Lotus Plaza - The Floodlight Collective

Une photo un peu délavée et jaunie, probablement prise un après-midi d’été, d’un petit garçon sur son cheval à bascule. La pochette de The Floodlight Collective forme une excellente introduction à la musique de Lotus Plaza. Entre légèreté mélancolique, flou artistique et danses fantomatiques, ce disque propose un nostalgique retour à l’enfance sur fond de poésie nocturne.

1. Red Oak Way
2. Quicksand
3. These Years
4. Different Mirrors
5. Whiteout
6. What Grows ?
7. Sunday Night
8. Antoine
9. The Floodlight Collective
10. A Threaded Needle

date de sortie : 23-03-2009 Label : Kranky

Orphelins d’Atlas Sound ? Rassurez-vous, la nébuleuse Deerhunter semble décidément bien fournie en talents. Emboitant le pas de Bradford Cox et de son passionnant Let the Blind Lead Those Who Can See but Cannot Feel - qui fonctionne en diptyque avec le non-distribué Logos - sorti l’an dernier, voilà qu’apparaît au grand jour Lockett Pundt sous l’intitulé Lotus Plaza.

Aux constructions alambiquées, malades et schizophrènes de son collègue, Lockett Pundt oppose des formes, des voix et des fantômes tournant sur un carrousel fascinant à mi-chemin entre shoegaze et post-rock. Alors bien sûr, on reconnaît immédiatement certaines réminiscences soniques communes aux trois formations : d’abord la production caverneuse trempée d’échos puis l’instrumentation infiniment texturée et enfin les parties vocales, éthérées et aériennes. Toutefois, Lotus Plaza possède indéniablement sa propre personnalité, sa musique est plus « propre », peut-être moins attirée par le bruit et présente un éventail d’influences plus large empruntant habilement à la pop 60’s et même à la soul de Motown.

The Floodlight Collective - du nom d’un ancien trio réunissant Pundt, Cox et un ami - est ainsi un disque de nuances et d’éclairages mouvants, un album mille-feuilles, résultat de l’empilement de nombreuses couches de mélodies tour à tour chaudes, célestes puis bourdonnantes. Certains morceaux sont ainsi parcourus de nappes complexes et sombres quand d’autres, plus accessibles, voient le chant de Pundt se mettre en avant, le bruit tenu à distance pour un résultat des plus lumineux.

En introduction, Red Oak Way commence ainsi par une rythmique très simple et légère, puis les arpèges liquides d’une guitare tout en boucles carillonnantes font leur apparition pour ne plus lâcher le morceau jusqu’à la fin et, enfin, arrive la voix fantomatique de Lockett Pundt, d’abord mise en avant pour finir complètement noyée sous des chœurs lointains, soutenus par des nappes de guitares souterraines, qui enflent et grossissent jusqu’à envelopper le tout. Quicksand est quant à lui parcouru d’un frisson très Motown, souligné par une rythmique digne des Supremes, mais très vite les guitares déboulent et le morceau adopte contre toute attente une coloration presque surf-rock. Le mélange est vraiment curieux et, au final, totalement jouissif ! What Grows avec ses guitares noisy pas loin de Ride et A Threated Needle viennent, avec ces deux premiers morceaux, compléter le côté « léger » de l’album.

Parce qu’à partir de These Years, sorte de croisement entre Beach Boys et chants grégoriens, la mélancolie pointe le bout de ses doigts sombres et parce qu’avant toute chose, The Floodlight Collective est un disque nostalgique à la beauté trouble. Emplis d’illusions perdues et d’espoirs déchus, les dix tableaux du disque défilent comme des ombres. Dix pistes et un continuel jeu de cache-cache où lumière et obscurité s’évitent le plus souvent et se rencontrent parfois mais ne laissent qu’une impression fugace en disparaissant aussi vite qu’elles sont apparues.

Car il ne s’agit pas de mettre simplement en avant l’une pour rejetter l’autre, Lockett Pundt choisissant habilement entre éléments pop conventionnels ou ambient, mélodies claires et bourdonnements shoegaze afin de les suggérer au sein de chaque piste. Le morceau qui donne son titre à l’album en est d’ailleurs la parfaite illustration, s’ouvrant sur quelques sombres clefs de piano rachitiques et branlantes avant qu’une énorme vague ambient parcourue de gazouillements informatiques ne vienne le propulser en pleine lumière. Le résultat sonne étrangement naturel pour une production pourtant si synthétique.

Cet album spectral nous laisse ainsi constamment dans le flou et exceptées les rares fois où la voix de Pundt surnage, les chœurs, les guitares et la rythmique sont noyés et mélangés pour un résultat brumeux aussi bien atmosphérique que malsain.

Antoine et ses 7 minutes de lyrisme noir, où se rencontrent - menés magistralement par une rythmique métronomique et efficace montant crescendo dans un léger contre-temps - des échos enfantins, des nappes vaporeuses et les larmes de Pundt constitue probablement le sommet de ce retour vers l’enfance. Le morceau concentre toutes les nuances, toutes les subtilités de The Floodlight Collective et rend justice à l’immense variété d’un disque atypique et passionnant.

On en revient alors à la photographie constituant la pochette de The Floodlight Collective . On est à la fois sujet et photographe... Sujet, parce qu’à l’écoute de cet album, on se sent à plusieurs reprises comme ce petit garçon sur son cheval à bascule. Tranquille, savourant l’instant présent, presque insouciant. Mais photographe aussi, contemplant, mélancolique, les vestiges d’un instant de pur bonheur passé. On met là le doigt sur toute la dualité et la complexité d’un disque schizophrène, maladif, nébuleux et finalement profondément humain, tant les impressions qu’il véhicule nous sont familières.

Et la musique, au final, ce n’est que ça, une affaire de ressenti. Il faut laisser ce disque infuser et s’installer car The Floodlight Collective est un album lent et il faut y revenir souvent pour s’apercevoir qu’il est bien plus que ce que sa première écoute suggère, bien plus qu’une énième collection de morceaux dream-pop baignés par la brume. La musique qu’il propose est bien plus complexe et subtile. Laissez Lotus Plaza vous emmener au plus profond, vous perdre dans ses méandres flous et mal définis. Vous ne le regretterez pas, les ressentis y sont légion.

Chroniques - 10.04.2009 par Casablancas, leoluce