Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 8 : Albums #40 - #31

Avec le smog qu’on subit ces temps-ci, on en reverra pas de sitôt des OVNIS dans le ciel de Shanghai. Heureusement il y a la musique de tous ces laowai un peu timbrés dont IRM se fait l’écho jusque sous les méridiens orientaux.





40. Cummi Flu - Z


Si Oliver Doerell (Dictaphone) avait sorti ici un disque de la trempe de son EP Gulabi Gang (dont les polyrythmies ethno-martiennes du morceau-titre constituent le sommet de ce premier LP), Z aurait sûrement gagné une bonne trentaine de places dans mon classement. Non pas que les visions droguées de chaman en pleine transe hypnique de ces rêveries organiques déméritent en quelque façon, mais en élargissant son univers sur format long pour renouer sur une paire de morceaux avec l’électronica de son projet Swod, l’Allemand perd légèrement en cohérence et en étrangeté.





39. Martin L. Gore - MG


C’est en écoutant un album comme MG que l’on réalise à quel point le chef-d’œuvre électronique de Depeche Mode, Exciter, doit tout - ou presque, n’oublions feu Mark Fell à la production - au sens de l’atmosphère du claviériste Martin Gore, particulièrement dans son élément lorsqu’il s’agit d’esquisser les contours romantiques d’un futur tout droit revenu des années 80. Entre électronica vintage, minimalisme synthétique, techno indus et bande originale imaginaire à la croisée de Cliff Martinez et des scores pour Fincher de Reznor et Atticus Ross, les 16 instrumentaux pulsatoires et crépusculaires de ce deuxième album solo (après le beau Counterfeit² de 2003) exaltent autant les sens que l’imagination.





38. Taylor Deupree & Marcus Fischer - Twine


Tous deux fascinés par les boucles de field recordings depouillées et autres captations analogiques triturées jusqu’à l’abstraction, le patron de 12k et son poulain Marcus Fischer entérinaient en 2011 une passion commune pour les évocations impressionnistes et subjectives via leur album commun In A Place Of Such Graceful Shapes, évoquant 45 minutes d’errance contemplative dans la neige d’un hiver new-yorkais. Encore plus spartiate, fragile et vacillante, cette suite construite sur deux loops asymétriquement superposées de craquements et de poussière statique auxquelles viennent s’ajouter avec parcimonie les arpèges d’un piano électrique, les tintements d’une clochette et autres crins aux vibrations désaccordées, respire la solitude et la mélancolie du rêveur éveillé en quête d’impressions fugitives de ses souvenirs les plus lointains et intangibles.





37. Ben Chatwin - The Sleeper Awakes


Usant d’un Dulcitone - piano aux sonorités métalliques abandonné depuis plus d’un siècle - entre autres arpeggiators synthétiques, guitares atmosphériques ou arrangements cinématographiques de cordes et d’instruments à vent que l’on doit au génial William Ryan Fritch (Vieo Abiungo, Death Blues), Ben Chatwin retrouve le souffle baroque de ses premiers et meilleurs disques sous l’alias Talvihorros avec cette ode aux futurs obsolètes de nos imaginaires ravagés par l’omniscience du monde de l’information, dont la dynamique flirte avec la tension du post-rock et de la kosmische musik sans pour autant se départir de la délicatesse et de la majesté propres au background ambient et drone de l’Écossais.





36. Pole - Wald


Précurseur de la dubtronica à la fin des 90s avec une triplette d’albums ultra-minimalistes aux intitulés numéraires, l’Allemand Stefan Betke avait démontré sur Steingarten en 2007 toute sa capacité à parer son impressionnisme électro de tonalités nettement plus vibrantes au sein de structures fluctuantes parfois plus proches des mutations cyber-organiques d’Autechre ou de Phoenecia que des froides abstractions de ses héritiers de chez Raster-Noton. En témoigne ce Wald étrangement passé inaperçu dont l’IDM teintée de dub trouve l’équilibre idéal entre production épurée et méandres alambiqués.





35. The Necks - Vertigo


"Trésor le mieux gardé de la sphère improv d’Australie, The Necks officient depuis un quart de siècle à la croisée du jazz d’avant-garde et de l’ambient, flirtant en formation instrumentale classique avec les harmonies transcendantales du drone et la dynamique hypnotique des pionniers de l’électronique ou du krautrock. Nouveau chef-d’œuvre aux progressions atmosphériques ardues et libérées de tout carcan, Vertigo porte bien son nom, vortex de sensations insaisissables qui nous emporte de méditations angoissées en imposantes visions d’éternité. Décrire ces trois-quarts d’heure de progressions et de ruptures aussi vertigineuses qu’hallucinées tiendrait davantage du spoiler que de l’incitation. On se contentera donc de vous vanter la dimension particulièrement cinématographique de ce 18e opus, qui prend son temps pour dérouler à mesure des collisions de textures et de tonalités son allégorie d’un monde intérieur où pénombre et lumière se disputent, tantôt sur fond de modulations cosmiques, de bruit statique doomesque ou d’orgues en ascension, les contradictions de notre humanité en mutation."


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34. Helios - Yume


"La musique d’Helios n’est pas étrangère à cette idée typiquement japonaise de beauté éphémère, cette conscience de l’impermanence qui permet d’accepter l’inévitable évanescence des sentiments et des plaisirs terrestres, d’embrasser la mélancolie de cette fuite du bonheur avec sérénité et nostalgie mêlées. Pour autant, Yume se révèle moins impressionniste que son prédécesseur Moiety et atteint un équilibre inédit entre l’exaltation pudique des mélodies de clavier, le spleen des arrangements de guitare et le vertige discret d’une production soutenue par des beats downtempo plus ou moins consistants (Pearl) ou craquelants (The Root). Flirtant avec les synthés bucoliques de Boards of Canada (cf. les distos bienveillantes d’It Was Warmer Then), les drones Badalamenti-esques du voisin de Portland Eluvium ou les envolées éthérées des plus belles sorties d’Hammock (Sonora Lac), l’album parvient ainsi à conjuguer récollections intimes et souffle cinématographique comme à la grande époque dEingya."


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33. Fjordne - Moonlit Invocations


C’est sur le label du Japonais Chihei Hatakeyama que se jouait le jazz le plus fascinant de ce cru 2015, entre sérénades romantiques à l’ancienne et déconstructions névrotiques. Basé à Tokyo, le responsable se nomme Fujimoto Shunichiro et ses compositions pour piano, basse, batterie et cordes passées au filtre électronique s’acoquinent volontiers avec le glitch-hop, la noise ou le psychédélisme pour nous perdre dans leurs labyrinthes d’harmonies dissonantes et de textures fantasmatiques.





32. aMute - Bending Time In Waves


Pour son cinquième album en tant qu’aMute, le Belge Jérôme Deuson retrouve la dynamique puissante et les contrastes imposants du post-rock sur un Bending Time In Waves tirant le meilleur de la dramaturgie dInfernal Heights For A Drama comme des tumultes sous-jacents du faussement feutré Savage Bliss, renouant partiellement avec le format chanson après les abstractions drone hypnotiques et radiantes du précédent opus.





31. Chantal Acda - The Sparkle In Our Flaws


"Deux ans après le touchant Let Your Hands Be My Guide, les ballades de la Néerlandaise ont gagné en évidence mélodique, en densité instrumentale et en reliefs subtils tout en restant fidèles à cette mélancolie gracile qui aborde cette fois les rivages hivernaux d’une relation amoureuse menacée d’érosion. Chantal Acda insuffle dans cette combinaison guitare / chant / violons crève-cœur / chœurs soyeux, déjà en soi bien trop majestueuse pour l’étiquette folk, des couleurs singulières, du crescendo rythmique du fabuleux Homes avec Peter Broderick à la cavalcade païenne des percussions de Still We Guess, en passant par les beats downtempo de Minor Places, la trompette pensive de Niels van Heertum (The Other Way) ou la terrassante vague drone finale du morceau-titre. Autant d’éléments apportant au disque un surplus d’ambivalence dans l’expression de ces complexes émotions, lorsqu’un amour laisse place au doute et à la confusion sans que l’espoir de jours meilleurs n’ait complètement disparu."


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N’attendez plus, ils n’y seront pas :

- Giovanni Di Domenico & Jim O’Rourke - Arco / Dag Rosenqvist - The Forest Diaries

Pour le coup pas des déceptions mais des albums qui auraient pu trouver leur place dans ce bilan si leurs auteurs n’avaient pas fait mieux cette année. Pour Jim O’Rourke, relativement discret aux manipulations électroniques sur ces deux pièces transcendantales de drones orchestraux dominées par les arrangements de cordes ascensionnels de l’Italien Giovanni Di Domenico, c’était avec le nettement plus pop Simple Songs (cf. #49), loin de l’austérité harmonique de cet Arco qui n’empêche pas une véritable intensité de bourdonner sous les nappes crissantes et entêtantes. Pour Rosenqvist, ex Jasper TX dont les Forest Diaries ultra-minimalistes mais pas pour autant dénués de lyrisme tentent d’insuffler un peu de chaleur à l’hiver d’un classical ambient pour piano, harmonium et drones crépitants, ce sera dans le top ten, rien de moins.

- Sleaford Mods - Key Markets

Après l’excellent Divide And Exit, il semblait acquis que le duo de Nottingham allait revitaliser le post-punk à la façon d’un Cheveu anglo-saxon, instrus décharnés au groove incisif et morgue spoken word vénère. Le problème, c’est que Key Markets fait pareil en poussif et neurasthénique, plus un brin de gnaque, même le tempo semble être en mode repeat et du coup on s’ennuie sévère.

-  Soulsavers - Kubrick

J’attendais beaucoup, sans doute trop, de cette incursion tout-instrumental de Rich Machin et Ian Glover après deux albums décevants et une collab en demi-teinte avec Dave Gahan plus tôt dans l’année, mais force est de constater que les superbes atmosphères crépusculaires entre trip-hop et et gospel des premiers chefs-d’œuvre du groupe resteront sans doute lettre morte. Car si la grandiloquence guette, ce n’est pas le moindre défaut de ce Kubrick dont les orchestrations sonnent souvent factice, flirtant avec le lyrisme cheap d’une bande originale au rabais.