Car Seat Headrest - Making A Door Less Open
Auteur de l’un des meilleurs albums rock des années 2010 - l’inoubliable Teens of Denial, chroniqué à l’époque dans nos colonnes, Car Seat Headrest creuse un sillon de plus en plus singulier. Et pour mieux apprécier sa dernière publication, il convient de rembobiner le film.
1. Weightlifters
2. Can’t Cool Me Down
3. Hollywood
4. There Must Be More Than Blood
5. Hymn
6. Deadlines
7. Martin
8. What’s With You Lately
9. Life Worth Missing
10. Famous
Depuis qu’il est âgé de 18 ans, Will Toledo partage sur la plate-forme Bandcamp ses compositions. Rien d’extraordinaire ? Seulement, lorsque les douze albums publiés entre 2010 et 2015 parviennent à susciter un véritable engouement chez de nombreux auditeurs - entre-temps devenus fans de l’Américain - et qu’intervient une signature chez Matador, c’est le signe que l’artiste possède quelques qualités mélodiques.
Et une présence incroyable. Sous ses allures de nerd endimanché, Will Toledo sait transformer ses shows en expériences hallucinatoires inoubliables. Mais cette parenthèse ne nous permet pas d’apprécier la qualité de son travail en studio. Ou plutôt en automobile, puisque c’est dans la voiture familiale qu’il a enregistré la majeure partie de ses premiers disques, d’où le nom du projet dont il est la tête pensante.
En 2015, peu après sa signature chez Matador, Teens of Style constitue son album le plus abouti (il faut dire qu’il s’agit d’une compilation de titres parus sur les albums précédents), détrôné dès l’année suivante par Teens of Denial, album-concept narrant le voyage initiatique de Joe, personnage imaginaire, entre hymnes tranchants et ballades électriques.
Will Toledo semble à son apogée et, deux ans plus tard, le réenregistrement de Twin Fantasy, album initialement autoproduit en 2011, paraît le confirmer : loin d’être ridicule, Car Seat Headrest semble avoir perdu le mojo. L’album est correct mais oubliable. L’honnêteté nous pousse à rappeler que notre avis était loin d’être partagé par la presse spécialisée - dont nous reparlerons - qui avait également encensé ce disque.
Alors, la sortie de Making A Door Less Open générait peut-être moins d’excitation qu’elle n’aurait dû en procurer. Quelle erreur ! Will Toledo se pavane désormais avec un masque à gaz qui rappelle forcément les visuels affectionnés par notre rédaction. Pour être plus authentique, dit-il. Quoi qu’il en soit, nous sommes passés à côté du projet qui lui a permis d’entamer sa mue - artistique plus que physique - à savoir 1 Trait Danger.
Auteur de deux disques parus en 2018 et 2019, ce projet quasi-parodique dans le ton employé, lorgnant vers l’électronique voire le hip-hop, est mené par le batteur de Car Seat Headrest Andrew Katz, et Will Toledo en est un collaborateur essentiel, mais pas le cerveau. Les deux réalisations de 1 Trait Danger sont de bien belle tenue, la fusion rock-EDM offrant de belles odyssées qui peuvent rappeler MC Honky (projet derrière lequel se cachait Mark Oliver Everett, dont la trajectoire comporte, malgré une explosion plus tardive, quelques points communs avec celle de Will Toledo) et poussent l’Américain à intégrer des éléments électroniques au projet Car Seat Headrest.
D’ici vient la mue. Et, pour l’auditeur qui n’y était pas préparée, elle est déroutante. Sans la comparer à la claque que constituait Kid A il y a vingt ans, l’artiste désormais basé à Seattle envoie un sacré coup de pied dans la fourmilière. Mais, contrairement au quintet d’Oxford, il ne renie pas totalement les guitares. Car Seat Headrest n’est pas du genre à jeter le bébé avec l’eau du bain. Ainsi, le disque s’ouvre avec des notes de synthétiseur bourdonnantes avant que, progressivement, le riff de guitare et la batterie n’amènent une respiration essentielle (Weightlifters).
Par la suite, Can’t Cool Me Down, avec ses percussions à lame, se poursuit de manière délicieusement nonchalante, avant de se conclure avec des riffs plus tranchants, tandis que Deadlines (Hostile) alterne entre refrains, gimmicks électroniques savamment dosés pour ne pas atténuer l’énergie électrique, et contre-pieds inattendus dans les lignes mélodiques.
Et vient le premier sommet de ce disque. Le tube Hollywood, à l’énergie brutale et décalée, est d’une efficacité redoutable. Pitchfork l’a considéré comme banal et paresseux. Si tel est le cas - et le deuxième qualificatif peut être vrai, à l’inverse du premier - Will Toledo est plus que jamais un génie, à la manière du Beck des années 90, capable de produire des indie songs intemporelles en quelques coups de cuillère à pot.
Mais l’on se rappellera surtout que 1 Trait Danger n’épargnait pas Pitchfork avec un premier album-concept imaginant la carrière musicale d’un groupe et les fluctuations de cette industrie souvent détestable qu’est celle de la presse musicale mainstream. Soit tout ce qu’incarne Pitchfork, qui était ouvertement cité dans les paroles de l’introductif Interlude 1 sur 1 Trait High. Aussi, s’attaquer à un tube comme Hollywood - qui dénonce tout le système dans lequel s’invite ce type de presse - est d’une bassesse stratégique confondante. Qui pourra croire que le seul critère artistique ait été pris en compte par le site chicagoan pour abaisser de deux points la note de ce disque par rapport à celles de ses prédécesseurs ?
Qu’importe. Voir Pitchfork descendre Making A Door Less Open est plutôt rassurant. La chronique aurait pu s’arrêter là pour vous convaincre de l’écouter. Martin autre sommet du disque, met davantage de temps à s’imposer, mais voit Car Seat Headrest renouer avec sa sphère de prédilection : introduction à la guitare, arrivée d’une boîte à rythme déglinguée et d’un chant faussement en retenue, montée de la tension progressive, puis explosion lors d’un refrain renversant. Et ce schéma est répété.
Entre-temps, Hymn (Remix), puis Deadlines (Thoughtful) par la suite, accentuent cette fusion osée vers un rock électronique mais, encore une fois, même lorsque Will Toledo se déséquilibre volontairement, l’ensemble n’apparaît jamais bancal.
Le court What’s With You Lately, plus apaisé, constitue une tentative de folk grandiose et précède les rythmiques tranchantes d’un Life Worth Missing à l’étonnante construction qui rappellerait, sur le plan instrumental, le Tame Impala de la belle époque, mais la voix sereine de Will Toledo - dépourvue d’effets en rafales - amène un contraste saisissant et bienvenu, qui sert la tonalité mélancolique de ce morceau à la progression efficace, son univers renouant en seconde partie vers les ambiances que Car Seat Headrest a l’habitude d’affectionner.
Enfin, There Must Be More Than Blood constitue un nouveau sommet sur lequel les Américains s’expriment dans un registre plus bruitiste et expérimental, avant que Famous ne vienne conclure le disque en mêlant tous les éléments qui le composent, d’un chant habité et insouciant aux incursions électroniques, en passant par de solides compositions inspirées et un soupçon de folie électrique.
Car Seat Headrest était déjà un projet passionnant, apprécié dans les couloirs de la rédaction. Mais là où l’Américain aurait pu faire du Will Toledo toute sa vie, il emprunte, à 28 ans, des sentiers beaucoup plus difficiles d’accès. Ce disque est si passionnant que nous n’avons même pas pris le soin de nous attarder réellement sur la voix désarmante du chanteur, qui accompagne les onze compositions en provoquant, avec une apparente facilité forcément déconcertante, des émotions aussi diverses qu’intenses.
Pour les artistes s’exprimant dans un registre "indie-rock", le recours à l’électronique est parfois pensé comme un remède contre la répétition ou le préambule d’un virage obséquieux. De plus en plus abrasive, il est impossible de percevoir la moindre concession dans la démarche des bricoleurs de Car Seat Headrest, qui partagent ici un classique instantané dont on ne mesure sans doute pas encore l’importance.
Et si, en prenant leurs distances avec les guitares, les Américains avaient réalisé l’album rock de l’année ?
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