Shub - Spot The Difference

Nouvelle saillie noise locale et iconoclaste balançant une multitude de riffs tronçonneuses contre des cathédrales rythmiques et carrées. Pour preuve, Spot The Difference, dernier témoignage de Shub, que l’on risque fort d’user jusqu’à la corde.

1. Poichon
2. Wasteman
3. Afternoon (Chapter One)
4. Lie Out Loud
5. Snooze
6. Evening (Chapter Two)
7. Pirate Song
8. Been You
9. My War Is Over

date de sortie : 16-12-2013 Label : À Tant Rêver Du Roi

Assurément en retard sur celui-ci. Sorti au mois de décembre de l’année dernière, il y a tout juste quelques semaines, autant dire une éternité, on prendra tout de même le temps d’en parler. D’abord parce que Shub a lui-même pris son temps pour concocter Spot The Difference, nouvel album qui succède au Fuck My Luck de janvier 2011 et que l’on se sent par conséquent un peu moins coupable d’avoir pris le nôtre, mais aussi - et surtout - parce qu’il s’agit tout simplement d’un très bon disque. Deux choses qui caractérisent parfaitement Shub, trio nîmois qui, contrairement au Lapin blanc, n’a jamais eu les yeux rivés sur sa montre et n’a jamais déçu. Il est d’ailleurs facile de le constater en se baladant sur leur page bandcamp qui a la bonne idée de compiler tous leurs longs formats (à l’exception de 1996 demo, qui ne fait aucun doute quant à son contenu ou sa date de naissance) : rien ne change, ou si peu. Et ça n’a strictement aucune importance. Shub joue du Shub et on ne voudrait pas qu’il joue autre chose. C’est-à-dire ? Un rapide coup d’œil à la ribambelle de labels impliqués dans sa sortie devrait vous donner quelques indices concernant le pedigree de Spot The Difference  : Rejuvenation Records, À Tant Rêver Du Roi, Day Off, Goback, Assos’Y’Song, Karaoke 666, Boom Boom Rikordz... Pas vraiment connus pour leur goût du R’n’B. Bref, oui, Shub oscille en permanence entre noise et rock en faisant de temps en temps un petit crochet par le punk, qu’il soit post ou plus historique, en particulier au niveau de la voix qui rappelle souvent celle de Jello Biafra, coincée entre yaya et chouette diction de canard sous amphétamine. La musique convoque elle aussi son lot de références (pêle-mêle Condense, Minutemen, beaucoup de choses issues des nébuleuses Am Rep ou Skin Graft et on s’arrêtera là car il est bien inutile de balancer une palanquée de mètres-étalons étant donné que Shub n’a jamais été et ne sera jamais un groupe hommage et qu’il y a fort à parier que certains manqueront à l’appel pour d’autres). Creusant inlassablement le même sillon entamé depuis bientôt vingt ans, le trio affine sa formule, la brique pour la rendre étincelante et l’équilibre parfaitement : pile-poil entre entre gras et nerf, entre constructions bien droites et de guingois, entre tension et relâchement. Le trio cultive l’entre-deux et ça lui sied parfaitement.

En premier lieu, on s’arrêtera sur le côté immédiat de Spot The Difference  : un peu plus d’une demi-heure et puis s’en va. Neuf titres qui avoisinent invariablement les quatre minutes et montrent un relief rutilant à même de dissiper efficacement tout sentiment d’ennui. Ça passe vite, ça ne montre pas le moindre accroc et ça fait naître l’envie d’écouter en boucle. Car il y a suffisamment de variété là-dedans pour pousser à l’exploration. Shub sait tirer partie des multiples possibilités qu’offre la réunion d’une guitare, d’une basse et d’une batterie : fuselés, méandreux ou plus directs, toujours simples mais pas simplistes pour autant, les morceaux ne s’embarrassent pas d’équations absconses pour atteindre le point B à partir du A. Tout au contraire, ils filent droit devant et communiquent avec aisance le plaisir que le groupe a à jouer. C’est sans doute ici que se cache l’autre réussite de Spot The Difference et par extension des disques précédents : son côté humain. Pas de photoshop ici, rien pour embellir, aucune envie de masquer les rides et les petits accidents. Shub joue ce qu’il est et est ce qu’il joue. À ce titre, le mastering qui envoie balader les artifices rend justice aux morceaux en donnant l’impression qu’ils sont en train de naître, là, à côté de nous. Pour un peu, on sentirait presque leur odeur à se prendre ainsi de grosses gouttes de sueur en pleine poire. Car Shub ne se ménage pas : quels que soient le rythme ou la structure convoqués (répétition, tout instrumental, morceau à l’agonie, explosion, etc.), le trio y injecte beaucoup d’idées et tout autant d’imperfections et de micro-accidents qui le font sonner comme une réunion d’êtres humains bien plus que de froides calculatrices. Du coup, bien qu’assez raide et pelée, leur musique demeure accueillante. On y trouve bien sûr beaucoup d’angles droits et beaucoup d’épines, de quoi s’écorcher la peau et les tympans mais pas grave, il y a suffisamment de chaleur et de plaisir là-dedans pour cautériser les plaies et les estafilades. Spot The Difference n’est certes pas un disque d’happy noise mais n’est pas non plus un truc qui vous balance sa colère et sa frustration à la gueule en vous en rendant vaguement responsable. Du plaisir, du plaisir et rien que du plaisir. Du coup, on s’y sent majoritairement bien.


Dès l’entame exclusivement instrumentale, Shub, comme à son habitude, pose le décors : Poichon impose ses circonvolutions en moins de trois minutes par le biais d’une guitare qui tantôt passe devant, tantôt se retire. Wasteman, Evening (Chapter Two) ou encore Been You arpentent plus ou moins ces mêmes sentiers typiquement noise. Ailleurs, Snooze, Pirate Song ou encore My War Is Over mettent plutôt en avant les gènes post-punk du trio. Et puis, il y a aussi toutes les autres intonations, accents et emprunts piqués à droite à gauche, du surf au western en passant par une certaine vision du psychédélisme, qui achèvent de construire la boule à facettes racée et un peu crade des Nîmois. Bref, un relief qui délaisse les plaines pour quelque chose de plus cabossé. Mi-droit, mi-de traviole mais toujours debout et une nouvelle fois parfaitement emballé sous une très belle pochette. Shub se porte bien et, même si l’on a, avec Spot The Difference, de quoi largement patienter, on attend tout de même sa future carte postale avec impatience d’ici quelques années.

Vivement.

Chroniques - 12.01.2014 par leoluce