Live Report : Art Rock (Saint-Brieuc, 2-4 Juin 2017)
Ce week end de Pentecôte, rendez-vous était pris à Saint-Brieuc pour assister au festival Art Rock dont la programmation hétérogène permet à de nombreux artistes appréciés dans les couloirs de la rédaction de se frayer un chemin au milieu de formations plus anecdotiques.
Ainsi, Naive New Beaters et Jagwar Ma ouvraient le bal sur la grande scène le vendredi en fin d’après-midi, à un horaire trop avancé pour nous permettre de couvrir leurs prestations. C’est donc avec La Femme que les hostilités débutaient. Hostilités, un terme qui n’est pas choisi au hasard puisque les musiciens semblent tout faire pour provoquer cette sensation chez les spectateurs.
S’appuyant sur des instruments cheap dont les structurations parviennent régulièrement à créer une ambiance hypnotique, le charme se délite dès lors qu’apparaissent les parties vocales. Paroles candides et chant maniéré, très ancré dans les années 80, s’ajoutent à une forme de condescendance qui ne permet pas d’accorder une quelconque sympathie à La Femme. Qu’il s’agisse du slam du chanteur dans le public, de l’apparition de femmes aux seins nus ou à la tenue de gymnaste équivoque, les artifices sont nombreux et l’exagération omniprésente, confirmant l’évidence selon laquelle le contenu musical n’est pas suffisamment dense pour se suffire à lui-même.
Tout l’inverse des Kills qui font leur entrée sur scène une demi-heure plus tard pour une prestation brute et directe. Plus convaincants encore que l’an passé au festival Beauregard, Jamie Hince et Alison Mosshart se placent à distance respectable l’un de l’autre, chacun à un bout de la scène, devançant un bassiste et un batteur discrètement tapis dans l’ombre.
Pourtant, même si la communication verbale avec le public est limitée – et c’est finalement tant mieux, il n’y a pas de temps à perdre avec des formalités – les Kills se dépensent sans compter dès le Heart of a Dog initial, bientôt suivi d’un U.R.A. Fever bienvenu. L’essentiel d‘Ash & Ice y passe, avec des mentions spéciales pour Hard Habit To Break, Siberian Nights, Doing It To Death et la ballade électrique Echo Home de circonstance en ce 2 juin puisque sortait ce jour-même l’EP Echo Home – Non Electric EP, d’ailleurs chroniqué dans nos colonnes.
Au grand plaisir de l’assistance, le répertoire de Midnight Boom est également exploité puisque, outre U.R.A. Fever, seront joués la langoureuse Black Balloon et un Tape Song dont le refrain déchaîne le public. Jamie Hince et Alison Mosshart commencent à se regarder davantage, ils jouent ensemble et Jamie se permet même un moonwalk guitare en main pour s’effacer devant le charisme de sa compère.
Dans une relation de couple, que ce soit à la ville ou sur scène, si la complicité est indispensable pour durer, l’authenticité l’est au moins autant et le duo l’a bien compris. Il n’en fait jamais trop, ne surexploite pas la carte « charme » sur laquelle il pourrait pourtant surfer. Musicalement, les fondations sont toujours aussi solides et malgré un ou deux titres plus en dedans aux deux tiers du concert – lorsque les mélodies s’effacent trop devant les rythmiques, les compositions des Kills en souffrent toujours – ils nous offrent déjà l’un des shows les plus efficaces, bruts et séduisants qu’il nous sera donné d’apprécier en festival.
Les digressions techno-électroniques de Cassius viendront clore la soirée, laissant pour seul regret le fait que les Kills et les Norvégiens de Sløtface jouaient en même temps alors qu’ils s’adressaient probablement au même type de public adepte d’un rock alternatif puissant.
Le samedi, la soirée débutait avec Bombino avant que le collectif anglo-nigérian d’Ibibio Sound Machine ne dévoile des compositions oscillant en permanence entre incursions électroniques et structure afro basée sur la voix puissante d’Eno Williams ainsi que des cuivres envoûtants mais parfois répétitifs. Un set qui s’achèvera avec un moment de malaise lorsque le combo quitte la scène avant l’heure, s’attendant à être rappelé par un public qui reste muet. Il faudra quelques mots de l’un des musiciens pour que l’assistance réclame poliment le retour du groupe qui s’exécute alors sans folie.
La véritable tête d’affiche de la soirée fit son apparition sur scène trente minutes plus tard. Que l’on apprécie ou pas son univers, il faut reconnaître à Julien Doré le fait qu’il délivre une partition bien plus intéressante que ce que son statut d’ancien candidat de télé-crochet pouvait laisser craindre. Attendu par un public hétérogène dont les teenagers étaient toutefois les plus nombreux – le charme de l’artiste n’y étant sans doute pas pour rien – l’auteur de & a entamé son set pied au plancher avec son tube Le Lac. D’abord timide vocalement, la faute à des réglages mal maîtrisés, Julien Doré se réajuste et, encore une fois, que l’on apprécie ou pas son univers, il n’y aura pas grand-chose à lui reprocher au cours de l’heure qu’il passe en compagnie du public sous la pluie.
Entre une véritable prestance scénique et quelques artifices dont il n’abuse pas et qui font finalement davantage rire qu’ils n’agacent – de la présence d’un panda rappelant son dernier clip sur Coco Câline à son apparition sur une mini-moto – Julien Doré se révèle plus authentique et respectueux de son public que l’on ne pourrait l’imaginer. Il joue essentiellement les titres de & dans des moutures plus musclées et offre néanmoins un Les Limites électrisé aux fans de la première heure. Plus le concert évolue et plus les six musiciens qui l’entourent - dont l’un possède quelques airs troublants de Thom Yorke - et lui-même s’orientent vers des territoires électriques, certains titres comme l’envoûtante ballade au piano Sublime & Silence – gâchée par un public qui hurle des grossièretés sur la partie initiale la plus calme – évoluant même vers une texture aux confins du post-rock. Malheureusement, Julien Doré n’exploitera probablement pas cette direction à court terme sur disque puisque ses fans ne s’y retrouveraient pas. Mais qu’importe, loin de s’économiser, il a proposé une prestation pleine de volonté et intéressante sur le plan artistique.
Difficile d’en dire autant de Deluxe offrant un set dynamique qui satisfera forcément ses fans et la frange du public venue pour faire la fête et s’aérer l’esprit. Les sudistes remplissent pleinement cet objectif en s’appuyant sur des instrumentations admettant aussi bien l’électricité des guitares, les percussions rugueuses et les vents langoureux. A cela s’ajoute une voix rappelant celle de Selah Sue et des incantations permanentes incitant le public à « donner plus », ce dernier s’exécutant pour transformer la fosse en dancing géant. Deluxe remplit donc son contrat sans satisfaire les amateurs de subtilité pour une soirée qui, avouons-le, était celle qui suscitait le moins d’attentes au cours de ce festival mais pour laquelle Julien Doré aura, mine de rien, justifié le déplacement.
Enfin, le dimanche proposait sans doute l’affiche la plus fournie, que ce soit sur la grande scène ou sur le festival "off". La vie est faite de choix et, pour assister à la prestation des Black Angels, il fallut se résoudre à sacrifier celles de nos chouchous de Féroces, auteurs du récent Donna EP enregistré en marge de notre compilation en hommage à Twin Peaks, des Rennais de Bumpkin Island dont nous louions l’excellent All Was Bright et des Briochins de Soon, She Said dont le shoegaze finira tôt ou tard par être évoqué plus longuement dans nos colonnes.
Les Black Angels, eux aussi chouchous de notre webzine puisqu’ils nous livraient déjà deux interviews en 2007 et 2008, occupèrent la scène avant la tombée de la nuit. La pluie qui avait accompagné les festivaliers durant la fin de l’après-midi n’était plus qu’un mauvais souvenir et les conditions étaient donc idéales pour apprécier la prestation du quintet américain dont le Death Song sorti il y a quelques mois présentait suffisamment d’atouts pour faire oublier la relative déception d’Indigo Meadow quatre ans plus tôt.
La solidité des compositions se prolonge sur scène où les embardées psychédéliques du combo associées à un visuel psychotrope propice à la genèse de crises d’épilepsie ont tôt fait de propulser l’assistance dans un univers hallucinatoire.
Alternant des titres issus de leurs premiers disques, parmi lesquels Black Grease et You On The Run ne manquent pas de stimuler l’auditoire, et certains des sommets de Death Song, de Currency à l’onirisme de Life Song en passant par l’aspect Velvet-friendly de Grab As Much, les musiciens se donnent sans compter et proposent ce qui restera sans doute le set le plus abouti du festival avec celui des Kills, les compositions étant puissantes tandis que le combo, presque désinvolte, semble toujours aussi accessible et modeste.
Suivront sur scène les Britanniques de Metronomy. S’il est assez aisé de railler le groupe après les déceptions suscitées par Love Letters et Summers 08 - nous sommes les premiers à céder à cette tentation - force est de constater qu’ils n’abusent pas de leur statut (usurpé) de tête d’affiche de la soirée. La communication est minimaliste mais ils nous épargnent certains d’excès d’emphase ou d’auto-satisfaction dont nous nous passons volontiers.
Les constructions des titres issus des derniers albums sont moins abouties certes et malgré de médiocres réglages sonores, le public y trouve son compte. L’ambiance atteint même des sommets en fin de set, d’abord lorsque Anna Prior laisse les fûts à Joseph Mount pour assurer les parties vocales, puis avec le hit The Look issu d’un The English Riviera sorti en 2011 et bien supérieur aux dernières productions du groupe qui ont également souffert de médiocres réglages sonores en ce dimanche.
Il faut bien l’avouer, la formation britannique la plus attendue de la soirée était celle qui succédait à Metronomy. Même s’il est difficile de cacher la déception que constitue leur dernier album intitulé The False Foundation, succédant lui-même à quelques paires de disques plus dispensables depuis le dernier sommet Controlling Crowds en 2009, il ne pourra pas être reproché au combo d’avoir aseptisé son propos.
Archive est d’ailleurs le contre-exemple parfait du groupe dont la profondeur des préoccupations semble augmenter au fil des années. Paradoxalement, cette profondeur se heurte à une certaine étroitesse des compositions qui, de fait, ne permet pas à ce propos d’être plus dense. Pour résumer, le son d’Archive est plus puissant, parfois plus brut et radical, mais il perd en onirisme ce qu’il gagne en rage.
Plus précisément, cet aspect planant qui laissait autrefois place à une révolte intérieure - il n’y a qu’à se rappeler du chant de Craig Walker il y a quinze ans sur un Again malheureusement boudé ce dimanche soir - n’est plus aussi apparent. Cette ambivalence se fait désirer. Le set n’en reste pas moins efficace, le chant de Pollard Berrier participant à cette rêverie permanente qui s’amuse auprès des portes de l’enfer. Les visuels sont d’une qualité redoutable, amplifiant la sensation de perte de contrôle - un thème central depuis Controlling Crowds - mais également d’étouffement.
Une partie du public n’y trouve pas son compte, regrettant clairement l’absence de titres issus des débuts du groupe. C’est clairement la dernière période d’Archive, celle post- Restriction, qui est exploitée. Quatre titres du dernier opus du groupe (l’ouverture Driving in Nails, Splinters, Bright Lights et The False Foundation) et trois de Restriction (Crushed, Kid Corner et l’efficace Feel It) font de ces deux disques les plus représentés, mais quelques anciennetés - toutes relatives - s’invitent néanmoins, du Pulse figurant sur Noise au Violently de With Us Until You’re Dead.
Mais il faut bien l’avouer, les moments durant lesquels la tension monte encore d’un cran correspondent, et c’est bien légitime, à l’utilisation du meilleur de leur répertoire, en l’occurrence Controlling Crowds et You All Look The Same To Me, les deux premiers albums - Londinium et Take My Head - étant totalement ignorés. De fait, extrait de l’album homonyme, Controlling Crowds propose aux spectateurs une épopée de près de dix minutes alternant passages puissants et nappes planantes tandis que Bullets, extrait du même disque, fait désormais figure de classique du combo unanimement reconnu par la foule.
Même si nous aurions préféré le sommet Again qu’ils ont récemment joué, les musiciens s’offrent le luxe d’une conclusion avec un Numb à la ligne vocale entêtante soutenue par une débauche d’effets électriques maîtrisés. De manière globale, l’électricité était au programme ce dimanche soir avec Archive, dont la prestation aura forcément davantage plu aux amateurs du versant musclé et progressif emprunté depuis Noise en 2004 et surtout Part IV en 2009, qu’aux amateurs du trip-hop originel d’un Londinium déjà vieux de 21 ans.
En somme, mêlant des formations que nous saluons régulièrement dans nos colonnes (The Kills, The Black Angels et Archive) et qui proposeront des sets de qualité, à des artistes dont l’univers s’éloigne de nos affinités musicales mais qui auront eu le mérite de ne jamais s’économiser - à l’exception de la condescendance criante de La Femme - Art Rock a proposé un cru intéressant, audacieux et courageux pour un festival s’adressant aussi bien aux auditeurs distraits qu’aux mélomanes passionnés.
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