Sólstafir - Svartir Sandar

Le climax développé tout au long de Svartir Sandar ne laisse aucun doute quant à la provenance de Sólstafir. Minérale, volcanique et majoritairement froide, leur musique ne pouvait que débarquer de l’Islande.

CD 1 - Andvari :
1. Ljós í Stormi
2. Fjara Voir la vidéo Sólstafir - Fjara
3. Þín Orð
4. Sjúki Skugginn
5. Æra
6. Kukl

CD 2 - Gola :
1. Melrakkablús
2. Draumfari
3. Stinningskaldi
4. Stormfari
5. Svartir Sandar
6. Djákninn

date de sortie : 14-10-2011 Label : Season of Mist

« Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur nos plaines ? », oui, car rien finalement ne saurait mieux résumer l’écoute de Svartir Sandar, quatrième album des ténébreux Sólstafir, bande de pandas peinturlurés hirsutes à leurs débuts ayant progressivement mué en autre chose – on n’est plus du tout dans le Black Metal ici, même si quelques résidus persistent – au cours de leur long parcours débuté en 1994, au fur et à mesure que leur personnalité joliment déviante s’affirmait. Déjà responsable d’un très remarquable Köld en 2009, aujourd’hui le groupe donne tout ce qu’il a et le couche sur deux disques où le rock’n’roll le plus pur balance des pains au métal le plus extrême, où le post-punk canal historique vient pervertir des relents pop parfois putassiers mais jamais grandiloquents pour offrir à l’auditeur ce morceau de charbon bien noir recouvert d’une épaisse couche de glace. L’écoute du disque s’apparente à une épopée psychédélique décharnée qui exsude une belle mélancolie et Svartir Sandar captive tout du long.

Dès l’entame et les onze minutes solennelles de Ljós í Stormi, on est déjà projeté dans une dimension parallèle : une rythmique sauvage accompagne de lourdes guitares et un chant arraché pour un morceau à la topographie mouvante alternant entre post metal véloce et moments plus apaisés. Et alors que l’on pense en un seul morceau avoir cerné le visage du groupe, le suivant, Fjara, n’a strictement rien à voir et œuvre dans une sorte de pop congelée et maîtrisée qui surprend après le déluge précédent.


Et il va ainsi du reste du disque alternant passages contemplatifs, attaques frontales et mélodies lumineuses et on a bien du mal à repérer un fil conducteur même si tout cela reste d’une grande cohérence portée par l’ambiance générale qui reste confinée dans le côté sombre de la palette chromatique, coincée entre le noir foncé et le gris clair. Ne pas oublier que le groupe débarque d’Islande et qu’il doit vraiment y avoir un truc dans l’eau en provenance de ses geysers. Un goût de cendre, c’est sûr. Inévitablement, on pense à Sigur Rós mais évidemment en beaucoup plus bestial et possédé par le fantôme de Neurosis. Ou même à Björk mais attention, pas d’un point de vue musical, plutôt pour la minéralité de l’ensemble, pour le côté cube de glace posé sur la grève anthracite comme du land-art saisi par le froid. D’aucuns diront que je délire, c’est sûr, mais quand même, à bien y repenser, il y a quelques similitudes de ton dans le propos glacé du groupe (et ça s’arrête là, hein) et de tout autre groupe en provenance de cette île volcanique et froide. Bref, en dehors des noms évidemment imprononçables des membres de Sólstafir et de la présence de tout un tas d’accents et trémas sur des lettres inconnues dans les titres de l’album, la musique à elle seule suffit à cerner son origine géographique.

On est frappé d’emblée par ces guitares largement amplifiées mais majoritairement sans distorsion aucune, des guitares qui creusent leur nid partout, dans tous les morceaux, accompagnées le plus souvent d’une basse au grain largement surexposé. Et cette voix qui colle parfaitement, écorchée mais pas trop, majoritairement claire mais dans le même temps sauvage, dynamique même dans la complainte. Le tout au service d’un vrai sens de la composition profonde et touchante, ce qui est quand même un tour de force quand on œuvre de ce côté-ci de la Pangée musicale : Svartir Sandar est tout à la fois sensible et brutal et surtout à mille lieux du pathos dans lequel il aurait pu très facilement tomber. Pourtant, un titre comme Fjara laisse sceptique à la première écoute avec son gros côté pop, ses claviers qui rehaussent un refrain énorme et ses chœurs féminins en arrière-plan, on sent venir le morceau tire-larmes à reprendre en chœur en concert avec briquet levé et tout le toutim et miraculeusement, non, ça tient debout, le morceau est sec, la tristesse éclot avec justesse, jamais trop suggérée, c’est sincère et subtil à la fois. Et que dire de cette voix lointaine sur Sjúki Skugginn si ce n’est que là, c’est la grandiloquence qu’elle fait craindre et pourtant non, même chose, elle reste au bord du morceau et ne pénètre jamais la musique des Islandais. Et il en va ainsi tout au long d’un disque qui, certes, s’appuie sur des claviers parfois envahissants, des chœurs un peu trop en avant (sur le morceau titre en particulier) ou des refrains pas toujours subtils, mais montre par ailleurs une sincérité et une exigence telles que l’adhésion finit par largement l’emporter sur ces quelques facilités et même, ces facilités, je finis par les adorer et je ne saurais imaginer le disque sans elles car elles concourent indubitablement à sa grande variété et font que le disque est plutôt long à appréhender, bien loin des sensations jetables ou de l’émotion en conserve. Svartir Sandar est avant tout un parfait compromis entre originalité, efficacité et exigence et sans doute que ses paroles auxquelles on ne comprend strictement rien finissent d’achever l’édifice vertigineux du disque, à la fois organique, minéral, profond et mystérieux. Partagé entre cavalcades mélancoliques (Ljós í Stormi ou Melrakkablús, un peu la même construction, entame pied au plancher, accalmie et intensité retrouvée sur la fin), passages post-tout un tas de choses (Æra ou Draumfari), accents pop (Fjara bien sûr), metal et psychédéliques (la succession Stinningskaldi et Stormfari où quelques accords convoquent crânement Pink Floyd), d’un morceau à l’autre et le plus souvent dans le même morceau, Svartir Sandar puise sa force dans cette grande variété couchée sur un double disque qui peut laisser craindre l’overdose mais tout y est à un point pesé, millimétré, réfléchi et très bien construit que celle-ci ne vient jamais.

Ajoutons à cela que l’artwork est superbe et que l’on revient souvent contempler ce cavalier à peine esquissé cerné de gerbes de sang. Tendu et froid, sombre et solennel, le chant noir de Sólstafir n’a pas fini de nous accompagner alors que l’hiver approche à grands pas.

Une réussite.

Chroniques - 13.11.2011 par leoluce
 


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