The Gypsy Curse - From These Broken Hands

Les chefs-d’œuvre oubliés… Une rubrique qui n’était plus alimentée depuis plusieurs années. Et pour cause. L’actualité musicale est tellement dense que quand vient l’heure de regarder dans le rétroviseur, la tentation de se diriger vers des disques de chevet est tellement forte qu’elle tue bien souvent dans l’œuf l’idée de découvrir des réalisations inconnues qui commencent à prendre la poussière.

1. Illuminated
2. Prison
3. Southside
4. Hands
5. Gypsy
6. Trees
7. Death Song

date de sortie : 14-03-2012 Label : Autoproduction

La passion sans limite portée à certains artistes permet néanmoins d’aller au-delà de cette fâcheuse tendance. Depuis la découverte de Wolves en 2014, MJ Barker fait partie des musiciens les plus fréquemment chroniqués. Il faut dire qu’il est particulièrement prolifique puisque, de Ships à l’épatant Starland, chaque année a fait l’objet d’au moins une réalisation sous l’alias Water Music, sans compter la publication homonyme l’an passé du projet punk Ute Root.

Mais MJ Barker n’avait pas attendu qu’on le découvre pour distiller son génie mélodique. Aussi, en avril 2011, l’Australien enregistre l’EP Lost/Marcy hanté par les spectres de Daniel Johnston et Bob Dylan sous l’alias The Gypsy Curse en collaboration avec quelques amis rencontrés au cours de ses pérégrinations européennes. En septembre, il réunit ce collectif en Suède, lequel passe une semaine en studio pour enregistrer un premier long-format.

Les légendes sont toujours assorties d’événements tragiques improbables. La perte des bandes d’enregistrement de ces sessions en constitue un cas d’école. Mais le prévoyant MJ Barker avait enregistré le disque en l’état sur Bandcamp. Impossible de procéder à un mastering correct, et l’auditeur se rendra rapidement compte que toutes les pistes n’ont ni le même volume, ni la même puissance.


Pour autant, cela n’altère en rien le charme de From these Broken Hands. MJ Barker a toujours épousé un style lo-fi et si les cordes du violon de Wilhelmine Schwab apportent à l’ensemble de la clarté, la mélancolie granuleuse des sonorités habituellement développées par l’Australien s’accommode volontiers de cet enregistrement imparfait.

L’âme de Water Music plane sur cet enregistrement, ce qui n’a finalement rien d’étonnant puisqu’il en signe la totalité des compositions. Cependant, sa voix évolue dans un registre singulier, parfois proche de celui d’un crooner, notamment sur le Illuminated initial sublimé par des cordes enchanteresses. S’il ne connaissait pas Sparklehorse à l’époque – il aura fallu une chronique insistant (trop) lourdement sur la similitude pour que MJ Barker se familiarise avec l’univers de Mark Linkous – un titre tel que Trees n’aurait pas dépareillé sur Good Morning Spider.


Mais le caractère dépouillé et la présence de cordes enivrantes lui permet de tutoyer le génie d’un autre Américain, en l’occurrence Mark Oliver Everett. Gypsy pourrait tout à fait ressembler à une ballade de Eels, époque Blinking Lights And Other Revelations, et une certaine accointance vocale renforce le besoin de mentionner cette comparaison. Les sept musiciens formant The Gypsy Curse prennent en tout cas un évident plaisir à enregistrer ensemble ces compositions caustiques désabusées, à l’image d’un Southside aux embardées électriques efficaces, de la country-folk de Hands et encore plus du Death Song final à la folie destructrice aussi évidente sur le jeu de batterie désinhibé de Tobias Tex Lange que dans ces chœurs époumonés ne se souciant même plus de maintenir une quelconque justesse.

La communion comme moyen de dompter le mauvais œil. Et pourquoi pas. Les mélodies en clair-obscur jouées par le collectif international sont aussi solides que brillamment interprétées si bien que même un enregistrement bancal ne suffit pas à en adoucir la portée. Aussi bien capables d’arracher des sourires que des larmes, ces sept compositions méritaient en tout cas largement leur place parmi ces chefs-d’œuvre oubliés vers lesquels on ne prend jamais suffisamment le temps de se retourner.

Chroniques - 18.01.2018 par Elnorton