Loth - Apocryphe
Deuxième album de Loth, Apocryphe creuse un sillon singulier où le Black le plus pur se montre aussi très personnel.
1. Douce Dame Jolie
2. Mourir A Metz
3. Malmoth
4. Apocryphe
Loth nous avait abandonnés au beau milieu d’une canopée enneigée. C’était en 2016 et c’était son premier album. Derrière la photographie glacée, du Black Metal canal historique : ça, c’était l’idée-force, la direction d’ensemble, les rambardes de sécurité. Mais les quatre morceaux étaient aussi pénétrés d’une vision éminemment personnelle qui sortait le disque du simple hommage ou de l’application bornée de règles esthétiques édictées par d’autres en d’autres temps. Ce qui était fort, c’est qu’en ancrant son Black Metal dans l’ici (Metz) et le maintenant (2016), Loth ressuscitait l’esprit séminal du genre.
Qu’en est-il aujourd’hui alors que sort leur deuxième album, Apocryphe ? Eh bien, c’est tout pareil mais c’est bien différent. Tout pareil parce qu’on est toujours quelque part dans le Black mais un Black qui s’autorise à sortir des sentiers battus pour exprimer des idées, des envies, des obsessions qui sont avant tout celles de Loth. Et c’est bien différent parce que depuis l’éponyme, Loth n’est plus tout à fait le même. On ne dira pas que de l’eau a coulé sous les ponts parce que le précédent est tout de même assez récent mais en revanche, le duo a derrière lui toute l’expérience glanée à la suite de la sortie de son premier jet : le démarchage des labels, les concerts, les activités connexes, annexes, etc. Et comme Loth est avant tout Loth et qu’il se donne tout entier dans sa musique, son parcours transparait dans celle-ci. Dans l’intervalle, il apparaît que Loth a continué à réfléchir à ce qu’il était et à ce qu’il voulait faire.
Premier changement : désormais, il s’exprime en français et il imprime les textes à l’intérieur de la pochette. Une démarche qui montre que ces derniers ont leur importance. Si l’on ne sait nullement quelle valeur leur attribue F.S., on sait tout de même qu’on n’y décèle pas la moindre ironie. On pressent également qu’il ne faut pas les prendre pour argent comptant (l’album s’appelle quand même Apocryphe). On pense plutôt qu’ils permettent de mettre à distance, d’expulser, de faire apparaître les idées noires et les pulsions glauques pour mieux les circonscrire, un peu comme lorsqu’on dit avoir des envies de meurtre tout en sachant parfaitement qu’on ne passera jamais à l’acte. Parce que ça fait du bien. Parce que c’est cathartique.
Deuxième changement : on quitte les cimes froides pour s’enfoncer dans la forêt. C’est tout aussi inextricable mais les rais lumineux trouent désormais la pochette. Pourtant, ça ne se sent pas de prime abord, Apocryphe restant majoritairement froid. Mais à bien y regarder, dans le traitement des guitares, dans le growl écorché et dans l’ambiance générale, il y a un je-ne-sais-quoi qui irradie et réchauffe un peu.
À commencer par Douce Dame Jolie, ritournelle médiévale chantée ici dans le texte par Flore Ujma (qui illuminait déjà quelques morceaux du Capire Il Mistero de G. Lolli). On s’attendait à du riff massif et à de l’écorché mais pas du tout. Vielle, épinette et bodhrán (le tout manipulé par Julien Louvet qui s’occupe aussi du mastering du disque) s’amalgament à quelques cordes pincées pour ressusciter ce virelai composé par Guillaume de Machaut au XIVᵉ siècle. Singulière entame qui pourtant, et c’est curieux, a toute sa place dans Apocryphe. Certes, les arrangements réchauffent (timidement) et donneraient presque envie d’exécuter quelques pas de danse (timidement) mais pour ce qui est de l’espoir, on repassera. C’est une histoire d’amour contrariée à laquelle répond le long et très massif Mourir À Metz (« Tu peux crever deux fois/Tu es déjà morte pour moi »).
Les hostilités sont ouvertes et comme à son habitude, Loth alterne entre agressivité totale et passages plus ténus où ne subsiste qu’une guitare acoustique esseulée (mêlée à l’orage qui gronde au loin). C’est lourd mais c’est aussi très aérien et quel que soit le traitement, la mélodie domine et enferme l’encéphale dans ses méandres über-mélancoliques. Alors bien sûr, ça ne rigole pas mais ce n’est pas non plus dramatiquement désespéré : on retrouve ici le vert irradiant de la (belle) pochette et là un peu de la chaleur sus-mentionnée.
Même entre-deux sur Malmoth, tout aussi long et encore plus massif, aucune enclave acoustique ne vient troubler le piétinement et l’écrasement consciencieux du squelette de l’auditeur. Pourtant, derrière les crocs et les griffes, derrière le growl arraché et les « Je suis bon pour passer/Le reste de ma vie.../Enfermé », derrière les riffs plombés et le tabassage systématique on retrouve toujours une mélodie à tomber. Hésitant en permanence entre accolade et étranglement, violence et apaisement, Loth provoque beaucoup et d’ailleurs, sous l’épiderme, les émotions jouant au yoyo sont bien réelles.
Les huit minutes du titre éponyme retrouvent les passages acoustiques qui se bastonnent avec le bruit partout et c’est bien eux qui, au final, viennent clore un disque tout aussi intense que nuancé. Dans la droite lignée du précédent, Apocryphe finit d’asseoir la personnalité de Loth en appuyant ses traits de caractère. Plus plombé, plus viscéral, plus mélodique, plus aérien, payant son tribut aux aînés pour mieux s’en détacher, s’appuyant toujours plus sur les règles de l’Art pour mettre en avant toute la singularité de sa musique, ce nouvel album est (encore une fois) une incontestable réussite.
Magistral.
Du black canal historique qui débarque de Metz. C’est le premier album de Loth, atmosphérique, massif, mélodique et très accaparant.
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