Henry Blacker - Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings

Tous les atours de l’Amérique dans un power-trio pourtant profondément anglais. Un beau mélange qui amène une musique lourde et sauvage. Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings, premier album d’Henry Blacker est une sacrée réussite.

Top albums - février 2014

1. Crab House
2. Pullin’ Like A Dray
3. Your Birthday Has Come And Gone
4. My Majesty
5. Scumblood
6. Pearlie
7. A Bone & A Thistle
8. Temple Controls

date de sortie : 01-02-2014 Label : Riot Season

Dès Crab House, premier titre de cet album féroce et brailleur, le ton est donné : de l’étranglé, du sauvage, des claviers véloces qui épousent le tissu rythmique simple et binaire érigé par une batterie sèche et une basse ventripotente qui explorent systématiquement le bas du spectre. La guitare est quant à elle à l’image de la voix : acide et menaçante. Toutes deux dessinent des lignes de crête disloquées, partagées entre murmure et vocifération, leurs circonvolutions fuselées taillant dans le gras et sculptant la masse pachydermique et rythmique à grands coups de lame de rasoir. Bref, voilà une belle tranche de rock’n’roll tout à la fois adipeuse et virevoltante. Tous les autres titres, construits dans le même moule, provoquent leur lot de frissons sur l’échine et rendent Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings extrêmement jubilatoire. Ils montrent nombre d’accents antédiluviens hérités des 70s’ et rappelant le boogie préhistorique des premiers Grand Funk Railroad (le groove nucléaire) et d’autres plus actuels en provenance directe du désert où sévissait Kyuss (l’accordage excessivement bas). Amalgamant en permanence proto-hard rock carré et gravité stoner, garage méchant et heavy primitif, de prime abord, on pense que Henry Blacker débarque tout droit de l’Amérique alors que le trio est anglais. De fait, malgré les traits grossiers qui délimitent ce disque en odorama - il sent littéralement la graisse et l’huile de vidange - on ne peut s’empêcher d’identifier quelques senteurs de Darjeeling : sous ses dehors rustres, cette musique dégage une certaine élégance coincée. Elle évacue par exemple tout ce qui pourrait la faire sonner trop gras. Lourde peut-être mais ne montrant paradoxalement aucun embonpoint. C’est qu’elle taille dans le vif et jette aux oubliettes les longueurs, les digressions et les parenthèses : pas de jams interminables, tout doit être dit en quatre minutes, parfois un peu moins, rarement plus. Dès lors, les morceaux filent à la vitesse de l’éclair, labourent la face et le thorax avant d’enfoncer consciencieusement le reste du corps dans les strates puis s’en vont tout aussi rapidement qu’ils étaient venus en retrouvant la grâce un peu gauche d’un mastodonte courant le cent mètres.



Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings est ainsi le premier album de cette toute jeune formation regroupant deux Hey Colossus (Joe et Tim) et le frère de l’un (Tim, je crois). Et ce qui est tout à fait intéressant, c’est qu’Henry Blacker et Hey Colossus n’ont que très peu de points en commun bien qu’ils se ressemblent complètement. On retrouve ainsi les accents crades et l’orthogonalité approximative qui faisaient le bonheur de RRR ou du plus récent Cuckoo Live Life Like Cuckoo, amalgamés à une voix écorchée réellement impressionnante : entre feulements, borborygmes et râles agonisants, elle apporte beaucoup à ces morceaux concis qui marquent également par leur sauvagerie instrumentale. Ainsi, outre le Crab House introductif déjà cité, difficile de rester insensible aux sirènes inquiètes de Pullin’ Like A Dray, tout à la fois dense et véloce ou de Pearlie dont les presque six minutes voient Henry Blacker tenter de greffer un rythme à peine plus élevé que l’immobilité à des riffs d’une lourdeur extrême. Dans ces moments-là, le trio abandonne ses frusques de hippie frustre pour revêtir les peaux de bêtes néandertaliennes d’un doom déviant laissé trop longtemps au bon soin des embruns et du soleil. Bref, bien que bâtis sur les mêmes bases, les morceaux montrent suffisamment de variété pour qu’on y revienne. Et c’est bien là toute la réussite de ce premier album qui porte si bien son nom : des chiens affamés qui bouffent n’importe quoi. Du nom d’un anglais du Sussex qui fut connu au XVIIIe comme « the tallest man ever » (du moins en Angleterre), c’est vrai que le trio à quelque chose de géant. Sa vibration frat-rock permanente retrouve parfois les intonations désespérées et glauques d’un Harvey Milk simplifié quand sa concision le rapproche d’un certain purisme punk. Les riffs proviennent quant à eux directement de la galaxie noise rock. En fait, Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings réalise un grand écart singulier entre plusieurs bornes et emprunte à chacune ce qu’elle a de mieux. Une combinaison imparable qui trouve ainsi parfaitement sa place sur l’excellent Riot Season, coincé quelque part entre Gunslingers ou Bad Guys pour le génotype déviant et rock’n’roll, Dethscalator pour le goût de l’agression glauque et évidemment Hey Colossus.

En une petite demi-heure de musique sauvage et spontanée, les huit morceaux de Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings placent sans peine Henry Blacker dans l’empan auditif des groupes que l’on prendra désormais plaisir à surveiller.

Excellent.

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