Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 3 : Albums #90 - #81

Seconde tranche d’albums 2015 qui part dans tous les sens, certes ça manque toujours de china girls mais même à Shanghai on n’écoute plus que Bowie ces jours-ci, donc qui sait, peut-être bien dans l’hommage qui s’en vient... et puis 2016 est une autre année, alors de l’ambient mandarine au menu pour janvier prochain on peut rêver ?





90. Rafael Anton Irisarri - A Fragile Geography


Largement célébré par les publications spécialisées, ce nouvel opus du New-Yorkais (dont l’excellent projet shoegaze The Sight Below s’est rappelé à nous cet été via le 12" Unfurled chez Ghostly International) m’a quelque peu peu laissé sur ma faim, glissant dans la continuité de son néanmoins fascinant prédécesseur sur la pente des suiveurs de Tim Hecker. Qu’importe, ses lames fantasmatiques de drones imposants et texturés, bien qu’ayant perdu en personnalité depuis le parfait The North Bend, font tout de même leur petit effet et il fallait bien de toute façon que quelqu’un reprenne le flambeau après que le sus-nommé Canadien ait décidé de nous en mettre plein la vue au détriment de toute subtilité.





89. Julia Kent - Asperities


A chaque nouvelle sortie, les compositions de la violoncelliste - croisée chez Baskaru en 2012 au côté de la vocaliste et bidouilleuse d’avant-garde Barbara De Dominicis sur le premier album ardu et pas toujours digeste mais néanmoins intéressant du projet Parallel 41 - se font un peu plus amples et incisives. Rien à voir ici avec les Johnsons du suave Antony dont la Canadienne fait partie depuis I Am A Bird Now, Asperities est dans la lignée de Transportation, dernier titre du précédent opus Character, un disque de frictions dont les cordes se frottent à leur propres nappes de boucles empilées jusqu’au vertige (Hellebore), drones rugueux (Empty States), beats électroniques anxiogènes (Terrain) et autres stridences névrosées (Tramontana), entre deux lamentations plus minimalistes mais tout aussi denses grâce à l’influence organique du sus-mentionne R.A. Irisarri à la technique.





88. Ultra Magnus & DJ SLAM ! - The Raw


Le crew canadien Backburner dont on reparlera bien sûr très haut dans ce bilan n’aura pas été le seul cette année à nous embarquer dans ses orgies ludiques de nerds hip-hop. Issus de la même écurie Hand’Solo et de la même patrie, Ultra Magnus au lyrics et au mic et son compère DJ SLAM ! aux platines et à la production référencent tout et n’importe quoi sur The Raw, de Bill Clinton et Monica (pour un résultat lascif et jazzy cool comme il se doit) à Morcheeba (les samples du sombre Trigger) en passant par Yogi l’ours (avec un Wordburglar égal à lui-même), les Transformers (ceux de nos dessins animes d’antan, pas des navets hollywoodiens bien heureusement), ODB (sur le cartoonesque titre éponyme mais aussi les refrains de Microphone Thrillah) ou encore les Roots et Missy Elliott bastardisés sans vergogne sur HELL-O-L. Un parfait petit cocotier indie rap dopé à la trap, au boom-bap ou encore au trip-hop et que finissent de secouer les électriques The Raw et Damage.





87. Masayoshi Fujita - Apologues


Rompu aux expérimentations micro-ambient abstraites - en compagnie de Jan Jelinek ou en quintette sur le fascinant Tesseract - comme aux dub ambient avec son side project El Fog, c’est pourtant dans la continuité des élans lyriques cristallins du beau Stories paru deux ans auparavant que Masayoshi Fujita inscrit ce premier opus destiné au label Erased Tapes. Un poil trop de lyrisme peut-être sur ces instrumentaux où les méditations et autres envolées de vibraphone s’habillent de cordes et de vents aux émotions plus soulignées que de coutume - au point de penser maintes fois à la BO d’un film imaginaire (Flag) - mais le souffle à la Joe Hisaishi de Tears Of Unicorn ou Puppet’s Strange Dream Circus Band ne laisseront pas indifférents les heureux possesseurs d’un cœur d’enfant.





86. Jaga Jazzist - Starfire


De ses débuts adolescents, le combo norvégien a su conserver un sens ludique qui fait défaut à tant de groupes jazz-rock flirtant avec l’emphase mais sans la moindre dérision. Avec Jaga Jazzist au moins, on sait qu’on va verser dans le trop-plein avec amusement, et que le lyrisme se teintera de couleurs inattendues. Quelque part entre Tortoise et Dan Deacon, le précédent One-Arm Bandit avait mené la formule dans ses derniers retranchements, on déteste ou on adore. Moins foufou mais toujours jouissif, Starfire confirme chez Ninja Tune que Lars Horntveth et sa troupe sont aujourd’hui au prog à synthés et au post-rock électronique (synthèse déjà plus qu’improbable en soi) ce que World’s End Girlfriend est à l’IDM, des dynamiteurs candides et surdoués capable de communiquer plaisir décomplexé et émotions sincères avec l’instrumentation la plus cheap et les ficelles les plus grandiloquentes.





85. Zs - Xe


En comparaison du sauvage New Slaves, les dissonances saxophoniques, cavalcades tribales, crescendos atonals et autres déconstructions crépitantes de ce nouvel opus du trio improv new-yorkais se font presque feutrées... bon j’exagère un peu, c’est toujours aussi chaotique et schizophrène au fond sous ses faux-airs ambient mais au moins les oreilles ne saignent pas. Sans aller jusqu’à dire que c’est pour le meilleur on en ressort quelque part presque reconnaissant, et franchement envoûté par cette petite suite de jams ultra-minimalistes à la mystique étrange, parfaite pour se jeter contre les murs en camisole ou ramper sur la tête.





84. Jessica Pratt - On Your Own Love Again


Derrière les oripeaux freak folk que la jeune Californienne cultive jusque sur l’artwork de ce deuxième opus, c’est bien avec la scène folk 60s et 70s des Linda Perhacs, Joan Baez, Sibylle Baier, voire Tim Buckley à ses débuts ou même Nick Drake que le songwriting et le jeu de guitare piqué de Jessica Pratt possède de réelles accointances, accords mélancoliques et voix nimbée d’un voile atemporel dont les accents lounge flirtent par moments avec l’étrangeté acidulée de Laetitia Sadier, juste de quoi conférer à ces chansons joliment brumeuses l’aura baroque qui fait de cet humble recueil de sérénades désabusées un disque singulier.





83. Félicia Atkinson - A Readymade Ceremony


Cette improvisation surréaliste de la Française sur des textes tirés de son propre livre Improvising Sculpture as Delayed Fictions ou encore d’œuvres de René Char et Georges Bataille explore la dimension acousmatique des musiques expérimentales contemporaines, entre électro-ambient pulsée, bruit blanc analogique et piano atonal. Présentée comme un oratorio, cette cérémonie susurrée voit Félicia Atkinson fusionner les abstractions instrumentales volontiers fantasmagoriques de son projet Je Suis Le Petit Chevalier et les travaux plus littéraires et usant de sa voix publiés sous son patronyme, une bonne nouvelle tant le résultat ici ensorcelle et intrigue.





82. Bill Wells & Aidan Moffat - The Most Important Place In The World


Quatre ans après un chouette (quoique moins audacieux et un brin inégal) Everything’s Getting Older et toujours épaulé par le multi-instrumentiste écossais Bill Wells, Aidan Moffat renoue avec le storytelling cru et douloureux du très beau et sous-estimé I Can Hear Your Heart de 2008 au fil de ces vignettes narrant la crise relationnelle d’un couple rongé par l’ennui, les frustrations et autres tentations sur fond de piano dépressif, de saxo angoissé, d’easy listening mélancolique, de gospel chaleureux, d’électro malade, de samples lascifs et autres boîtes à rythmes hédonistes ou plombées. L’un des grands disques de chansons de ce cru 2015, qui ne ressemble évidemment à aucun autre et parvient paradoxalement à redonner foi en l’amour sans avoir l’air d’y toucher.





81. B. Dolan - Kill The Wolf


Ce nouvel opus de l’imposant barbu de Providence au faciès de nain de la Moria, sans égaler l’intensité crépusculaire de l’inaugural The Failure, est de loin son meilleur en 7 ans. Guitares et beats épileptiques font de Lazarus l’antidote parfait au dernier opus de The Prodigy, le groove incisif de Stay Inspired se mesure sans complexe au cultissime Root Down des Beastie Boys, Jailbreak avec Aesop Rock et Buck 65 - rien que ça - s’avère irrésistible en classique rap/heavy rock comme on n’en fait plus, Run The Machine colle un kick de rangers cloutée à la scène trap et Alright finit d’électriser la machine à coups de guitares distordues et de synthés kosmische sur fond de jam jazzy sous haute tension, tandis que Who Killed Russell Jones ?, hommage au regretté Ol’ Dirty Bastard, renoue enfin avec le souffle spoken word minimaliste sombre et désespéré des tout débuts avec un sens du storytelling intact.


N’attendez plus, ils n’y seront pas :

- Floating Points - Elaenia

Dans la catégorie "c’était mieux avant", Sam Shepherd déçoit sans vraiment démériter avec ce premier long honnête mais un peu trop lounge sur les bords, que son électro aérienne phagocyte le jazz, l’ambient élégiaque, la funk cinématographique ou la kosmische musik. On vous renvoie donc aux précédents EPs du Britannique, et notamment à l’excellent Shadows, housy et non moins immersif, pour un peu plus de stimulation en terme de beatmaking.

- Low - Ones And Sixes

A l’aune de l’un des shows les plus intenses et majestueux auxquels il m’ait été donné d’assister, j’espérais forcément davantage de ce nouveau cru du trio de Duluth, au demeurant réussi dans l’ensemble mais loin d’égaler le degré d’ampleur et d’intensité dépouillée que déploie le groupe en concert aujourd’hui.

- Blur - The Magic Whip

Un bon disque efficace aux influences et atmosphères variées qu’Elnorton défend très bien ici, sans doute même du niveau d’un 13. Mais après le merveilleux album solo d’Albarn l’an dernier et sa deuxième place dans mon bilan de l’année, sans même parler de succession à l’indépassable Think Tank, il eut fallu plus d’audace, d’émotion et de subtilité pour ne pas me laisser sur ma faim.