Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (12/8 - 18/8/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.





- Francesco Giannico - Les Mondes Imaginaires (16/06/2019 - Time Released Sound)

Rabbit : De la campagne italienne à son rideau d’étoiles et jusque dans la matière même de l’imagination, Les Mondes Imaginaires semble percer le voile de la réalité à mesure que ses sérénades bucoliques déjà malmenées par l’instabilité de la matrice (Primum Mobile) déconstruisent le temps à rebours (Order & Disorder) pour en confronter les secrets dans la fausse quiétude des coulisses de la Création, un lieu hors de portée dont l’étrange magie électro-acoustique aux textures mouvantes semble orchestrer et enchanter par cuivres et chœurs interposés l’Éternité elle-même dans tout son équilibre de candeur et de tragédie (Hyades). Tel le piano perdu dans le néant opaque de drones et de crépitements du superbe Enuma Elish, on erre de l’autre côté du miroir pour mieux y découvrir, enfin, l’essence de ce qui nous meut (Flammarion Engraving) : cette attraction pour le mystère et la beauté de ce qui nous attend à la prochaine intersection, au prochain choix qui nous écartera d’un destin tout tracé, annihilant ce qui aurait dû être pour laisser place à tout un infini de possibilités (Annihilated et son lyrisme cristallin aux bourdonnements évanescents), celui-là même que Francesco Giannico façonne avec tous les moyens à sa disposition sur cet album-monde que l’on n’aura certainement jamais tout à fait fini d’explorer.


- Why ? - AOKOHIO (9/08/2019 - Joyful Noise)

Rabbit : Il sent la fatigue revendiquée et pas forcément dans le mauvais sens du terme (cf. le superbe The Crippled Physician presque digne du Why ? dElephant Eyelash), ce nouvel opus de la bande à Yoni Wolf. Mais au côté de petits bijoux pop, aboutissements des derniers albums plus cristallins des Californiens (Apogee, Stained Glass Slipper) ou plus neurasthéniques et d’autant plus touchants (Peel Free), on y trouve quand même des trucs assez mielleux (l’heureusement court The Launch) voire carrément imbuvables (Reason) et surtout pas mal de remplissage (Mr. Fifths’ Plea), des miniatures qui à quelques exceptions près (le déglingué Krevin’) n’ont plus le charme bricolé ou l’intensité à fleur à peau de l’indémodable chef-d’œuvre d’Hymie’s Basement. Au lieu de ça, quelques passages sont carrément gênants avec leur lyrisme léché à l’image de Rock Candy ou encore de Good Fire, qui si l’on ne connaissait pas un peu le mieux le bonhomme sembleraient vouloir acheter au groupe une respectabilité de vétérans indie à coups de cymbales paradisiaques ou de cuivres langoureux.

Riton : J’avouais en off que le groupe pourrait déféquer dans un pot que j’aimerais quand même ça... une grande histoire d’amour s’étant installée entre moi et Why ? depuis ce jour de 2010, où, alors indécis (et après coup subjugué), je me retrouvais à l’un de leurs concerts. Seulement dans ce AOKOHIO, il y a clairement à boire et à manger et je ne suis pas coprophage. Ainsi comme le souligne très bien notre lapin national, il y a dans ce disque, que l’on aurait préféré comme compilation de chutes de studio que comme vrai album, du bon, du beaucoup moins bon, du tempéré, et malheureusement pas de quoi faire date. But why !?


- Yuko Araki - I (30/01/2019 - Gerpfast)

Rabbit : En attendant la sortie le 17 octobre de sa suite II sur le tout nouveau label de cassettes italien Commando Vanessa que l’on va d’ores et déjà suivre de près, ce premier album solo de la Japonaise Yuko Araki (YobKiss, Concierto de la Familia, Kuunatic) suffira amplement à faire patienter les amateurs de noise analogique à synthés. Défendu par l’écurie indonésienne Gerpfast qui se révèle décidément, après Okinawa Electric Girl Saya et Izumi Kawasaki, un incontournable défricheur de harsheries asiatiques en tous genres, ce mini-album impressionne en 4 titres tantôt mystiques et syncopés (A Fable of Eutopia), incantatoires et planants (le pulsé Hainish Hinterland et ses harmonies vocales désincarnées, ou les rêveries post-industrielles de Whipping Lights) voire carrément ascensionnels et "kosmische" (Quintuplets) sous leur chapes de crépitements abrasifs essentiellement tirés semble-t-il de cymbales manipulées.


- Monolog - Northern Landfall EP (14/08/2019 - Audiotrauma)

Rabbit : Les textures ont toujours la part belle chez le Danois Mads Lindgren mais ses incursions purement ambient, à l’image du claustrophobe Teufelsberg enregistré pour notre compil’ hommage à Twin Peaks, sont nettement moins fréquentes sur disque. Cet univers qui pourrait sembler antinomique de sa drum’n’bass abrasive et futuriste, il le maîtrise pourtant superbement, sur scène comme en studio, en témoignent ces six morceaux qu’il décrit lui-même comme "de l’ambient avec des crocs". Plein de field recordings oppressants, de percussions de son trouvés et de saturations analogiques volontiers stridentes et lancinantes (Laika), Northern Landfall cultive aussi bien des réminiscences de blues désertique (Desinere) que des dystopies aux synthés irradiés (Nuraghe) et autres fantasmagories lynchiennes au background cauchemardé (Decorporation Act), rappelant que l’ambient, même sans tomber dans les recettes trop souvent éculées du dark ambient, son cousin post-industriel en perte de vitesse, ça n’est pas que de la délicatesse audiophile pour siestes électroniques.


- Crushed Curcuma - Tinval (18/05/2019 - autoproduction)

Rabbit : Découvert il y a trois ans sur la première compil Incoherent Phylogeny de nos excellents confrères Tartine de Contrebasse avec l’IDM mi acide mi industrielle de son alias Rainbow Lorikeet, l’Italien Nicolò Tescari revient avec un certain Mattia Rodighiero au saxo via un projet qui devrait faire belle impression aux admirateurs d’Empusae/Tzolk’in ou des darjazzeux du label Denovali, The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble en tête. On retrouve en effet chez Crushed Curcuma ces atmosphères cinématographiques à couper au couteau et leurs circonvolutions de sax insidieuses (Satana è in corridoio, Senza pensare a niente) mais également quelques passages tribaux et ténébreux (La morte dell’imam, Bikini ou encore l’hommage - tout sauf évident - au maestro Morricone), entre influences moyen-orientales et mystique sacrificielle. A la différence qu’ici, les beats électroniques conservent leur vie propre et semblent se développer parallèlement aux textures tout en les soutenant, à l’image des rhizomes tumescents du végétal de la pochette.


- Radien - Aste EP (3/07/2019 - Bunkkeri Records)

Rabbit : Encore peu connu, Radien dissémine depuis 2016 morceaux et EPs, sous des pochettes d’un gris funeste qui collent on ne peut mieux à son sludge doomesque épais et poisseux. Sur Aste toutefois, nouveau deux-titres aux progressions particulièrement atmosphériques, le combo d’Helsinki prend des couleurs, enfin disons plutôt des nuances de noir et d’anthracite : chant de gorge, field recordings, cordes plombées, lamentations liturgiques d’une chanteuse sur Tunne, et même un saxo darkjazz sur fond de riffs bluesy façon Twin Peaks au milieu d’Haudat. Le doom des Finlandais se fait plus mystique, plus désespéré aussi, nomade (les accents tibétains de Tunne) et aventureux tout en conservant sa belle densité et son fil conducteur de textures saturées. Une nouvelle réussite prometteuse pour un projet à suivre de près !


- Cloudkicker - Unending (15/08/2019 - autoproduction)

Rabbit : On avait connu Ben Sharp plus actif, avec au moins une sortie par an de 2008 à 2015. Petit break donc et retour tout sauf décevant pour l’auteur de Subsume avec des incursions plus électroniques qu’à l’accoutumée (le cinématographique et superbe Night introductif), une rêverie presque drone si ce n’était pour cette émotion mélodique qui domine toujours chez l’Américain (AR-Lp 36) et surtout ces hymnes instrumentaux épiques dont le bonhomme a le secret et qui culminent ici sur le parfait Xaoc, entre guitares math-rock, progressions post-rock et radiations post-metal, avec ce soupçon de prog élégant et viscéral et ces passages méditatifs ou les saturations laissent place à des arpèges de guitare claire au lyrisme à fleur de peau.


- Silent Vigils - Lost Rites (11/07/2019 - Home Normal)

Rabbit : On retrouve sur cette deuxième sortie en un peu plus d’un an les fréquences oniriques de l’Anglais James Murray et du Belge Stijn Hüwels (_steiner). Si Fieldem à l’époque avait nécessité plusieurs écoutes pour dévoiler, sous une apparence faussement linéaire et douce, des progressions mouvantes émaillées de passages aux tonalités presque oppressantes sans toutefois parvenir à emporter tout à fait l’adhésion, Lost Rites fait très forte impression d’emblée par le biais de compositions et de textures autrement plus complexes et denses, des pianotages impressionnistes bientôt submergés par des crépitements incandescents sur le bien-nommé Stolen Fire aux méditations lancinantes et délicatement percussives de Shoreless, en passant par le drone ascensionnel et majestueux de Recursion. Entretemps, le morceau-titre atteint des sommets de magnétisme mystique et inquiétant avec d’intrigants idiophones égrenés sur fond de renflements pulsés et saturés, tandis qu’Elysse use de field recordings rythmiques et de lignes de synthés gothiques pour renouer avec le souffle stratosphérique et abstrait des plus belles sorties solo de James Murray et tout en flirtant avec l’étrangeté de Boards of Canada circa Geogaddi. L’un des grands albums ambient de l’été.


Articles - 18.08.2019 par RabbitInYourHeadlights, Riton
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