Yann Tiersen - EUSA

EUSA. Soit « Ouessant » en Breton. Depuis quelques années, Yann Tiersen s’est installé sur cette île située au large des côtes finistériennes. Impliqué dans la vie locale – il a notamment racheté une ancienne discothèque pour en faire un pôle culturel incluant un studio d’enregistrement – l’artiste semble être dans une phase de sa vie où le rapprochement avec la nature n’est même plus un choix, encore moins une stratégie, mais tout simplement un mode de vie qui s’impose.

1. Hent I
2. Pern
3. Hent II
4. Porz Goret Voir la vidéo Yann Tiersen - Porz Goret
5. Lok Gweltz
6. Hent III
7. Penn ar Roc’h
8. Hent I
9. Kereon
10. Hent V
11. Yuzin
12. Roc’h ar Vugale
13. Hent VI
14. Penn ar Lann
15. Hent VII
16. Enez Nein
17. Kadoran
18. Hent VIII

date de sortie : Label : Mute

Deux mois après s’être marié en costume breton – à Ouessant, évidemment – c’est Emilie Quinquis – dont nous défendions le premier album paru sous le pseudonyme de Tiny Feet il y a déjà deux ans – qui a l’honneur de poser sa voix pour accompagner les premières notes de Hent I. En Breton évidemment. La démarche avait déjà été entreprise par la compagne de l’artiste sur Infinity avec Ar Maen Bihan, et sera renouvelée sur le dernier titre de l’opus, Hent VIII. Entretemps, ce dernier sera entièrement instrumental. Yann Tiersen d’ailleurs : « Je pense que c’était la première fois qu’il y avait du breton dans ce studio. Enregistrer du breton à Abbey Road, c’est chouette, non ? ».

En effet, seule entorse à cette volonté de privilégier les circuits courts, EUSA a été enregistré outre-Manche, dans le célèbre studio des Beatles. Le processus créatif de ce disque mérite d’être précisé. Composé de dix-huit titres, il serait plus exact de définir EUSA comme le recueil de dix pièces de piano – que Yann Tiersen avait déjà dévoilées sous forme de partitions – au milieu desquelles s’intègrent huit interludes intitulés Hent (« le chemin ») correspondant à une improvisation de l’artiste sur fond de field recordings évidemment captés à Ouessant.

S’agissant de ces dix pièces de piano – chacune dédiée à un lieu-dit de l’île – qui représentent donc la colonne vertébrale de ce disque, Yann Tiersen ne se réinvente pas (Lok Gweltz ou Enez Nein rappellent ses premiers disques) mais ne se dirige pas exactement là où nous l’attendions. Après avoir accouché d’un triptyque plus expérimental et parfois électronique, composé entre 2010 et 2014 de Dust Lane, Skyline et Infinity, le Breton revient aux sources en faisant de nouveau du piano l’élément central dEUSA.

Pas question pour autant de faire un Amélie Poulain bis. Si le film de Jean-Pierre Jeunet a permis à l’artiste de bénéficier d’une popularité internationale, celle-ci a de plus en plus ressemblé à un fardeau, voire un carcan dans lequel il aurait été risqué de se laisser enfermer. Non, rien de tout cela ici. EUSA est un disque radical à sa manière en ce sens que, visiblement adepte du « tout ou rien », Yann Tiersen a répondu aux distorsions technologiques d’éléments analogiques dInfinity par une épure plus poussée que jamais, EUSA étant le premier de ses disques sur lesquels le piano n’est pas soutenu par un autre instrument.

L’alternance entre les parties fondamentales au piano et les transitions est donc bienvenue pour rompre une monotonie qui, de par le caractère insulaire du disque, pourrait de toute façon avoir un sens conceptuel. Il serait de toute manière erroné d’avancer que chacune des pièces brille par sa singularité. Non, l’auditeur est ici agrippé dans un univers clos et délimité – insulaire, on l’a dit – au sein duquel la fuite est impossible.

Autant autobiographique que forme d’hommage à cette nature bretonne (« Ouessant c’est bien plus que ma maison, ça fait partie de moi. Il s’agissait de tracer une carte de l’île, et donc une carte de qui je suis »), EUSA est un disque qui permettra à l’auditeur de se découvrir des ressources parfois insoupçonnées. Rares sont les compositions qui peuvent mettre en verve et véhiculer autant d’émotion avec si peu de matériel de base. Un simple piano et le jeu imparable de Yann Tiersen sur Kadoran suffisent par exemple à masquer la mélancolie sous-jacente mais jamais exacerbée pour susciter un optimisme loin d’être béat.

Moins emphatiques que par le passé, les pièces composées par l’artiste n’en sont pas moins intenses s’agissant de la transmission des sensations. On retrouvera forcément l’héritage de quelques-uns des précédents travaux du musicien, particulièrement les bandes originales de films tant EUSA est cinématographique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le couple a choisi d’associer une photographie réalisée par Emilie Quinquis à chacun des titres. Aussi, la lenteur et l’apaisement de surface d’un Roc’h Ar Vugale laissent deviner une gravité sous-jacente à la manière de la tonalité de Goodbye Lenin ! alors que Kereon, qui évoque d’abord Rue Des Cascades lors des premières secondes, tend davantage à se rapprocher de Tabarly.

Incitant à la contemplation, EUSA est un parfait condensé d’épure et ne choisit jamais entre luminosité et mélancolie. Hédonique, le rapport de ce disque au temps constitue une leçon de vie et la seule urgence qu’il semble susciter est celle de se rapprocher de cet essentiel dont on a tôt fait de s’éloigner.

Chroniques - 30.09.2016 par Elnorton
 


Articles // 11 janvier 2015
2014 sans prise de tête - Partie 4

Quelles sont les raisons qui nous font, chaque année, lire et relire les différents tops affolant webzines et presse spécialisée ? Si ces objectifs plus (la volonté de partager de nouveaux disques) ou moins (l’illusion d’être un défricheur) avouables rendent l’exercice de plus en plus raillé, j’y vois essentiellement l’occasion d’ordonner mes découvertes (...)



Le streaming du jour #1083 : Yann Tiersen - 'Infinity'

"Ce qui a peut-être un peu foutu la merde, c’est Amélie, parce que ça a amené un succès un peu trop gros, que des gens ont peut-être écouté ma musique pour des mauvaises raisons". Il est évident que la musique de Yann Tiersen a toujours évolué, délaissant peu à peu les comptines faussement naïves des débuts pour des ambiances plus sombres et volontairement (...)