Matt Elliott, entre quatre yeux... ou cinq ?

The Third Eye Foundation dormant d’un œil depuis quelques années, il en restait toujours deux à Matt Elliott, reconverti en folkman hanté, pour louvoyer en solitaire dans les eaux tristes des folklores slaves ou yiddish les soirs de pleine lune et finalement trouver sa voie, ou plutôt sa voix, utilisée plus librement et intensément que jamais sur l’homérique Howling Songs, et quelque peu évasivement mais avec l’honnêteté que l’on sait pour répondre à nos questions d’admirateurs subjugués.

Indie Rock Mag : Votre nouvel album se nomme Howling Songs : êtes-vous toujours l’un de ces loups-garous qui hurlaient leur mal-être sur For All The Brothers And Sisters ?

Matt Elliott : Parfois tout ce que tu peux faire c’est hurler, pleurer ou rire de façon démente. Nous en sommes tous là mais malheureusement les humains semblent être un petit peu trop stupides pour démêler les fils de leur confusion.

Vous qui composiez il n’y a encore pas si longtemps des albums exclusivement instrumentaux, vous ménagez une place particulièrement importante aux mélodies vocales sur Howling Songs. Qu’est-ce qui a déclenché ce revirement ? La prise de conscience que vous pouviez aussi exprimer vos sentiments par la voix ? Certaines formes musicales au sein desquelles le chant participe a un tout émotionnel indissociable ?

Avec The Third Eye Foundation, les percussions étaient au premier plan mais lorsque j’ai commencé à composer principalement sur une guitare classique, cela a évidemment changé ma façon de travailler et pour être honnête c’est beaucoup plus personnel avec une voix. J’aime vraiment chanter quand ma voix exprime ce qu’elle raconte...

Plus généralement, depuis The Mess We Made en 2003 et même avant ça les dernières réalisations de The Third Eye Foundation, votre musique a pris un détour plus mélodique influencé notamment par la musique classique et surtout les folklores yiddish et slave, voire par moments latin. Ces univers-là, vous les avez découverts sur le tard ? Ce sont ces musiques qui ont changé votre façon de concevoir la composition ?

En fait ma musique n’est pas tant que ça influencée par la musique européenne mais c’est plutôt que je fais un rejet des musiques d’Europe de l’Ouest et nord-américaines. J’adore la musique folk issue des quatre coins du monde et la musique classique, et j’ai toujours pensé que c’était naturel d’être plus intéressé par ces mélodies que par une musique simpliste à 4 temps comme le rock ou le blues.

The Kübler-Ross Model (extrait de Howling Songs - session acoustique pour Le Cargo, octobre 2008)

Nombreux sont les fans de The Third Eye Foundation à rechercher en vain parmi les musiciens d’aujourd’hui un héritier de l’univers hybride et baroque, urbain et cinématique, vénéneux et torturé dont vous aviez tracé les contours avec You Guys Kill Me (lire notre chronique). Vous-même, avez-vous eu l’occasion d’entendre ces dernières années un album électro dans lequel vous vous êtes reconnu, un musicien dont la façon mélancolique et/ou dérangeante d’utiliser les machines vous a touché ? Bronnt Industries Kapital peut-être, le projet de vos compatriotes bristoliens Nick Talbot et Guy Bartell ?...

Je crois que je n’ai jamais entendu quoi que ce soit de Bronnt Industries Kapital, bien que je les ai peut être vus jouer live mais ça ne ressemblait pas à The Third Eye Foundation autant que je me souvienne. Cependant je suis ami de longue date avec Nick. Pour être honnête j’ai arrêté d’écouter de la musique électro car pour l’instant je pense qu’on est allé aussi loin que possible dans ce domaine (j’ai dit la même chose à propos des guitares il y a dix ans donc manifestement je ne sais pas de quoi je parle ou alors je suis complètement à côté de la plaque maintenant) mais comme pas mal de monde, j’aime beaucoup Burial et la scène dubstep semble très excitante actuellement.

Et un musicien folk qui vous impressionne particulièrement ces derniers temps ?...

J’écoute principalement de la musique classique. En ce moment j’écoute beaucoup de musique que j’aimais quand j’étais plus jeune : Psychic TV, Current 93, les groupes Factory, Section 25, Crispy Ambulance, beaucoup de Filomena Moretti, Chopin, Schubert et aussi pas mal de Rembetika [NdlR : un folklore grec urbain du début du XXème siècle] et un excellent disque d’Aris Retsos, une sorte de retranscription de la traditionnelle tragédie grecque.

Avec The Third Eye Foundation dans les années 90, aviez-vous l’impression d’appartenir à une "scène" ? L’amalgame avec le trip-hop, le "son de Bristol", raccourci facile de journaliste paresseux, c’était quelque chose d’agaçant pour vous ? Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce foisonnement créatif dont étiez partie prenante ?

C’est seulement maintenant que The Third Eye Foundation est considéré comme trip-hop, mais en réalité je n’ai jamais été vraiment assimilé à une scène, je suis trop antisocial. Je préfère travailler selon mes propres contraintes et à vrai dire c’est seulement maintenant que j’ai une vraie liberté dans une certaine mesure. Howling Songs a été enregistré exactement comme je le voulais, auprès des gens avec lesquels je voulais travailler et ça a été un immense plaisir de l’enregistrer. J’ai la chance d’avoir des amis et collègues issus d’horizons musicaux très larges et j’en suis particulièrement heureux.

Vous qui avez longtemps vécu dans le Sud de la France, on vous sait concerné, voire révolté par la politique de Nicolas Sarkozy, et ce notamment depuis "La mort de la France", morceau sans équivoque que vous aviez enregistré et mis en écoute sur myspace peu après sa victoire aux élections présidentielles en 2007. Regrettez-vous qu’il n’y ait pas eu davantage de mobilisation du côté des musiciens et plus généralement des artistes français au moment de ces élections ? Ou en d’autres termes, pensez-vous que la musique doive se mêler de politique ?

Je pense que tout le monde devrait se mêler de politique. Je crois que nous vivons à une époque dangereuse et nous devons tous nous battre pour sortir de ce système moyenâgeux et essayer de le remplacer par quelque chose où nous, en tant qu’espèce, pourrons progresser et pas seulement être asservis pour rendre une poignée de gens très riches. Je pense qu’en tant qu’espèce nous pouvons aller de l’avant. Avec les technologies et les ressources dont nous disposons, si nous le voulions nous pourrions vivre dans une société parfaite, quelque chose que les grecs anciens ne pouvaient qu’imaginer en rêve. Je pense que nous devrions tous tendre vers cet objectif et surtout punir les criminels qui nous ont enfermés dans ce système isolationniste d’esclavage.

Something About Ghosts (extrait de Howling Songs - session acoustique pour Le Cargo, octobre 2008)

You Guys Kill Me, que beaucoup considèrent comme votre chef-d’œuvre, fascine et bouleverse toujours autant. L’album est particulièrement évocateur, tant par sa musique que les titres de ses morceaux. L’aviez-vous d’abord envisagé comme la retranscription musicale d’images ou d’évènements qui vous hantaient à cette période de votre vie ? L’idée derrière la trilogie des "Songs" était-elle de renouer d’une autre manière avec cette dimension narrative dans la musique, après les plus "abstraits" Little Lost Soul et The Mess We Made ?

En fait rien n’est planifié quand je commence à composer de la musique, je ne sais pas exactement où cela va m’emmener ou pourquoi ça se manifeste d’une certaine façon. J’imagine que ça reflète des choses plus profondes me concernant et parfois je suis même perdu. C’est étrange comme parfois il m’est arrivé d’écrire une chanson à propos de quelque chose et que cela trouve une signification quelques années plus tard. Ça peut être très étrange de travailler avec la musique, c’est un support très complexe à beaucoup d’égards et cela nous affecte tous, nous ne savons pas vraiment d’où elle vient, pourquoi nous l’aimons... c’est en réalité quelque chose d’assez mystique.

D’ailleurs, Drinking/Failing/Howling Songs, est-ce seulement une trilogie ? Avez-vous déjà une direction prévue pour un prochain opus ?

Je suis en train d’écrire le prochain album et j’ai la méthode en tête, j’espère seulement que tout va bien se passer...


Myspace Matt Elliott : www.myspace.com/mattelliotandthethirdeye
Myspace The Third Eye Foundation : www.myspace.com/thethirdeyefoundation

Pour retrouver la session acoustique de Matt Elliott dans son intégralité ainsi qu’une précédente session également enregistrée par Le Cargo, rendez-vous sur le site officiel du webzine au pied marin ou sur notre forum.


Interviews - 17.11.2008 par Aurelien, RabbitInYourHeadlights


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Puisque la 3e partie de mon bilan semestriel se passe de mots, je me contenterai de quelques liens vers les chroniques des disques dont sont extraits ces 20 instrumentaux assez dark et plombés dans l’ensemble à quelques exceptions près (du lyrisme de Brandon Locher et Tangents aux fééries de mr. hong et Funki Porcini). Pour en entendre et en (...)



Chroniques // 14 février 2018
The Third Eye Foundation

20 ans après un You Guys Kill Me dont l’électro-ambient dépressive et déliquescente n’a toujours pas trouvé d’équivalent à sa noirceur désespérée, Matt Eliott réveille ses démons avec un nouveau chef-d’oeuvre de son projet mutant The Third Eye Foundation.