2019 sans le confort(misme) - 100 albums : #20 à #1
100 albums, en plus des concerts (à suivre) et EPs (par ici), avec pour seule règle de n’en retenir qu’un par artiste ou projet, hors collaborations. Un lien sur le titre du disque en question pour lire la suite lorsqu’il s’agit d’une chronique publiée dans l’année, et pour aller plus loin, un laissé pour compte du classement à écouter si vous avez aimé le choix auquel il correspond. En espérant vous donner envie de découvrir quelques perles passées entre les mailles du filet, comme chaque année à condition de savoir où pêcher (à contre-courant bien évidemment), le flot des sorties n’en manque pas !
Mes 20 albums de l’année
20. Caulbearer & Scorched Earth Policy Lab - Resurrection
"Collaboration de Thierry Arnal (Amantra) avec les Ricains Caulbearer dont on espérait tous un nouveau long-format depuis le faramineux Haunts. Sur la même longueur d’ondes (bien néfastes, les ondes), notre dream-team transatlantique de l’oppression dark ambient abrasive signe un trois-titres aux crescendos foisonnants et dérangeants, rongé de l’intérieur par des concoctions d’acide sulfurique et de goules maléfiques sur l’incandescent Breach ou l’insidieux Sanctuary aux murmures schizophrènes, tandis que les 20 minutes de Resurrection déroulent une progression d’harmonies stridentes et dissonantes au potentiel d’effroi certain, tel un Ligeti du caveau. Flippant et captivant."
À écouter aussi si vous avez aimé : Scorched Earth Policy Lab - Dark Skies Over Stagnant Waters / Full Drone Attack
19. Lingua Ignota - CALIGULA
"Ce troisième album au titre symbolique du grandiose et de la décadence qui l’habitent incarne et transcende tous les excès et le génie de Kristin Hayter. Mettant à profit son background de pianiste classique et de chantre d’église, la Californienne continue d’exorciser les violences domestiques dont elle fut victime, injectant saturations funèbres, batterie doomesque et grunt vicié dans ses chansons emphatiques, vindicatives et désespérées à la croisée de la musique baroque (Day of Tears and Mourning), du harsh noise (Do You Doubt Me Traitor) et du black metal. Un langage inconnu (Lingua Ignota en latin) aux tourments et aux aspirations pourtant universels : "All i know is violence... all i want i boundless love", chante-t-elle ainsi sur le crève-cœur I Am the Beast, final abrupt d’un disque aux allures de commencement."
À écouter aussi si vous avez aimé : Henryk Górecki - Symphony No. 3 (Symphony of Sorrowful Songs) performed by Beth Gibbons and the Polish National Radio Symphony Orchestra, conducted by Krzysztof Penderecki
18. Oliver Doerell - my life with M.
À la croisée du jazz pulsatile et mystique de Dictaphone, de l’électro-acoustique hypnotique de Swod et des intrigants soundscapes percussifs et mutants de son projet solo Cummi Flu, Oliver Doerell a retravaillé 10 ans de collaborations avec la chorégraphe Modjgan Hashemian pour ce premier recueil de morceaux publiés sous son patronyme. Pétris de mystère, ces instrumentaux passent leur spleen moyen-oriental au filtre de rêveries martiennes, d’abstractions texturées et de chamanisme en suspension, non sans une certaine tension répondant à la dimension politique des pièces de théâtre dansées et autres ballets contemporains de l’artiste allemande d’origine iranienne. Une œuvre sortie tard dans l’année dont on n’a pas encore fini d’explorer la fascinante étrangeté.
À écouter aussi si vous avez aimé : Plaid - Polymer
17. Cloudwarmer - the climate detectives study nostalgia and terror in the dreams of middle america
"Les ex The Fucked Up Beat renouent avec un certain dynamisme aux boucles hypnotiques, trouvant un équilibre assez fascinant entre instrumentation organique et samples rétro, imaginaire anxiogène et échos d’une histoire parallèle de l’Amérique où conspirations politiques et théories du complot se mêlent aux légendes urbaines, à une SF d’un autre temps et à des terreurs subconscientes devenues pour certaines une réalité. Une temporalité distordue, malmenée, déconstruite et reformulée par le duo sur cette nouvelle salve d’instrumentaux, qui semble creuser les origines d’un malaise existentiel bien plus actuel : celui d’une nation gorafisée qui ne s’explique pas encore totalement sa perte de contact avec le réel."
À écouter aussi si vous avez aimé : Cloudwarmer - the weather conspires with you
16. Tenshun X Bethaniens Dust - Pondering / Desolation
"Tout ce que vous entendez sur cette collaboration des deux pourvoyeurs de lo-fi cauchemardée du label I Had An Accident, est là, sur la pochette alternative de cette double cassette. Mais que cette tablée de geeks du bidouillage analogique n’effraie personne, aucune démonstration de la part de l’Américain et de l’Irlandais, passés maîtres dans l’art de construire autour de leurs drums abstract/noise implosifs ou plus étouffés des atmosphères insidieuses à souhait. L’ingrédient qui fait de cette sortie en particulier un sommet de magnétisme hanté ? Le violoncelle de Simon Milligan aka Bethaniens Dust, dont les frottements plus ou moins manipulés sur l’impressionnant Pondering Side 1 d’ouverture participent pleinement de cette dystopie généralisée qui suinte entre le martèlement et la désolation du titre."
À écouter aussi si vous avez aimé : Tenshun - Begrimed Cacophony
15. Matthew Collings - Uzonia
L’Écossais, que l’on apprécie autant en solo que pour ses collaborations avec Talvihorros ou Dag Rosenqvist, a beaucoup composé pour le grand écran dernièrement, et ça s’entend sur ce chef-d’œuvre d’ambient protéiforme et dystopique aux élans sismiques et pulsés plus proches que jamais d’un Terminal Sound System pour leur dynamique en flux tendu et la déliquescence de leurs textures vrombissantes. Évoquant, via l’emprunt déformé de son titre à une notion architecturale utopique ("Usonia") les manipulations sémantiques de notre ère de post-vérité, l’album mêle noirceur et lyrisme, fascination et anxiété, saturations massives et subtilités électro-acoustiques, détachement digital, vibration viscérale et âme des arrangements, faisant de sa dramaturgie une parfaite allégorie de notre rapport ambivalent aux évolutions sociétales et technologiques du XXIe siècle, entre excitation et conscience de notre glissement vers la dystopie des grands romans SF qui ont bercé notre jeunesse et dont il pourrait être la bande-son.
À écouter aussi si vous avez aimé : Cathode Ray Tube - High Cube Drifter
14. Dr.Nojoke - Reconstructed Electric Bass-Guitar
"Aux manettes du récent projet rand en compagnie du pianiste Jan Gerdes, dont les premiers extraits laissent augurer d’une passionnante hybridation entre ambient organique et jazz impressionniste, l’Allemand Frank Bogdanowitz est avant tout actif depuis une quinzaine d’années sous l’alias Dr.Nojoke. Un projet qui le voit ici entreprendre de déconstruire les sonorités de la basse électrique qu’il désintègre en glitchs disrythmiques (#8), en drones rampants (#3) et autres distorsions amniotiques (#5) au gré de ces dix titres à l’onirisme étrange et inquiétant flirtant parfois avec une ambient ultra-minimaliste. Mouvant, mutant et volatile, Reconstructed Electric Bass-Guitar esquisse ainsi un univers auquel il fait bon s’abandonner jusqu’à en perdre tout repère."
À écouter aussi si vous avez aimé : Fabio Orsi - di lumi e chiarori
13. Rustin Man - Drift Code
"La mue du génial Spirit of Eden de Talk Talk ça n’était pas que Mark Hollis mais également Paul Webb aka Rustin Man, et d’emblée Vanishing Heart avec ses riffs de guitare zébrant l’éther, ses drums ambient-jazz étouffés, ses envolées d’orgue au spleen volatile, la luxuriance subtile de ses arrangements et même son chant fragile de quinquagénaire en quête de réenchantement en témoigne pour le moins brillamment, la dimension soulful voire gospel d’Out of Season co-signé avec Beth Gibbons (Brings Me Joy et The World’s In Town avec leur semi-silence et leurs chœurs susurrés) et le psychédélisme néo-kraut d’.O.Rang (Judgement Train) se mêlant sur la suite du disque à l’intensité évanescente du chef-d’œuvre sus-mentionné dont on parlait ici il y a quelques années."
À écouter aussi si vous avez aimé : Jay-Jay Johanson - Kings Cross
12. Olga Wojciechowska - Infinite Distances
Bouleversante comme jamais, l’ex Strië rend hommage à sa grand-mère disparue et à ces souvenirs qui survivent malgré les distances infinies et resurgissent parfois pour nous hanter ou nous réconforter. Les sorties ambient aux textures délavées pour Serein ou Time Released Sound, avec leurs influences néo-classiques ou électronica discrètes dont on retrouve ici l’esprit sur le fantasmatique Bursts Of Static aux field recordings inquiétants, laissent place à davantage d’ampleur et d’ambition dans les compositions, du lyrisme majestueux d’Images Imprisoned Within You ou du morceau-titre au final piano/cordes impressionniste et délicat de All I Have Not Seen en passant par l’électro-ambient orchestrale sensible et onirique de Memory Of The Pioneers qui en remontrerait à n’importe quelle incursion d’Ólafur Arnalds ou Nils Frahm en la matière, la Polonaise enluminant son romantisme syncopé de quelques touches subtiles de futurisme désagrégé dignes d’un Talvihorros. Merveilleux.
À écouter aussi si vous avez aimé : James Murray & Francis M Gri - Remote Redux
11. Franck Vigroux - Totem
Triplé gagnant pour Franck Vigroux, en bonne position cette année dans mes classements d’albums, EPs et concerts préférés. Des morceaux de ses deux dernières performances audiovisuelles, les fabuleux Chronostasis et The Island figurent d’ailleurs parmi les compositions d’inspiration architecturale et mythologique de ce Totem, concentré de radiations noires et de beats post-industriels dont la densité des tempêtes de textures abrasives (Tropiques, Elephant) n’a d’égale que la claustrophobie des harmonies dissonantes et malsaines (du harsh noise de Cris à la musique contemporaine de Frontières), entre deux titres aux atmosphères plus insidieuses soutenus par des constructions rythmiques au cordeau (Capaupire, Rhinocéros) qui flirtent parfois avec la technoise (Télévision) ou une IDM post-apocalyptique (Baron). Héritier des séminaux Pan Sonic, le Français a désormais dépassé les maîtres.
À écouter aussi si vous avez aimé : Maria Chavez - Plays
10. Hochzeitskapelle - If I Think of Love
L’album qui a le plus tourné sur ma platine cette année, que j’hésitais à chroniquer depuis sa sortie en septembre par peur ne pas lui rendre justice, on le doit aux frères Acher de The Notwist et à leur petite troupe de folk triste aux penchants balkaniques, en tête desquels le tromboniste Mathias Götz (aka Le Millipede) des passionnants Alien Ensemble signés sur le label des sus-nommés. Comment ce groupe, avec ses reprises instru crève-cœur de classiques d’Elliott Smith, de BOs de Philippe Sarde (le plombant Chanson d’Hélène) ou de Michel Legrand (Windmills of your Mind et son bandonéon poignant en intro), d’OP8 (le morceau-titre, invraisemblable de douceur et de réconfort), du Nightingale de Laura Veirs encore plus beau que l’original ou encore d’Anohito, extrait du second Spirit Fest (qui réunissaient les Notwist justement et leurs compagnons japonnais Tenniscoats) d’un lyrisme ici proprement désarmant dans cette version violoneuse au crescendo subtil mais saisissant, a-t-il pu passer à ce point inaperçu depuis deux disques ? Même les incursions sud-américaines, haïtiennes ou équatoriales plus légères des irrésistibles Sonido Amazónico, Voodoo ou En Afrique contribuent au charme intemporel et à l’équilibre des émotions de ce bijou à découvrir de toute urgence.
À écouter aussi si vous avez aimé : Erlend Apneseth Trio - Salika, Molika
9. Francesco Giannico - Les Mondes Imaginaires
"De la campagne italienne à son rideau d’étoiles et jusque dans la matière même de l’imagination, Les Mondes Imaginaires semble percer le voile de la réalité à mesure que ses sérénades bucoliques déjà malmenées par l’instabilité de la matrice (Primum Mobile) déconstruisent le temps à rebours (Order & Disorder) pour en confronter les secrets dans la fausse quiétude des coulisses de la Création, un lieu hors de portée dont l’étrange magie électro-acoustique aux textures mouvantes semble orchestrer et enchanter par cuivres et chœurs interposés l’Éternité elle-même dans tout son équilibre de candeur et de tragédie (Hyades). Un infini de possibilités que Francesco Giannico façonne avec tous les moyens à sa disposition sur cet album-monde que l’on n’aura certainement jamais tout à fait fini d’explorer."
À écouter aussi si vous avez aimé : Jason Lytle - NYLONANDJUNO
8. Dag Rosenqvist - Blood Transmission
"Plus que celui de son projet From the Mouth of the Sun avec le violoncelliste Aaron Martin, c’est bien l’univers de feu Jasper TX, associé à des éléments plus méditatifs et acoustiques (cf. l’impressionnisme pianistique de Waters I et Absolutes ou l’ambient microsonique de Waters II), que ravive pour notre plus grand plaisir ce nouvel album du Suédois aux crescendos martiaux et grésillants d’une intensité proprement terrassante (From Lakes to Rivers, A Single Point). Un "post-rock" à nul autre pareil, minimaliste et texturé mais dont l’effet sur les synapses et sur les corps est proportionnel à l’économie de moyens, et qui culmine sur les 9 minutes écrasantes de l’impressionnant From Rivers to The Sea, entre marée de pulsations digitales et martèlement viscéral d’une batterie implacable."
À écouter aussi si vous avez aimé : Grzegorz Bojanek / Opollo - Heatwaves
7. Chris Weeks - Borders
Parmi les (nombreuses) grandes et belles sorties du génie britannique de l’ambient cette année, dont l’une a d’ailleurs fait l’objet d’une mention dans mon classement des meilleurs EPs de l’année, ce disque politique irradié d’un rétrofuturisme gracile et granuleux entre enchantement et neurasthénie (Living in Segregation) tient assurément le haut du panier, méditation sur notre géographie et notre humanité fracturées au nom des avantages des riches et de l’obsession de contrôle des puissants. Les frontières, comme en témoignent ici un morceau-titre à la croisée de l’ambient-jazz, du downtempo et du modern classical pianistique, la musique de Chris Weeks en connaît pourtant peu, manière qui sait de conjurer au gré d’un album aux textures fragiles, aux harmonies troublées (Negotiations) et aux rêveries gondolées par l’érosion de la réalité (Pay No Mind) toutes celles virtuelles ou légales, matérielles ou mentales, qui nous éloignent un peu plus chaque jour du cœur de nos semblables et de nos libertés.
À écouter aussi si vous avez aimé : Chris Weeks - The Waiting Game [∞]
6. Odd Nosdam - Mirrors
"Mirrors vient clore tardivement une trilogie stylistique entamée en 2005 avec le chef-d’œuvre Burner. Tout y est, des beats downtempo aux chœurs éthérés en passant par l’esthétique low-end savamment distillée, les percus bricolées et les déferlantes texturées, les morceaux s’enchaînent dans un souffle, alternant nonchalance saturée (Air Up, Tall Wind), lyrisme (stratos)féérique au groove imparable (l’incroyable Cookies, cousin déglingué des merveilleux Untitled Three et Fat Hooks), pesanteur vaporeuse (les 10 minutes de boom bap shoegazé de Mirrors II) et tunnels narcotiques en guise de transitions (Beyond, The Burn), pour s’éteindre à petit feu sur un final rédemptoire au futurisme mystique et feutré."
À écouter aussi si vous avez aimé : Odd Nosdam - XXXLost Wigs of Ohio
5. Daniel W J Mackenzie & Richard A Ingram - Half Death
Entre la vie et la mort, modern classical et ambient aux inquiétantes difformités bruitistes (Half Breath), spleen funeste des accords majeurs et dystopie des pulsations électroniques et autres drones de synthés clairs-obscurs, foisonnement glitch et nappes harmoniques titanesques (Half Death), field recordings grouillants et envolées stellaires, no man’s land post-technologique et scintillements diffus d’un éther au néant vaguement plus accueillant (Ending), cette collaboration de Daniel JW Mackenzie (Ekca Liena, Plurals) avec Richard A Ingram (Oceansize, Biffy Clyro) provoque le genre de petits miracles qui ne peuvent naître que des collisions d’influences de deux artistes aux backgrounds musicaux radicalement opposés, que réunit une passion commune pour le drone infusé de piano parfois méconnaissable et les fantasmes les plus sombres de la science-fiction. Un véritable soundtrack imaginaire comme les musiques expérimentales les plus atmosphériques en regorgent, aussi évocateur que singulier (des breaks impromptus de Victoria Piano I aux mutations caverneuses de Jitter en passant par les fourmillements lancinants qui ne cessent d’aiguillonner les pianotages délicats de Creeping).
À écouter aussi si vous avez aimé : Max Richter - Ad Astra
4. 9T Antiope & Siavash Amini - Harmistice
Il m’avait toujours manqué quelque chose pour être transporté par le drone de Siavash Amini, sûrement cette dimension incarnée, habitée qui ne fait par contre jamais défaut à l’impressionnant duo 9T Antiope. Du purgatoire de textures cauchemardées de Nocebo à l’épure vocale, chez Eilean Rec., d’un Grimace mi ambient mi orchestré digne des travaux les plus capiteux et hantés à la fois d’un David Sylvian, il y avait de quoi construire un top ten autour des seuls Iraniens cette année, avec en point d’orgue cet Harmistice à la croisée des chemins, sorte de Blemish harsh où le romantisme atonal du chant de Sara Bigdeli Shamloo, flirtant sur Silver As In Silence avec le chant lyrique, surplombe un purgatoire perçant et crépitant de bourdons post-industriels (Blue As In Bleeding), de saturations pulsatiles (Black As In Burst) et de crins dissonants (Purple As In Pain), bulle de résistance poétique aux tourments d’un monde en déclin qui s’acharne en vain à tenter d’en éradiquer la beauté.
À écouter aussi si vous avez aimé : 9t Antiope - Grimace / Nocebo
3. Fire ! Orchestra - Arrival
En terme de chroniques, les grands albums inspirent mais parfois les très grands intimident. Ainsi, c’est bien dans cette dernière tranche de bilan que le plus grand nombre de disques me restaient à commenter. Dans le cas du Fire ! Orchestra toutefois, ce compte-rendu d’un concert où la petite troupe emmenée par Mats Gustafsson avait justement interprété le futur disque en intégralité, ainsi qu’une chronique en "album du mois de mai" par mon compère Crapaud avaient déjà bien défriché le terrain. Que dire de plus sur ce chef-d’œuvre bipolaire des Suédois, son équilibre parfait entre lyrisme à deux voix et volutes libertaires à la croisée de l’orchestre de chambre et du big band incandescent ? Un mot peut-être sur la tension presque cinématographique d’un Weekends au groove blaxploitation, la grâce sombrement romantique d’un Blue Crystal Fire qui ne laisserait pas indifférent les admirateurs des grandes heures de Massive Attack s’ils avaient l’idée d’écouter du free jazz en 2019, le labyrinthe mi chaotique mi serein d’un Silver Trees qui jongle avec les mélodies, les dynamiques et l’atonalité, et bien sûr cette reprise piloérectile d’At Last I Am Free où Mariam Wallentin rivalise de tourments spleenétiques avec une Beth Gibbons sur fond de synthés oniriques avant de nous faire décoller pour l’Eden : les 7 minutes les plus délicatement terrassantes de l’année.
À écouter aussi si vous avez aimé : Made To Break - F4 Fake
2. Vieo Abiungo - The Dregs
"En choisissant de revêtir pour la première fois en 7 ans les frusques de Vieo Abiungo, William Ryan Fritch ne semblait pas plus équivoque qu’une pochette où art primitif africain et instrument ethnique ont la part belle sur fond de volcans au gris nuancé. Toutefois, si cette nouvelle sortie Lost Tribe Sound renoue effectivement avec la dimension tribale chère à ce tout premier projet solo de l’ex Skyrider, on y retrouve également le goût du multi-instrumentiste californien pour un lyrisme plus orchestré qui culminait sur The Waiting Room en 2013, voire même les atmosphères plus sombres et fantasmagoriques de l’excellent Ill Tides (The Dregs, A Branch Gave Way, Trembled at Its Feet), évoquant tout autant l’Amérique sauvage des pionniers que les profondeurs de l’Afrique Noire (No Diamonds in These Mines)."
À écouter aussi si vous avez aimé : William Ryan Fritch - Deceptive Cadence : Music For Film Volume I & II
1. Black To Comm - Seven Horses For Seven Kings
"À chaque nouvel album de Marc Richter, le chroniqueur est soumis à rude épreuve. De l’éponyme, je n’avais su dire plus de quelques mots succincts, de peur d’échouer à rendre justice à ce disque-monde en m’aventurant plus avant à tenter d’évoquer ses indescriptibles méandres soniques auxquelles les fantasmagories de ce Seven Horses For Seven Kings font suite sans pour autant leur ressembler. De complaintes gothiques pour chœurs de goules suppliciées (Ten Tons of Rain in a Plastic Cup) en cavalcades hypnagogiques (Semirechye), des freejazzeries hantées et martelées de Licking the Fig Tree aux liturgies dronesques en déréliction d’Angel Investor, il n’y aura guère eu que le Coil de la grande époque ou le Third Eye Foundation des chefs-d’œuvre Ghosts et You Guys Kill Me pour avoir su préfigurer pareil abîme de visions livides et cauchemardées, véritable géhenne musicale dont les hallucinations culminent notamment sur l’épique Fly on You ou sur la tension horrifique du court mais saisissant Rameses II."
À écouter aussi si vous avez aimé : Black To Comm - Before After
5 bonus sortis - ou écoutés - trop tard
Ces disques se seraient tous fait une place dans les 30 premiers du classement si je les avais découverts à temps :
Cadlag - +
Le quatuor emmené par Simon Šerc (PureH) et Neven M. Agalma (Ontervjabbit, Dodecahedragraph) nous fait le coup de l’arme de destruction massive de dernière minute à chaque sortie. Avec +, lâché quelques heures à peine avant le réveillon, le drone funeste et incandescent des Slovènes ne déchaîne sa tempête d’échardes analogiques et de clous digitaux rouillés qu’au terme d’un crescendo patient, puis par intermittence dans un va-et-vient d’annihilation et de réinvention, une prégnance de l’atmosphère dans le bruitisme et vice-versa qui faisait déjà toute la force de leur première Live Tape puis du fantastique Votivkirche mais dont la dimension harsh noise se fait ici plus mesurée, laissant de l’espace au background de textures viciées et aux sirènes stridentes d’une apocalypse numérique imminente.
Vitor Joaquim - Nothingness
Sortie de dernière minute pour le magicien portugais du glitch ambient, dont les cut-ups hypnotiques et mutants renouent ici avec le minimaliste spectral et foisonnant de l’impressionnant Geography, pulsations organiques en flux tendu hantées par des samples de voix déformées où le silence de ce néant du titre, bien que peu présent à proprement parler, semble s’insinuer dans les interstices des crépitements qui en forment la fascinante dynamique pour en démultiplier le magnétisme et la tension. Un modèle d’économie de moyens dont le génie se révèle au gré des écoutes répétées, comme toujours avec l’ancien pensionnaire des labels Crónica et Kvitnu.
Joshua Sabin - Sutarti
Sur ce successeur du prometteur Terminus Drift (cf. ma 80e place ici), l’Ecossais triture des enregistrements de complaintes chorales du folklore lithuianien et des field recordings captés dans les forêts du pays pour donner à son ambient post-technologique percussive et pulsée une dimension organique plus marquée et une mélancolie futuriste proche des travaux d’un Talvihorros, à coups d’harmonies radiantes et crève-cœur qui se frottent aux séismes texturés réminiscents de la grande époque de Tim Hecker mais n’en culminent pas moins sur l’épure mélodique du poignant final Sutarti VI.
Bersarin Quartett - Methoden und Maschinen
Toujours adepte de ces marées de spleen rétrofuturiste aux affleurements lyriques qui surgissent des rythmiques électronica ou kosmische sur fond de nappes ambient bruissantes comme un ruisseau de larmes dans les cieux (Das ist alles, was wir haben), Thomas Bücker nous fait don toujours sur le label Denovali de son meilleur album depuis II voire même de son meileur tout court, le genre de disque miraculeux où l’expérimentation ne se fait jamais jamais au détriment de l’émotion, entre ambient majestueuse, post-classique élégant, beats en suspension et effluves jazz d’une autre dimension.
Jim Noir - A.M Jazz
Prévu pour novembre puis retardé à décembre, le voilà enfin le grand album pop qui manquait à ma sélection, celui d’un revenant du rétro-futurisme défendu dans nos pages depuis les tout débuts mais dont le songwriting classique et la production sans surprise du joli Finnish Line avaient semblé enterrer l’ambition pour de bon, celle d’envoyer la pop des 60s et ses basses rondelettes dans les étoiles à coups de synthés analogiques d’un autre temps. Cinq ans plus tard toutefois et contre toute attente, le Mancunien renoue avec ces premières amours et transcende même l’équilibre faussement easy listening de l’éponyme de 2008 en imaginant le chaînon manquant entre le Brian Wilson de Sunflower et le Moon Safari de Air (la magie de l’instru Tol Circle n’aurait d’ailleurs pas dénoté sur le chef-d’oeuvre séminal de la French Touch), sans oublier d’aller voir ailleurs, quelque part aux confins de la voie lactée en l’occurrence sur un morceau-titre dont l’ambient-jazz synthétique et chaleureux ne ressemble à rien de connu.
2019 en 100 albums : #40 à #21
2019 en 100 albums : #60 à #41
2019 en 100 albums : #80 à #61
2019 en 100 albums : #100 à #81
2019 en 50 EPs
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