Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (8/7 - 14/7/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant. Départs en vacances obligent, on n’est pas nombreux à jouer ce coup-ci mais on ne vous a pas oubliés pour autant avec une sélection essentielle et variée, à streamer sans modération.





- Miss Red - The Four Bodies EP (5/06/2019 - Pressure)

Rabbit : Moins percutant que l’excellent K.O. déjà produit par The Bug l’an dernier, ce cadavre exquis de l’Israélienne Sharon Stern démarre sur un titre bancal aux harmonies franchement bizarres, ce Shut In Your Head aux allures de dancehall ésotérique, à la fois éthéré et vénéneux, que viennent hanter quelques accords acoustiques en porte-à-faux. Définitivement plus proche de l’esprit du Tricky de la fin des 90s que du grime ou du ragga "classique", Miss Red embrasse cette dernière influence versant infernal et oppressant à la The Bug sur Loco avant de mettre les bouts, d’abord via un Don’t Text Back au downtempo délétère où sa voix métamorphe se fait plus lascive et tourmentée, puis sur le très ambient Prayers aux nappes de chœurs fantomatiques, proche d’une Birds of Passage, montrant plus que jamais l’étendue du talent de cette héritière des musiques expérimentales du Bristol de la grande époque.


- Torche - Admission (12/07/2019 - Relapse)

Rabbit : Pour son second opus vite expédié chez Relapse, le combo floridien glisse un peu de pop dans son hard rock sludgy : hymnes véloces (What Was), incursions shoegaze (Admission) et morceaux carrément planants (Times Missing) se frottent ainsi sans complexe au stoner plus texturé que jamais de la bande à Steve Brooks, dont le chant clair lardé d’effet porte entre deux morceaux plus lourds et poisseux (Infierno) des mélodies presque aussi catchy que les rythmiques de l’imparable petit bombinette introductive, From Here.


- The Holy Circle - Sick With Love EP (19/07/2019 - Deathbomb Arc)

Rabbit : Plus qu’un deuil amoureux, c’est le deuil de l’amour lui-même que fait le trio américain sur ce nouvel EP à paraître la semaine prochaine. Fidèles à leur inspiration dream-pop un brin rétro et parée de textures dronesques, Erica Burgner-Hannum au chant, son compagnon Terence Hannum des excellents Locrian et le nouveau venu Rob Savillo convoquent dès Moorland Loneliness un romantisme sombre et lynchien aux entournures, réminiscent de l’underground des années 80, tour à tour pop (Free and Young) ou plus shoegaze (Lovely One) mais surtout prenant lorsqu’il flirte comme sur Fever Break avec les rêveries goth et mélancoliques sur fond de boîtes à rythmes du 4AD d’il y a 30 ans.


- Boxguts & Il Brutto - Devils In The Details (8/07/2019 - autoproduction)

Rabbit : Déjà crédité aux instrus de l’excellent premier EP de Canopic Jars en octobre dernier, Il Brutto était le binôme rêvé pour le flow carnassier de Boxguts, chaînon manquant entre la glauquitude de son producteur de prédilection Jakprogresso, la lourdeur futuro-gothique malade et insidieuse de ses influences avouées du Def Jux des débuts (Company Flow en tête), un Necro sobre et minimaliste et une inspiration plus cinématographique aux samples délétères évoquant le Morricone des giallos d’Argento notamment. Atmosphère et efficacité parfaitement dosées font ainsi de Devils in the Details la meilleure sortie du New-Yorkais cette année (malgré un soupçon de misogynie voire d’homophobie sur Sudden Abuse qu’on mettra sur le compte du folklore de l’horrorcore... hum), une courte tête devant Feast Of The Deities  : un bijou d’économie de moyen, à l’exemple du parfait Melting SPBoxguts crachote sa frustration sur fond de violoncelle macabre et de beats cardiaques au cordeau.


- Philippe Petit recontextualizes Martin Dupont - War Games (21/06/2019 - m-tronic)

Rabbit : A la demande d’Alain Seghir, vocaliste et claviériste de ce groupe new wave mélangeur et culte des années 80, Philippe Petit a retravaillé trois morceaux du catalogue de Martin Dupont pour ce nouvel EP destiné au label électro m-tronic, sur lequel était sorti il y a quelques semaines The Bedded avec Black Sifichi, en attendant un nouveau long-format de l’expérimentateur marseillais très bientôt. Modulations stridentes et nintendocore oppressant côtoient coldwave grouillante et synth-wave régressive sur ces trois réinterprétations gothiques et saturées, à la fois personnelles et respectueuses du cachet rétro des originaux. Un délicieux petit OVNI aussi efficace que barré.


- The Humble Bee & Offthesky - All Other Voices Gone, Only Yours Remains (15/07/2019 - IIKKI)

Rabbit : En conjonction avec les photos de l’artiste espagnole Nieves Mingueza, basée à Londres et inspirée par les dysfonctionnements mentaux et la patine du temps qui donne à la réalité des airs des souvenir à demi effacé, Offtthesky et The Humble Bee (aka l’ex Hood Craig Tattersall de The Boats et The Remote Viewer) évoquent la rémanence d’un amour perdu dans une mémoire en déréliction (celle du vieil homme de la pochette ?) sur ce livre-disque aux atmosphères hantologiques particulièrement texturées. Piano, synthés, guitare et vibraphone impressionnistes s’y parent des subtiles enluminures d’un véritable petit ensemble instrumental (cuivres, flûte, violoncelle et harmonies vocales), dans la continuité des récentes sorties solo de Jason Corder qui se charge lui-même des arrangements, pour un résultat à la fois luxuriant et plein d’humilité, entre brume et clarté, appel du néant et réconfort de récollections passionnées où les sentiments d’alors prennent le pas sur la douleur et les regrets.


- Geste - Capital Sauvage EP (30/06/2019 - Dora Dorovitch)

Elnorton : Cinq ans après l’EP Eating Concrete que nous mettions à l’honneur dans nos colonnes, Geste publie un nouveau court-format. François-Charles Domergue a mis ce temps à profit pour faire évoluer le projet. Point de rencontre entre les influences d’une électro industrielle et d’un post-rock à tendance prog’, Capital Sauvage est un disque difficile à commenter tant il évolue dans tous les sens.
Les morceaux ont plusieurs vies, si bien que fulgurances (le sommet d’intensité de trip-hop astral et industriel d’Andy V) et excès d’effets (Vers Le Belvédère s’achève avec ce qui pourrait être défini comme un solo électro-prog’ qui, étonnamment tant la description n’est pas nécessairement valorisante, est bien ficelé) peuvent s’enchaîner sans même que l’auditeur ne s’en soit rendu compte. Rugueux, cet EP contient ses imperfections mais est surtout d’une incontestable richesse.

Rabbit : Une découverte pour ma part, motivée par la toujours excellente écurie Dora Dorovitch. L’EP m’a un peu rappelé les débuts d’Errors, signés à l’époque sur le label de Mogwai, pour ce lyrisme instrumental flirtant avec une sorte de post-rock synthétique, à la fois viscéral malgré son recours à des sonorités volontairement datées, et joliment alambiqué dans ses constructions (Capital Sauvage, Minor Setup). Le côté prog est assurément là mais sans pose ni technicité vaine, le souffle exacerbé et surtout la tension (Vers le Belvédère), évoquant par moments les thrillers de science-fiction des années 80, voire quelques atmosphères plus posées (Bistra), demeurant les principaux ingrédients de cette musique sans garde-fou, volontiers excessive en effet mais toujours attachante.


- Glass Cutters - s/t (24/06/2019 - autoproduction)

Rabbit : Joji Kojima, Martin Carlos Ward et Jel en personne se partagent le micro sur cette collection de brûlots rap lo-fi produits par ce dernier et son compère des grandes heures d’Anticon, Odd Nosdam. Les metteurs en son de Themselves et cLOUDDEAD faisaient déjà bon ménage il y a quelques années du côté de leurs productions pour Serengeti, mais les 9 morceaux de ce Glass Cutters offert au libre téléchargement sont encore d’un tout autre niveau, ravivant le génie du label à la fourmi circa Deep Puddle Dynamics, So-Called Artists jusqu’au Live From Rome de Sole pour lequel ils avaient tous deux mis la main à la patte avec le génie que l’on sait. Syncopés, lourds et saturés, parfois hantés de flows pitchés comme un Captain Murphy du ghetto (A Warm Welcome) ou délicieusement ascentionnels et mystiques dans la lignée de ce que fait Odd Nosdam en solo (encore tout récemment d’ailleurs avec le fabuleux Mirrors) à l’image des parfaits You In Trouble et Pennies, ces instrus multiplient également les clins d’oeil aux 90s qu’on aimait (les groovesque This God et Mama Said) mais ne sont finalement jamais meilleurs que dans le sismique et le narcotique, flirtant avec le Deadverse Massive de Dälek et compagnie sur l’opaque Supanova pour en terminer sur un No Metal aux accents soul malmenés par un beat grondant et sans concession. Une belle claque.


- Re-Arbeiten - Co - llapse and Re - building EP (28/06/2019 - autoproduction)

Rabbit : Six ans après les abstractions abrasives de l’excellent Brute Machine, le trop rare duo de Tel Aviv livre deux titres plus organiques et syncopés traduisant un regard tout aussi pessimiste sur l’humanité mais substituant aux soubresauts post-industriels de machines belliqueuses une approche plus insidieuse et organique, à la croisée de l’électronica, du dark ambient et de la dub techno. Habité par une voix déformée récitant un poème du Russe Fyodor Tyutchev (cité par Tarkovsky dans Stalker, dont ce Co - llapse and Re - building partage d’une certaine façon l’esthétique post-apocalyptique de mystère et de désolation) comme elle transmettrait un message radio érodé par la distance dans le froid de l’espace, Simulacra évoque un cœur qui bat encore tant bien que mal sous une chape de béton, de circuits imprimés et de métal rouillé, tandis que Taekwondo, au gré d’un rouleau compresseur rythmique digne de labels comme Ohm Resistance ou Stroboscopic Artefacts, irradie d’infrabasses menaçantes et de textures de matière noire, annonçant l’approche d’un reboot de notre société en fin de course. Fameux.