Car Seat Headrest - Teens of Denial

« La vie suit son cours, et parfois pas de la meilleure des manières ». Malgré son jeune âge, Will Toledo sait faire preuve de philosophie lorsque les contretemps et imprévus s’accumulent. Le dernier en date ? Rien de moins que la destruction de l’ensemble des copies de son dernier bijou intitulé Teens of Denial.

1. Fill In The Blank Voir la vidéo Car Seat Headrest - "Fill In The Blank" - YouTube
2. Vincent Voir la vidéo Car Seat Headrest - Vincent
3. Destroyed By Hippie Powers
4. (Joe Gets Kicked Out of School for Using) Drugs With Friends (But Says This Isn’t a Problem)
5. Not Just What I Needed
6. Drunk Drivers/Killer Whales Voir la vidéo Car Seat Headrest - "Drunk Drivers/Killer Whales" - YouTube
7. 1937 State Park
8. Unforgiving Girl (She’s Not An)
9. Cosmic Hero
10. The Ballad of the Costa Concordia
11. Connect the Dots (The Saga of Frank Sinatra)
12. Joe Goes to School

date de sortie : 20-05-2016 Label : Matador

Successeur d’un Teens of Style dévoilé il y a à peine plus de six mois et résumant en onze pistes le meilleur de la dizaine d’autoproductions parues sur la page Bandcamp de l’artiste entre 2010 et 2015, il va sans dire que ce nouveau cru était extrêmement attendu au sein de la rédaction.

Il faut dire que, le 25 février dernier, lors de l’édition hivernale de La Route du Rock, l’Américain avait envoyé du petit bois si bien qu’il était désormais écrit qu’il ferait partie des artistes dont on ne pourrait que suivre avec délectation les prochaines cargaisons discographiques.

Quelques mois d’attente seulement furent nécessaires pour découvrir une œuvre riche et généreuse, aussi bien dans l’agencement des différents éléments que dans la longueur d’une galette s’étirant sur près de soixante-dix minutes, là où les productions actuelles, comprenant bien la course à l’immédiateté de la société actuelle, tendent à toujours réduire le format de leurs sorties.

Du haut de ses vingt-trois ans, Will Toledo a également saisi cette accélération du rythme de la vie moderne mais, plutôt que de surfer sur cette analyse pour en faire un quelconque argument commercial, il choisit de la dénoncer dans des paroles qui font le paradoxal lien entre l’hyper-connectivité et le sentiment d’isolement d’une jeunesse forcément un peu déboussolée par cette profusion d’éléments.

Il convient de rappeler qu’avant d’être un génial songwriter, Will Toledo a surtout le profil du parfait loseur. Lunettes en cul de bouteille arborées sur un visage dissimulé par une chevelure parfois encombrante, posture empruntée, ce n’est que lorsqu’il se saisit d’un micro et d’une guitare que se décuple le charisme de celui qui a récemment quitté la Virginie pour Seattle. Aussi, il n’est guère difficile de l’imaginer comme victime de quolibets dans les couloirs de certaines high schools, de même qu’on entrevoit assez aisément l’indifférence éprouvée par l’Américain.

Paradoxal, ce dernier semble en effet prendre un malin plaisir à adopter certaines postures de slacker là où son apparence pourrait faire état d’un manque de confiance en lui. En ce sens, il y a du Mark Oliver Everett chez ce garçon, si ce n’est que Mr. E ne s’est révélé qu’une fois trentenaire à la face du monde. Précoce, Will Toledo ? Assurément. Mais il connaît surtout ses classiques.

Il a donc fait appel au producteur Steve Fisk, ce dernier ayant déjà officié aux manettes du Blew de Nirvana ou du Waters Ave S. de Damien Jurado sans occulter des collaborations avec Low, The Wedding Present ou Soundgarden. Le travail commun est assez remarquable en ce sens que la patte du vétéran apporte un son plus rêche et produit à l’ensemble sans le dénaturer. L’esthétique lo-fi est toujours très prégnante, et l’époque où Will Toledo enregistrait les parties vocales de ses compositions sur la banquette arrière de sa voiture – d’où le pseudonyme du groupe – ne paraît pas éloignée.


La combinaison de ces différentes dimensions apparaît tout au long du disque, dès l’initial Fill In The Blank qui, sous des contours dynamiques, propose néanmoins une atmosphère et des paroles qui ne respirent pas la joie, évoquant la crainte de la routine et les modalités d’une vie passée en étant considéré comme un loseur. Le chant n’est pas toujours parfait sur ce disque – c’est ce qui fait tout le sel de la voix de l’Américain – mais impossible de ne pas penser à la grâce de l’organe de Julian Casablancas sur certains passages de ce titre.

Impossible de ne pas s’attarder également sur l’imparable Vincent sur lequel les vents (trompettes et trombones) répondent élégamment à la batterie martiale et aux déluges de cordes électriques. Des vents que l’on retrouve sur l’introduction d’un Cosmic Hero plus apaisé et évoquant presque Damien Jurado, prouvant ainsi que la furie post-adolescente est loin d’être le seul registre sur lequel Car Seat Headrest peut s’appuyer.

Chassez le naturel, il revient au galop. Aussi, Unforgiving Girl (She’s Not An) joue sur un registre apparemment plus simple et rend hommage à l’efficacité de certains tubes des 90’s, à mi-chemin entre ceux concoctés par Pavement et Beck – tiens, un autre Loser.


Il conviendra également de surveiller Not Just What I Needed, que les Virginiens seront amenés à réenregistrer, le titre original intitulé Just What I Needed/Not Just What I Needed ayant été l’objet d’un contentieux avec Ric Ocasek qui a finalement refusé que soit utilisé un sample d’un titre de ses Cars, ce qui a conduit Will Toledo à la réaction toute en mesure rappelée en introduction. Ce titre évoquait pourtant – au moins – autant les Pixies que les Cars, que ce soit au niveau de la construction avec une instrumentation provisoirement en suspens sur les refrains, que dans la façon du chanteur de susurrer des messages profonds.

Enfin, impossible de ne pas évoquer la merveilleuse The Ballad Of The Costa ConcordiaCar Seat Headrest, entre introduction apaisée, guitares dépouillées, entremêlements électriques, rythmiques inspirées, changements de rythme et chant libérateur, parvient à faire l’étalage, en onze minutes de trente, de qualités que certains groupes ne parviendront jamais à tutoyer en vingt ans de carrière, sans compter une thématique brillamment adaptée où ce capitaine de navire devient le symbole de l’individualisme vers lequel nous pousse chaque jour un petit peu plus cette société qui exige de nous une productivité de tous les instants.

Tout risquer, même la vie des autres, pour tenter de sauver sa peau ? Tel semble être le leitmotiv de Teens of Denial, véritable chef-d’œuvre sur lequel le désormais trio (le bassiste Ethan Ives et le batteur Andrew Katz ayant définitivement rejoint le groupe) s’emploie à narrer l’histoire d’un voyage initiatique aux côtés de Joe, ami imaginé pour l’occasion pris par différentes considérations allant de la philosophie au mercantilisme le plus dérisoire.

Chroniques - 22.05.2016 par Elnorton
 


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