Noyades - Go Fast

Chaotiques, fuselés mais renfermant aussi de belles accalmies, les sept instrumentaux de Go Fast se déplacent en eau vive.

1. Réplique
2. Machhapuchhare
3. Bear Rider
4. No Other Grave Than The Sea
5. Sidi Abderrahman
6. Mevlana
7. Reflects

date de sortie : 22-10-2016 Label : S.K Records - Kandala Records - Rejuvenation - WV Sorcerer Productions - Jungle Khôl - Degelite

On était instantanément tombé sous le charme de l’éponyme de Noyades l’année dernière. Trois titres au grain crade et à la trajectoire majoritairement rectiligne, jusqu’au-boutistes dans leur dynamique et sidérants quant à l’amoncellement de notes sur lequel ils étaient bâtis. Une densité bruitiste qui rappelait le côté forcené d’un Psychic Paramount ou d’un Aluk Todolo (et donc aussi un peu Laddio Bolocko) couplé à une grosse vibration psychédélique (non pas qu’elle soit absente des groupes précités mais elle était plus centrale chez Noyades) que l’on retrouve plutôt chez quelques Japonais (Acid Mothers Temple, Mainliner, ce genre) et quelques Anglais (Earthling Society). Go Fast aujourd’hui suit exactement le même chemin. Du premier au dernier titre (dont trois étaient déjà présents sur la précédente cassette sous des formes légèrement différentes), la machine ne s’arrête jamais et ne connait pas de ratés.

Droit devant certes mais pas tout à fait droit quand même. Le maelstrom de riffs se tord et se distord, la batterie tabasse et les ondes de la basse explosent autant qu’elles accompagnent. Il en résulte des morceaux une nouvelle fois extrêmement denses qui ricochent dans la boite crânienne, désolidarisent le temporal de l’occipital, l’occipital du pariétal et poussent les yeux hors de leur orbite. Autant dire que l’on ressent quelque chose, l’ensemble pourrait même se montrer légèrement épuisant si le trio ne ménageait pas quelques enclaves purement solaires où les riffs maousses se diluent (sans disparaître le moins du monde) dans l’espace intersidéral. Les accents cosmiques et perchés des Lyonnais n’ont pas disparu avec ce premier long format. Certes, le gros grain s’est un peu évaporé au profit d’un son plus fuselé mais pas les digressions psycho-patraques qui habitent des morceaux comme Machhapuchhare, Sidi Abderrahman ou Reflects. Ce dernier a d’ailleurs gagné en muscles depuis l’éponyme inaugural, on le regrette un peu au départ mais on se rend vite compte qu’il conserve finalement la même ossature délitée, chamanique et qu’il est toujours capable d’emmener loin et haut.

Pour le reste, c’est du disloqué à tous les étages. Depuis l’entame plombée d’un Réplique aussi charpenté qu’expéditif jusqu’à No Other Grave Than The Sea - qui suspend sa course subitement, pile avant d’atteindre le mur contre lequel il s’était lancé - en passant par les plus pesants Bear Rider ou Mevlana, c’est un festival de trajectoires azimutées, désorientées comme le vol d’un bourdon sous un verre. L’apex des morceaux suit des méandres qu’il est bien le seul à percevoir, donne parfois l’impression de ne pas savoir où aller tout en étant déterminé à y aller tout de même, fonce droit devant, se ravise, change d’azimut, rétrograde, s’arrête, reprend, se divise en mille morceaux puis se reconstitue. Go Fast peut-être mais sans oublier de parfois ralentir sa course histoire de laisser un instrument prendre les devants et occuper le spectre quand habituellement il s’en dispute avec les deux autres toute la hauteur. En effet, la plupart du temps, basse, guitare et batterie sont agrafées les unes aux autres et c’est bien de là que provient une grande partie de la densité de l’ensemble.

Et puis, loin d’être un long fleuve tranquille, on trouve aussi dans la musique de Noyades nombre de chausse-trappes, bifurcations inopinées et développements inattendus qui battent en brèche son aspect de prime abord trop monolithique. Tout cela se montre parfaitement bien construit et joliment exécuté mais il faut dire aussi que ces trois-là n’en sont pas à leur coup d’essai et ont déjà traîné leurs guêtres au sein de « chapelles techniquement inconciliables » (pêle-mêle MurMur(s), Lady Fitness, Torgnole pour Cyril Meysson, The Socks pour Jessy Ensenat, Sathönay pour Vincent Cuny, liste bien sûr non exhaustive) qu’ils ont pourtant réussi à techniquement concilier. Amalgame de noise-rock, de punk, de metal, de drone et j’en passe arrosée de grandes rasades de psychédélisme et de transe, la mixture concoctée par le trio provoque effectivement le même effet que ce que promet son nom. Manque d’air, apnée, asphyxie, remontée à la surface de temps à autre pour inspirer à grandes goulées et de toute façon, quoi qu’il arrive, des papillons devant les yeux, sous la peau et dans les tripes.

Finalement, nul n’était besoin d’écrire tout ça. Noyades, Go Fast, quelque chose comme des arcs cinétiques multicolores se détachant d’un fond noir cosmique ornant la belle pochette (signée Synckop) : quoi de mieux pour résumer un tel disque ?

Brillant.


Go Fast est une sortie conjointe S.K. Records, Kandala Records, Rejuvenation, WV Sorcerer Productions, Jungle Khôl et Degelite, soit une belle poignée d’activistes. Une preuve supplémentaire - si besoin était - de l’intérêt qu’il faut lui porter.

Chroniques - 28.10.2016 par leoluce