Henry Blacker - The Making Of Junior Bonner

Nouvel album d’Henry Blacker, The Making Of Junior Bonner se montre tout aussi jubilatoire que ses aînés en cachant de très beaux éclats derrière un grain faussement grossier.

1. Cag Mag
2. Two Shapes
3. Roman Nails
4. A Dredger Thirst
5. Shingles To The Floor
6. Cellmate
7. The New Evil
8. Keep It Out Of Your Heart
9. Little Lanes

date de sortie : 13-04-2018 Label : Riot Season

Henry Blacker ter. Rien de foncièrement neuf depuis Summer Tombs (2015) qui lui-même réitérait plus ou moins la formule édictée sur l’inaugural Hungry Dogs Will Eat Dirty Puddings (2014), celle d’un stoner déviant, tout à la fois adipeux et véloce, renfermant la pluie amère du Somerset et hésitant en permanence entre arrachage (la sauvagerie instrumentale aux accents AmRepiens) et résignation (la voix au bout du bout du rouleau). Rien de foncièrement neuf donc mais ça n’a strictement aucune importance puisque The Making Of Junior Bonner se montre tout aussi jubilatoire que ses aînés. C’est qu’il s’avère très difficile de résister à cette collection de missiles crades et heavy qui en mettent partout sans jamais déborder du cadre. Tout à la fois carrée et fuyante, la petite musique d’Henry Blacker a tôt fait de coloniser l’encéphale et de connecter entre eux des concepts contradictoires : le suicide et l’envie d’en découdre par exemple (Shingles To The Floor et son « I did a dreadful thing, and now I’m going to swing, up from the attic beam » porté par une ossature pour le moins enlevée) ou encore l’esprit critique et l’optimisme (la mise en garde « keep it out of your mind and your mouth » acoquinée à une mélodie solaire sur Keep It Out Of Your Heart).

Toujours plein de finesse et montrant une belle densité, le trio maîtrise complètement son sujet et commet un The Making Of Junior Bonner très efficace conciliant à merveille saleté et mélodies au cordeau, rudesse et élégance insulaire légèrement coincée. Encore une fois, Henry Blacker a pris soin d’évacuer les excès de graisse et toute velléité de sophistication inutile, leurs morceaux ressemblent plus que jamais à des écorchés fuselés débarrassés de la moindre fioriture : aucune esbroufe, encore moins de longueurs, aucun passage en-dessous du reste, droit au but et des idées en pagaille contenues dans des morceaux souvent concis (dépassant rarement les cinq minutes). En outre, on trouve là-derrière une mélancolie poisseuse virant parfois à la tristesse exacerbée qui fait toute la singularité de ce stoner qui, de fait, ne l’est plus tout à fait. En cela, on est obligé de penser à Hey Colossus même si la musique de l’un n’a évidemment rien à voir avec celle de l’autre : chez Henry Blacker aussi le gros grain ne recouvre jamais complètement les émotions et les abords pas nets et négligés n’empêchent nullement de ressentir beaucoup.


Comme d’habitude, on rentre directement dans le vif du sujet avec Cag Mag, ses riffs racés, sa voix nonchalante et sa rythmique plombée. Les premiers cherchent à s’élever dans les airs quand les deux autres les retiennent plus bas que terre. Une dynamique oxymore ensuite maintenue durant tout le disque mais avec son lot de variations. Parfois, c’est le côté véloce qui l’emporte (Two Shapes, Shingles To The Floor ou encore The New Evil) et à d’autres moments, c’est plutôt la pesanteur (Romain Nails, A Dredger Thirst ou les accents presque doom de Cellmate) mais à chaque fois d’une courte tête. Tout cela se montre très équilibré et la plupart du temps, les vecteurs forces se fracassent les uns contre les autres ou s’annulent complètement et c’est le groove qui prend les devants (l’ultime Little Lanes par exemple). Et puis il y a aussi les mélodies disséminées un peu partout qui s’opposent au grain dégueulasse qu’aiment arborer les morceaux, bien planquées dans la masse mais d’une belle évidence toutefois, à l’instar de ce Keep it Out Of Your Earth tout aussi addictif que malin. Mais le grand moment de The Making Of Junior Bonner, c’est indéniablement Shingles To The Floor. Idéalement planqué au mitan du disque, il s’en va incontestablement rejoindre l’éponyme du précédent album. Tout à la fois véloce et désespérant, il tranche avec ses petits compagnons de bruit tout en leur ressemblant beaucoup. Disons qu’ici et un peu plus que d’habitude, les mots tristes scandés par une voix délavée sont aux antipodes du rythme enlevé qui les porte. Le truc adhère immédiatement à la boîte crânienne et ne s’en détache plus jamais.

Bref, on le voit, encore une fois Henry Blacker commet un disque salement addictif alors qu’il reste tout de même bâti sur des bases relativement glauques et poisseuses. C’est bien là tout le talent singulier de Timothy Farthing (voix, guitare), Joe Thompson (basse) et Roo Farthing (batterie) : suggérer beaucoup avec trois fois rien et extirper une belle profondeur d’une ossature pour le moins floue et épaisse. Comme semblent le suggérer sa pochette (le crayonné très précis d’une photo de Sam Peckinpah et Steve McQueen réalisé par Tim Farthing himself) et son titre, cet album semble être un hommage aux mémoires du scénariste Jeb Rosebrook consignant la création du crépusculaire Junior Bonner de Sam Peckinpah. Bagarreur (comme le film) et profondément triste (comme le film), The Making Of Junior Bonner agrippe tout autant par sa colère que par sa justesse et fait plus que jamais regretter le relatif anonymat qui entoure la formation.

Brillant.

Chroniques - 13.04.2018 par leoluce
 


The Making Of Junior Bonner, nouvel album d'Henry Blacker, en écoute exclusive

« Henry Blacker formed because there’s nothing to do in Somerset. Henry Blacker formed because the other band they do (Hey Colossus) rehearse in London and they wanted a band they didn’t need to travel the width of the country to jam with. » On ne saurait mieux résumer ce que l’on trouve (...)



Chroniques // 10 mai 2015
Henry Blacker

Summer Tombs affermit l’amalgame stoner-sludge-noise d’Henry Blacker. Toujours plus lourd, toujours plus sale, toujours plus entêtant.