Little Scream - Cult Following

Avec son second album, Laurel Sprengelmeyer nous livre une sorte d’album concept très étrange et ultra glauque dans son concept, mais finalement très accessible et jamais vraiment sinistre.

1. Welcome to the Brain
2. Love as a Weapon
3. Dark Dance
4. Introduction to Evan
5. Evan
6. Aftermath
7. The Kissing
8. Wishing Well
9. Wreckage
10. Someone will notice
11. Silent Moon
12. Goodbye Everybody

date de sortie : 06-05-2016 Label : Merge Records

Nous n’allons pas présenter le disque comme d’habitude. D’abord, on va se débarasser rapidement de ce qu’on a déjà pu entendre partout en lisant le petit texte que la promo nous propose. Alors...

Oui, il y a plein d’invités sur cet album, produit et co-écrit avec Richard Perry (Arcade Fire). On y trouve Mary Margaret O’Hara, Sufjan Stevens, Sharon van Etten, les frères Dessner de The National et Kyp Malone de TV On The Radio. Rien que ça.

Oui, l’idée de l’album (et son titre) est venue à Laurel lorsqu’elle a rendu visite à des amis au sein d’une secte au Brésil (sérieux, la promo, vous pensiez qu’on allait vendre l’album avec un pitch pareil ? Z’êtes sinistres, les gars...)

Oui, c’est un album concept. Si, ça existe encore.

Non, je ne vois pas le rapport avec Charlie et la Chocolaterie (là, c’est sûrement le stagiaire qui prend des drogues chez Differ-Ant).

Bien, tout cela est évacué, on va passer à la musique maintenant. L’album est construit d’une façon très étrange et inhabituelle. Effectivement, il nous propose une progression quasi-inversée, commençant, après une rapide intro au synthé, par les titres les plus accessibles (d’abord le single Love as a Weapon, dont la structure me fait diablement penser au Emotional Rescue des Rolling Stones mâtiné d’un peu de Prince, puis un Dark Dance entraînant et pop) pour progressivement descendre dans des eaux plus calmes et bien plus troubles, entrecoupées de quelques électro-chocs psychotiques, comme ce The Kissing aux accents quasi prog et à la guitare virtuose, que n’aurait pas reniée St Vincent dans ses moments les plus guitar-hero-esques.



En ce sens, ce n’est pas parce que vous n’aimez pas le début de l’album que vous devez laisser tomber. Écoutez-le bien jusqu’au bout.

Si l’on en croit sa créatrice, ce disque serait calqué sur le Purple Rain de Prince, avec ses petits titres transitoires (Introduction to Evan ou Aftermath...) et c’est là que le destin est sérieusement cruel, car la première interview programmée pour parler de l’album est tombée pile le jour de la mort de celui-ci.

Mais, franchement, si on peut comprendre cette affirmation, on ressentira plus le stress lié à la découverte de la secte dans les intonations du disque, passant de l’espoir et à la joie des premiers titres à des accents folk bien plus inquiétants sur Evan et ses voix qui dérapent bizarrement. Laurel affirme avoir vu au Brésil des gens qui prétendaient ne se nourrir que d’air, et qui mouraient lentement de faim en développant une énergie hallucinante, due sans doute à un mélange malsain de foi et de folie pure.



Là où le disque réussit le mieux, justement, à capter cette ambiance, c’est à partir de ce milieu d’album, quand tout devient subitement plus crépusculaire et que (je cite) "le naufrage commence" avec The Kissing et ses arrangements tordus puis Wishing Well avec Mary Margaret O’Hara et sa voix d’ange sur ce titre folk aux arrangements subtils. Mais malgré cela, soudainement, on ne rigole plus. On avance vers une fin inexorable, et on comprend soudain. Ces voix d’anges qu’on entend ne sont en fait que des promesses de mort. Les tambours martiaux annoncent d’ailleurs le naufrage décrit sur Wreckage aux faux airs de bande originale onirique.

De là, on se rend tout doucement vers la fin, de plus en plus calme, bercés que l’on est dans une ambiance cotonneuse et léthargique bien loin des morceaux funky du début, flottant doucement, probablement vers cette mort par inanition, accueillis dans l’autre monde par un beau choeur de voix célestes aux accents vaguement floydiens mais pas trop (ces synthés, ce piano, quand même, sur Someone Will Notice, ultime cri d’appel désespéré pour la forme, sans vraiment vouloir être sauvés...) On n’est parfois pas si loin de la notion de pop totalement éthérée qu’était celle de This Mortal Coil, dans cette inertie agréable mais vaguement inquiétante.



Alors oui, c’est un album de pop tordue, qui réussit le grand pont, cet exploit qui consiste à être très accessible et très bizarre à la fois, à piocher un peu partout sans vraiment se disperser, être à la fois agréable et dérangeant, morbide mais pas sinistre, complexe, ambitieux et simple, et rien que pour ça, il mérite le coup d’oreille.

Ce qui conclut cette chronique, montée de manière un peu anachronique, un peu comme le disque.

Oh, et mangez, les gens. L’air n’est pas une nourriture.

Chroniques - 17.05.2016 par lloyd_cf