunion me semblait typiquement être une fausse bonne idée. J’étais à côté de la plaque, il n’y a qu’à savourer.

Redscape : Je crois que tu as raison sur les avis tranchés Elnorton, parce que ce titre, Do It Again est à rapprocher de la mouvance électro-dance-FM que nous sert les radios nationales en 3 lettres. C’en est presque à oublier que Röyskopp est derrière tout ça. Sympa cette chanteuse, je ne connaissais pas, mais on dirait un clone vocal de je ne-sais-quel popstar à la mode. Zut, on parle de Robyn. Je pensais qu’elle pourrait poser sa voix sur quelque chose de plus "intelligent" en termes de paroles.
Pour tout vous dire, je me suis arrêté à Melody AM, et je n’ai jamais eu le temps (la flemme ?) de me replonger dans ce qu’ils faisaient. Même si je dois leur connaître une petite velléité de musique dansante, je ne savais pas ce virage aussi marqué. En réalité, à part ce faux-pas douteux cité plus haut, le reste s’écoute, et ne me laisse pas de goût amer dans la bouche. Mention spéciale à Monument et à Inside The Idle Hour Club, morceau qui ressemble un peu plus à l’idée que je me faisais du duo. Presque rien à jeter donc, cependant, 2 conseils : n’allez pas écouter les remixes de Do It Again (d’ailleurs on peut y entendre que l’on a définitivement perdu Moby), et ne vous enfermez pas comme moi dans l’écoute des morceaux plus popisants. Il y a de réelles bonnes idées, même si je pensais le duo plus imaginatif lorsque l’on se dote d’une chanteuse comme Robyn.



Rabbit : On n’y croyait qu’à moitié mais hormis peut-être la dance un peu trop fracassante sous influence euro 90s du single Do I Again donc, l’association magique de l’excellent The Girl & The Robot (l’un des tous meilleurs hits dancefloor des 10 dernières années tout de même) fait mouche sur cet EP aux formats de titres complètement atypiques pour le genre et dont les deux meilleurs morceaux, plus de neuf minutes à chaque fois en ouverture et en clôture de disque, font léviter les cœurs plus qu’ils n’agitent les jambes. Et du mélancolique et jazzy Monument jusqu’à l’instrumental Inside The Idle Hour Club flirtant avec l’ambient techno, ça n’est pas pour autant un parcours sa santé, Sayit pervertissant le clubbing moite et robotique à coups de distorsions déliquescentes dignes des Basement Jaxx d’antan, tandis qu’Every Little Thing jette un regard joliment actuel sur l’hédonisme romantique des années 80, finalement plus sincère et attachant que les incursions similaires d’un M83. De quoi remettre les Norvégiens sur de bon rails et donner enfin ses lettres de noblesse à leur égérie adulée des radios.




Sole & DJ Pain 1 - Death Drive (Africantape)



Spoutnik : Sur le papier, le truc était casse-gueule : d’un coté Sole, légende vivante du hip-hop alternatif et agitateur de conscience ; de l’autre DJ Pain 1, usine à beats trap mainstream et mangeur à tous les râteliers.
A première vue, le truc s’annonçait casse-gueule : la lente dérive de Sole depuis l’année dernière, suivi d’un mauvais Warface EP déjà avec DJ Pain 1 qui n’avait de valeur que pour le premier titre, le fulgurant Fuck Alex Jones.
Et finalement en y regardant de plus près, le truc est bel et bien casse-gueule... Les prod’ sont toutes dégueulasses et ça ratisse large dans le mauvais goût. Des guitares lourdingues de Unscorch The Earth au RnB (pseudo-politique) de Hey Liberals qu’on aurait même honte de diffuser au Macumba de Montluçon, de Death DriveDJ Pain 1 découvre qu’il y a un equalizer sur sa table de mixage aux refrains formatés NRJ12 de War et Coal, tout est à jeter. Il reste quoi ? La rage de Sole qui sauve les meubles et encore... Si Sole cherche des producteurs pour se refaire une jeunesse, Indie Rock Mag aurait deux ou trois noms à lui conseiller : Paper Platoon, Knxwledge, Lee Bannon, que des jeunes gens avec qui ça pourrait vraiment être excellent mais ce DJ Pain 1 c’est vraiment plus possible (et je suis poli) !

Riton : J’avais réussi à me réconcilier avec Sole l’année dernière après le fameux Crime Against Totality, mais cette collaboration avec DJ Pain 1 fait bien plus que de la peine. Même le côté putassier enfoui en chacun de nous n’arrivera pas à supporter ce disque et ces prod’ en carton-pâte racoleuses. Au suivant !

Rabbit : En appliquant depuis deux ans à ses albums le concept casse-gueule des mixtapes Nuclear Winter qui n’avait pourtant jamais complètement convaincu malgré la bonne dose d’humour décalé qu’autorise l’exercice, l’ancien héraut (héros ?) alt-rap du label Anticon prenait le risque de se mettre à dos une grande partie de sa fanbase pour laquelle la plus acérée des verves anarcho-satiriques ne fait pas tout. Le choix de confronter radicalité politique du propos - un engagement toujours transfiguré par la plume érudite et le flow ironique ou rageur de l’intéressé - aux productions bling-bling d’un électro-hip-hop tentant de pervertir le mainstream sur son propre terrain, finit en effet sur ce disque de décourager les admirateurs des écrins épiques, abrasifs ou mélancoliques troussés il y a de cela une décennie par Odd Nosdam ou Alias pour leur compère barbu. Pourquoi être allé chercher un DJ Pain 1 déjà pas brillant sur No Wising Up, No Settling Down, lorsqu’on sait Tim ’Sole’ Holland capable de s’entourer de cadors tels que Man Mantis, Thavius Beck, Egadz ou Skyrider pour s’acquitter de la tâche avec nettement plus de subtilité (cf. le solide Crimes Against Totality l’an dernier), ou mieux encore de s’en charger lui même comme sur l’excellent WHITENOISE : nomoredystopias  ?

Redscape : Autant vous le dire de suite : je ne connais ces artistes ni d’Eve, ni d’Adam. Je serai donc court : à éviter.
Apparemment, le rapper, c’est Sole, qui verse dans l’underground, et l’autre, c’est DJ Pain. Autant la trap music me parle quand c’est à peu près bien fait, mais là, c’est à gerber. Sole a l’air de plutôt bien s’en sortir, mais là, il faut qu’il change de producteur, c’est une horreur. Le pauvre, on le sent noyé par l’opulence de DJ Pain. Ce qu’il prend comme place ! Hey Liberals aurait été une bonne idée mais... non, définitivement, l’espèce de guitare en fond, non merci.
Bref, je vais essayer d’oublier cet album et me plonger dans les racines de cette catastrophe presque annoncée d’après Spoutnik...


Sébastien Tellier - L’Aventura (Record Makers)



Redscape : Là, je sens que ça va être très dur... J’ai suivi Sébastien Tellier jusqu’à Sexuality, album, à mon sens, incompris, mais bourré de bonnes idées (produit Guy-Manuel de Homem-Christo, moitié des Daft Punk, avant le massacre des années 10-Disney-Pharrell), mais j’avoue avoir décroché par la suite. La personnalité atypique du bonhomme ne me parlait plus, tout au plus bon à faire le guignol sur quelques plateaux télé branchouilles.
Je reviens l’écouter en cette année 2014, en essayant de vider mes a-priori, mais dès les premières notes, je n’y arrive pas. Alors oui, musicalement, c’est très agréable pour ambiancer ce bel été qui s’annonce. Coupe du Monde, fiesta, Brésil, soleil, etc... Pas de problème, les clichés sont établis. Mais on en reste là. La voix langoureuse mais léchouillante de Tellier fait tâche, trop en style, à essayer de rentrer dans quelques moules (pas fraîches bien sûr). Bref, à mettre en apéro avec des amis, et encore, s’ils supportent le kitsch et les paroles écrites sur un coin de table. Je trouve cela dommage car la France gagnerait à connaître la pop qui essaye autre chose que la soupe FM. Tellier assume ce rôle depuis si longtemps qu’il en est usé et sans surprise, et finit par ne plus étonner.

Elnorton : Du Sébastien Tellier à l’apéro ? Sortez les pistaches, j’arrive ! Vous l’aurez compris, j’ai adoré L’Aventura et, très honnêtement, j’en suis le premier surpris car c’est précisément à partir d’un Sexuality, volant quelques étages plus bas que son prédécesseur Politics, que j’avais cessé de suivre le bougre dans ses pérégrinations porcines ou bleues-sectaires.
L’Aventura n’est pas un disque parfait. Ceux qui accordent un intérêt particulier aux paroles ne pourront se satisfaire des banalités comme souvent débitées par Sébastien Tellier, celles-ci atteignant leur paroxysme sur un Ricky L’Adolescent pourtant impeccable musicalement, jonglant avec habileté entre des vents évoquant ceux de Sufjan Stevens, des percussions synthétiques et une rythmique trip-hop.
L’un des paradoxes de ce disque réside donc là. Malgré sa paternité récente, ce n’est pas avec L’Aventura que le barbu brisera son image d’éternel espiègle de la pop française. Ses détracteurs pointeront les paroles puériles et décrèteront que ce disque ne mérite pas que l’on s’y attarde. Pourtant, malgré une première impression négative, cet album, porté par des titres tels que L’Adulte, Ma Calypso ou L’Enfant Vert, mérite que l’on s’y attarde. Une fois les excès kitch digérés, ne restent plus que les arrangements - la présence d’Arthur Verocai n’y est sans doute pas pour rien - sublimes de cordes et une ambiance globale ne choisissant jamais véritablement entre allégresse et mélancolie, présentisme et nostalgie.

Rabbit : Comme Elnorton j’avais lâché l’affaire à partir de Sexuality, allergique au kitsch futuro-70s lascif et racoleur de ce mauvais virage électro-pop confirmé quelques quatre ans plus tard par le pompeux My God Is Blue. C’est donc une bonne surprise que de retrouver Tellier dans un univers à la mélancolie plus sobre et au chant presque discret sous les effets, bien aidé par le lounge bucolique et tropicaliste des arrangements d’Arthur Verocai dont l’album éponyme de 72 demeure l’un des grands monuments de la psyché-pop jazzy made in Brazil. Dommage que la nostalgie solaire de cette Aventura au pays des fantasmes d’enfance pâtisse par moments d’un regain d’ostentation discoïde (Ricky L’Adolescent) ou chansonnière (L’Amour Carnaval) assez malvenu, loin de l’équilibre impeccable de l’homérique Comment Revoir Oursinet renouant avec une certaine ambition french touch.