Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (15/7 - 21/7/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.





- Pelican - Nighttime Stories (7/06/2019 - Southern Lord)

Rabbit : Après pas loin d’une vingtaine d’années de sorties post-metal instrumentales aux riffs heavy, les Chicagoans ne surprennent plus vraiment mais n’en continuent pas moins de peaufiner leur formule, ici parfaitement efficace dans cette épure électrisante et massive à la fois qu’on leur connaît, de la vindicte forcenée de Cold Hope au psychédélisme sludgy du morceau-titre. Épique et tendu avec ses crescendos entre menace larvée (Arteries of Blacktop) et lyrisme plombé (Full Moon, Black Water), Nighttime Stories s’avère toutefois plus fureteur qu’il n’y paraît, touchant discrètement au black metal entre deux pics fuzzy sur l’excellent Abyssal Plain et multipliant intros et interludes dont l’hostilité plus feutrée voire acoustique évoque une atmosphère de western de fin des temps.


- Lifecutter - Rapture EP (24/06/2019 - Holotone)

Rabbit : Domen Učakar met un peu de jus de fruit du Dragon bien sanguinolent dans son vin mais n’adoucit pas pour autant ses atmosphères oppressantes aux beats industriels et aux saillies digitales saturées. De la technoise insidieuse de Cascades à l’ambient bruitiste et funeste du final Love Brutality d’où émergent les échos manipulés d’un piano plombé en passant par les déstructurations tourmentées de Light Trance, Rapture ajoute néanmoins aux abstractions radicales des précédentes sorties du Slovène (et notamment Death(c)rave, célébré dans nos pages), une certaine mystique sépulcrale dans la continuité du plus posé Safe Place, une dimension gothique aux beats parfois tout aussi étouffants et belliqueux (Tearing Down Walls Anxiety) que ceux de Siclar mais irradiant ailleurs, à l’image du morceau-titre, d’une menace plus ésotérique et sournoise, tel un Cthulhu de l’ère techno-indus rodant dans les interstices des rouleaux-compresseurs rythmiques pour oblitérer la raison des auditeurs qui oseraient s’y perdre. Indispensable aux amateurs d’extrémités soniques en tout genre.


- Le Réveil des Tropiques - L’Arbre à Cames (28/06/2019 - Flat Moon Records)

Rabbit : Plus mélangeur que jamais à l’image des lieux très divers qui ont jalonné son enregistrement, le nouvel opus du combo Parisien emmené par Stéphane Pigneul et Frédéric D. Oberland (tous deux à l’œuvre également du côté d’Oiseaux-Tempête dont on attend impatiemment le retour cet automne avec Jessica Moss d’A Silver Mt. Zion, G.W. Sok de The Ex et Mondkopf parmi les invités, rien que ça) flirte avec un dub aux effets vocaux jouissivement drogués (Coupée / Décalée), un groove mystique et nébuleux où Coltrane rencontre la musique africaine (Amour Suprème), une drôle de poésie atonale sur Hope Is Fear, une ambient caverneuse aux circonvolutions délétères et déstructurées le temps du saisissant Sisyphe Sous Les Pavés... pour en terminer sur une sorte de batucada à la croisée de la motorik et du post-rock (Plus De Fusion Dans Les Retours). Doublement fidèle à son titre et jamais loin non plus des crescendos kosmische rock que l’on connaît aux cinq larrons (le superbe V My People, lyrique juste ce qu’il faut), L’Arbre à Cames synchronise toutes sortes de substances illicites et de dynamiques a priori incompatibles, rappelant en cela les premiers chefs-d’œuvre des Anglais The Oscillation, entre tension et décontraction, explorant à la fois imaginaire démesuré et abîmes intérieurs. Grand disque, encore une fois.

Elnorton : Un an après Big Bang, Le Réveil Des Tropiques accouche d’un nouveau disque riche où les expérimentations en tout genre sont perpétuellement stimulantes mais jamais inaccessibles. Au-delà des nombreuses influences évoquées ci-dessus par mon compère, on peut également croiser le spectre de claviers à la Ray Manzarek sur Sisyphe Sous Les Pavés, une filiation avec le post-rock mélancolique de Robin Foster sur le sommet V My People ou des sonorités tribales élégamment digérées sur Amour Suprême ou Hope Is Fear. Patchwork concis, L’Arbre A Cames explore des horizons variés, mais persiste toujours le souci de la cohérence. Ambitieux et abouti.


- Adderall Canyonly - Give Me Room Under the Fire of the Sun (15/07/2019 - Orb Tapes)

Rabbit : Meilleur sortie du patron de Field Hymns depuis un moment, cette cassette enchaîne au gré de transitions cheap aussi jouissives que téléphonées à l’image d’une radio sautant de station en station les courts instrus d’inspiration rétro-futuriste, fidèles au goût de l’Américain pour les bandes-son à synthés minimales et autres dystopies décadentes marquées par l’underground des années 80. Changeant sans cesse de dynamique sans le moindre temps mort 34 minutes durant, Give Me Room Under the Fire of the Sun alterne tension motorik, kosmische musik rêveuse et passages plus ambient aux field recordings organiques et aux nappes distordues, à la façon d’une bande originale imaginaire dont la narration chapitrée aux brusques revirements d’atmosphères fait penser aux fameuses "histoires dont vous êtes le héros" ou aux vieux action-RPG de notre enfance.


- OptimisGFN - Higher Level Ghosting EP (9/07/2019 - autoproduction)

Rabbit : Retrouvant son compère k-the-i ??? sur un TheresLevelsToThis nébuleux à souhait, OptimisGFN livre avec ce nouvel EP une collection de vignettes à la fois planantes et chaotiques dont les instrus glitchés aux textures mouvantes font du low-end un art baroque sans tomber dans l’abscons pour autant, le Berlinois d’adoption (qui cite Twin Peaks sur Jaffe Jofer, l’occasion pour nous de vous rappeler au bon souvenir de ce morceau) rappant en un souffle sur des nappes à la magie déliquescente, résidus en boucles sans fin d’une soul recyclée en douce prison mentale.


- Izumi Kawasaki - Moromi (30/06/2019 - Gerpfast Records)

Rabbit : Nouvelle venue sur l’excellent label Gerpfast Records, véritable mine de pépites harsh et power electronics venues d’Asie, la Japonaise Izumi Kawasaki ne laisse aucun répit aux amateurs d’abstractions radicales sur ce mini-album où percussions bouddhistes, samples de chants mystiques filtrés et autres rythmes métalliques entrecoupent les pulsions larsenisantes et saturées de pure noise cathartique qui constituent l’essentiel de ces trois morceaux sans concession. A suivre de près si vous aimez Merzbow, Puce Mary, Uboa et autre pourvoyeurs de tempêtes (sous un crâne) d’échardes analogiques, de bruit blanc et de clous rouillés.


- Dälek - Respect To The Authors EP (22/03/2019 - Exile On Main Stream)

Rabbit : On s’attaque sur le tard à ce dernier EP des New-Jersiens, qui rembobine les velléités plus percutantes du récent Endangered Species pour mieux prendre la suite directe du mésestimé Asphalt For Eden de 2016 (leur meilleur album depuis Abandoned Language, ça tombe bien). Respect To The Authors, c’est du Dälek planant et shoegazeux pur jus, d’un With These Mics narcotique qu’illustre depuis peu une superbe vidéo en claymation (animation en pâte à modeler, pour les anglophobes) au downtempo insidieux de Words Connect en passant par le stratosphérique et souverain Defiant. La tension du flow de Will Brooks est plus retenue que jamais, mais par derrière ça bourdonne et ça distord toujours autant, jusqu’à en renouer avec le dark ambient de leur collaboration avec Faust d’il y a 15 ans déjà sur le final Seek Harbor, avec son spoken work introspectif et engagé sur fond de textures oppressantes et lancinantes, dénuées du moindre beat.

Elnorton : En effet, Dälek poursuit son retour en forme, dans la continuité dAsphalt For Eden mais dans une veine peut-être plus sombre et décadente qui, à l’instar de Respect To The Authors, Molten ou Words Connect, pourront rappeler les sommets Absence ou Abandoned Language. Les instrus vaporeux et vénéneux semblent partir dans tous les sens, mais finissent toujours par se recentrer autour du flow tout en impact de MC Dälek. Entre épure jouissive et bourdonnements névrotiques, Respect To The Authors s’inscrit d’emblée comme l’une des œuvres essentielles d’un combo qui se produira dans l’Hexagone à la rentrée prochaine. Vivement la fin des vacances !


- Rafael Anton Irisarri - Solastalgia (21/06/2019 - Room40)

Rabbit : L’Américain continue sur une belle lancée avec ce nouveau disque de drone brumeux, son premier pour le label australien Room40 depuis A Fragile Geography en 2015. Sur Solastalgia, sous l’influence qui sait du patron Lawrence English, les masses opaques et éthérées de l’ex The Sight Below gagnent en puissance, grondant en crescendos instables et crépitants dignes des sorties sismiques du Tim Hecker de la grande époque (cf. le sommet Decay Waves et ses imposantes liturgies dronesques évoquant aussi dans l’esprit ce chef-d’œuvre signé Giulio Aldinucci), avec un accent sur les mélodies sous-jacentes majestueuses et nostalgiques à l’image de Coastal Trapped Disturbance ou Black Pitch, mais jamais loin non plus du genre de fantasmagories claires-obscures qui président aux atmosphères sibyllines de Twin Peaks (Kiss All The Pretty Skies Goodbye).


- The Raconteurs - Help Us Stranger (21/06/2019 - Third Man)

Elnorton : Pas nécessairement client de ce qu’avaient produit The Raconteurs jusqu’à présent, Help Us Stranger constitue une jolie surprise. S’il convient de ne pas s’attendre à voir les codes du rock bouleversés, et si des efforts auraient pu être fournis sur la cohérence d’ensemble, il n’y a ici rien de rédhibitoire, les passages les plus faibles n’étant jamais gênants ou insupportables tandis que les bons moments sont d’une efficacité régressive redoutable. Derrière les fûts, Patrick Keeler s’avère particulièrement en forme avec un jeu martial sur un titre tel que le single et indispensable sommet Help Me Stranger, sur Sunday Driver ou encore à l’occasion d’un Bored and Razed hanté jusque dans son clip par le spectre des White Stripes. Même si Help Us Stranger peut frôler le recyclage des codes du rock indé des années 90, on n’attendait plus un combo mené par Jack White à ce niveau en 2019. Agréable et étonnamment rafraîchissant.

Rabbit : J’irai jusqu’à dire qu’on n’espérait pas forcément un retour du combo de Jack White et Brendan Benson en 2019, et même si ç’avait été le cas, on n’en aurait pas particulièrement bouillonné d’impatience à la rédaction d’IRM. Pas le projet le plus excitant de l’ex White Stripes avec deux albums dans les années 2000 dont la brève sensation avait précédé un rapide oubli, les Raconteurs se font plaisir sur ce premier opus en 11 ans, singeant Queen sur Don’t Bother Me et l’intro à la Bohemian Rhapsody de Shine The Light On Me, visitant Nashville et la Nouvelle-Orléans (la reprise du classique Hey Gip de Donovan) et alternant pour le reste entre songwriting bluesy (Somedays I Don’t Feel Like Trying, Now That You’re Gone) et énergie alt rock rétro mais efficace (Bored and Razed, Sunday Driver, Live A Lie). Étrangement, l’anachronisme de l’album lui donne effectivement un petit côté frais et bienvenu, comme quoi tout est question de contexte : en pleine surenchère de post-modernisme crasse dans le rock à guitares d’aujourd’hui, on se surprend à apprécier plus que de raison (et tout en sachant bien que l’on n’y reviendra pas forcément) ces chansons simples et bien troussées d’americana électrique dopées à la pop britannique.


- Aidan Baker - Surveil (19/07/2019 - Broken Spine Productions)

Rabbit : Dédié aux compilations de singles isolées et autres improvisations minimalistes en solo, on reconnaît immédiatement l’artwork de cette nouvelle sortie autoproduite d’Aidan Baker, gribouillis en déclinaisons de couleurs associé à une petite dizaine de disques jusque là dont celui-ci. Avec ses deux longues variations drone-rock atmosphériques et enfumées, Surveil appartient à la seconde catégorie et fait honneur à cette veine impressionniste et opiacée du Canadien qui a donné par le passé des chefs-d’œuvre du calibre de Lost in the Rat Maze. Sans atteindre les mêmes sommets d’étrangeté hantée, l’album n’en reste pas moins un petit bijou où batterie hypnotique et synthés lancinants accompagnent les déambulations liquéfiées d’une guitare lynchienne à souhait (The Emergence of Little Brother) avant de décoller pour le cosmos (Gatherer Search), déroulant une trame constamment mouvante dont les motifs répétés cachent mille subtilités harmoniques et texturées.