Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (22/7 - 28/7/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant - même en été, la canicule ayant d’ailleurs fortement limité par procrastination interposée le nombre de sorties présentées dans ce 8e volet.





- Rainbow Grave - No You (19/07/2019 - God Unknown Records)

leoluce : No You, première trace sérieuse de Rainbow Grave, ne rigole pas. C’est punk et boueux, ça suinte le désespoir et le nihilisme poisseux et c’est porté par une répétition maladive et profonde qui rappelle forcément Flipper (en plus corrosif et flippé). Bon, en même temps, un simple coup d’œil à la pochette permet de cerner le propos des quatre de Birmingham : une campagne bucolique où fleurissent des champignons atomiques. Alors attention, il ne s’agit nullement de premiers venus : réunissant Nicholas Bullen (membre fondateur de Napalm Death, croisé ensuite chez Scorn mais pas que), John Pickering (Doom), Nathan Warner (Bee Stung Lips, Backwards) et James Commander (Vile Sect), Rainbow Grave ne capitalise pourtant pas sur son côté anciens combattants de l’underground punk parce que ce qui compte, c’est ce qu’ils ont à offrir (enfin, ce n’est certainement pas le bon mot) là, maintenant, tout de suite. Et ce No You est une grande claque dans la gueule : ce que le groupe perd en en hargne juvénile, il le compense à grands coups d’amertume nauséeuse et c’est saisissant. Parmi ces six titres tout aussi dégueulasses les uns que les autres, Suicide Pyramid est le plus court, le plus haché, le plus méchant mais Year Zero et Dead End, du haut de leur sept minutes et des brouettes montrent que l’animal reste particulièrement retors quand il allonge le temps et ralentit la cadence. Parfait concentré de noirceur malsaine et virulente, No You est tout simplement magnifique.

Rabbit : Pas grand chose à voir de prime abord avec le dernier projet solo de Bullen retenu par les mailles de nos filets il y a quelques années... si ce n’est ce côté malsain, forcément, qui s’incarne donc ici de façon nettement plus électrique et frontale, et donc, quelque part, plus immédiatement jouissive. Pas grand chose à dire de plus que mon collègue sur ce disque à la fois belliqueux et dissonant qui crache un peu plus à chaque titre sa haine de l’humanité, si ce n’est que l’expérimentation, bien que plus en retrait, n’en a pas disparu non plus, des zébrures doomjazz de Year Zero et Assassin of Hope aux drones de goules de Dead End. Et puis "I hate your kids", on ne le dit jamais assez. Merci Rainbow Grave.


- Old Amica - Taiga (29/06/2019 - Whitelabrecs)

Rabbit : Le Suédois, méconnu, charme avec ce sixième opus entre lyrisme et introspection, nostalgie surannée du piano (Sävast), douces marées oniriques (Lagan) et crescendos presque post-rock (Nora). BO d’un court-métrage devenue album, Taiga laisse entrevoir sur des morceaux tels que Strelka över himlavalvet ou Rymdens klot cette dimension cinématographique qui se dispense d’ailleurs volontiers d’images, mais passée au filtre lo-fi et nébuleux de textures craquelées et autres effets reverse, mettant l’atmosphère, brumeuse et spleenétique à souhait, au premier plan de ces compositions touchantes de chaleur et d’humilité (cf. la guitare bucolique et la poussière statique de Tillsammans, superbe morceau de clôture évoquant le Bibio des débuts).


- Andrea Belfi - Strata (5/07/2019 - Float)

Rabbit : On retrouve peu ou proue sur cette nouvelle sortie du génial batteur et bidouilleur italien son set joué au festival Présences Électronique en mars dernier. Ceux qui y étaient savent, pour les autres même si la fluidité parfaite et sans temps mort des enchaînements et le choc visuel de l’interprétation virtuose d’homme orchestre en concert n’y sont pas tout à fait, les compos (avec une mention spéciale au morceau-titre) mêlant élans rythmiques et subtilités électroniques passent brillamment la cap du l’album (ou mini-album plus exactement), alternant pics de fougue hypnotique et passages plus atmosphériques dans la lignée des chefs-d’œuvre toujours inégalés de 2017, Alveare et Ore.


- Aqka Torr - Volgrace (5/07/2019 - autoproduction)

Rabbit : Après l’IDM vocale décadente et alambiquée façon Tim Exile dont les vocalises baroques reparaissent ici par intermittences (Eson Ucex), c’est à un dancefloor pour créatures de la nuit que nous convie Frank Riggio sur la troisième sortie en un an de ce side project d’électro déliquescente et distordue. Gothique et puissant, lorgnant parfois sur le hip-hop (Sa Splendeur) ou le minimaliste à synthés du John Carpenter des années 80 (Maintenant), Volgrace charrie un son énorme dont les radiations emphatiques n’hésitent pas à se mettre au service, entre deux hymnes volontairement binaires, de morceaux nettement plus abstraits et déstructurées à l’image de l’organique Discusound, témoin d’une fascination intacte du beatmaker originaire du Sud de la France pour les mutations d’un Amon Tobin. La plus belle réussite d’Aqka Torr jusqu’ici.


- Oizak - µ (27/06/2019 - autoproduction)

Rabbit : Toujours auréolé de son charmant cachet vintage et DIY, le projet space rock de Cyrod évoque ici la SF un peu cheap des BD de notre enfance voire de celle de nos parents. Les synthés lyriques rêvent de mondes imaginaires sur fond de beats downtempo et les titres en français littéraires nous donnent l’impression de plonger dans une aventure oubliée de Blake & Mortimer qu’on aurait purgée de ses descriptions envahissantes au profit d’une narration purement visuelle... et musicale ! Tandis que l’équipage avait mis de l’espoir en ce pli, et on sort les scaphandriers en atmosphère anaérobie au rythme syncopé d’une sorte de dub-techno vénusienne, et si parfois comme sur Contact aquatique appréhendé ou D’une transmutation granuleuse inattendue, les arrangements cinématographiques trop ouvertement bontempi poussent l’hommage suranné à la limite du cliché, le merveilleux final La Minérale montre au contraire qu’à l’image d’un Arnaud Mori il y a quelques années, tout est possible à ceux qui ont le talent quels que soient les moyens à leur disposition, clavier mélancolique, nappes de synthés et arpeggiators saturés témoignant ici d’un souffle stellaire digne des plus beaux voyages de Tangerine Dream il y a déjà près de 50 ans.


- Tycho - Weather (12/07/2019 - Ninja Tune)

Elnorton : Tycho est un producteur talentueux, auteur de disques aussi essentiels que Epoch et surtout Dive. A chaque fois, l’Américain concoctait des ambiances électroniques oniriques dont les constructions empruntaient au post-rock. Avec Weather, Tycho quitte Ghostly International pour rejoindre Ninja Tune. Devait-on y voir le signe d’une volonté de s’adresser à un public plus large ? Quoi qu’il en soit, en conviant la chanteuse Saint Sinner au chant de cinq des huit morceaux du disque, Tycho a incontestablement aseptisé ses compositions. Des titres aussi légers que For How Long ou Pink & Blue trouveront sans doute un écho cet été auprès de ceux qui aiment chiller auprès des piscines ensoleillées, mais force est de constater que si les compositions de l’artiste sont toujours plutôt bien troussées, les excès de lyrisme vocaux nuisent considérablement au propos global. On se consolera avec deux des trois pistes instrumentales (Weather et Into The Woods) et, ratissons large, avec Japan, pour retrouver les montées en puissance vaporeuses et ésotériques qui caractérisent l’univers de Tycho. Mais globalement, alors qu’elle était auparavant perpétuellement sur le fil, la musique de Tycho bascule ici vers le racolage. Gênant.

Rabbit : Le scepticisme semble effectivement être de mise parmi les admirateurs de la première heure du beatmaker californien, une fanbase très partagée sur le choix d’inviter Hannah Cottrell au chant sur une grosse moitié du disque. Moi qui n’avais jamais porté aux nues ce lointain cousin chillwave un peu aseptisé de Boards of Canada à la réputation démesurée (avec du mieux tout de même sur un Epoch à la dynamique plus marquée), je me prends à trouver un certain charme à ces mélodies vocales au romantisme fragile, certes un brin doucereuses mais idéales pour déjouer le linéarité des instrus de Tycho. Le résultat est forcément très pop et accessible, mais évite à mon humble avis l’excès de séduction radiophonique dont parle mon compère, flirtant même toutes proportions gardées, sur le très joli Pink & Blue, avec les collaborations vocales d’Arms & Sleepers et Steffaloo ou même Blue Sky Black Death et Yes Alexander. Pas forcément mémorable mais loin d’être indigne pour autant.


- Schole Records - After The Rain - Schole Compilation Vol.4 (5/07/2019 - Schole Records)

Elnorton : Habitués que nous sommes des tours de magie accomplis par les pensionnaires de Schole Records, nous ne pouvions que nous réjouir de la sortie du quatrième volet des compilations du label, d’autant plus que l’écurie tokyoïte voit grand en partageant treize morceaux inédits composés par les valeurs sûres que sont le patron du label Akira Kosemura, Dakota Suite, Quentin Sirjacq, Haythem Mahbouli ou K-Conjog, mais aussi des artistes dont il s’agit de découvrir l’univers de toute urgence. Daisuke Miyatani et Yutaka Hirasaka composent ainsi un morceau d’ambient minérale de toute beauté qui retient autant l’attention que le lyrisme minimaliste et transcendant de Kieli ou la délicieuse ballade instrumentale de Flica, parfait résumé du "son" de Schole puisque mêlant piano dénudé et beats espacés pour former un ensemble à mi-chemin entre néoclassique, ambient et trip-hop. La totalité des fonds récoltés étant reversée à la Croix Rouge japonaise et d’autres associations de soutien aux victimes, l’initiative est à louer en tous points...


- Yarostan - s/t (16/03/2019 - Smart and Confused)

Rabbit : En plus d’être une très chouette asso de booking dont les Parisiens amateurs de screamo, de post-hardcore ou d’indie rock versant urgent et dissonant attendent désormais avec impatience chaque nouvel évènement, Smart and Confused, c’est aussi un label, dont l’aventure avait démarré en octobre dernier avec la co-publication de cet excellent album de Fleuves Noirs. Et de ce côté-là non plus il n’y a rien à jeter, en témoigne ce premier opus du quatuor marseillais Yarostan, lâché au printemps dernier. Du screamo marseillais ? A peu près aussi excitant sur le papier que de l’IDM périgourdine, du doomjazz picard ou du black metal cévenol (ceci dit, à tous les coups y en a plein et on va se faire taper). Et pourtant, belles réussites de lyrisme plombé et d’énergie désespérée que ces 5 titres qui empruntent au post-rock dans leurs breaks et dans cette relative mise en retrait du chant qui laisse de l’espace aux crescendos instrumentaux, navigant entre le post-metal d’un Pelican via les riffs belliqueux de irrésistible Nous contre nous, le souffle mi-électrique mi-acoustique d’un Mono sur l’épique Commencement, entre mélancolie des trémolos et saillies hardcore, et la conscience sociale à la fois humaniste et détachée d’un Diabologum sur le final ambient de L’inertie du mouvement.


Articles - 28.07.2019 par Elnorton, leoluce, RabbitInYourHeadlights
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