Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp XXL - Sauvage Formes

À la faveur d’un chouette concert dans le sud-ouest, on avait découvert les morceaux de Sauvage Formes et le nouveau visage de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp dans sa configuration XXL. Aujourd’hui couchés sur disque, on les redécouvre et ils se montrent tout aussi intenses et contrastés qu’ils l’étaient déjà sur scène.

1. Blow
2. Sous Mes Yeux
3. Across The Moor
4. Bêtes Féroces
5. The Unknown
6. Lost And Found
7. Danser Soi-Même
8. So We All

date de sortie : 27-04-2018 Label : Les Disques Bongo Joe/L’Autre Distribution

Depuis 2014, on était sans nouvelles de l’Orchestre Tout Puissant. Enfin, sur disque tout du moins. Mais à la limite, peu importe puisqu’à l’instar de Rotorotor qui a beaucoup tourné et tourne d’ailleurs encore régulièrement sur la platine, le groupe faisait de même mais sur scène. C’est comme cela qu’ils ont croisé la route d’un quatuor à cordes anglais qui a fini par grossir leurs rangs puis qu’ils ont rappelé quelques complices de la première heure pour mettre sur pied l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp XXL. Pourtant, de prime abord, le côté extra-large ne saute pas vraiment aux oreilles et il faut attendre un peu après la troisième minute de Blow qui ouvre Sauvage Formes pour que le nouveau paradigme explose dans toute sa majesté. Toutefois, inutile d’attendre une débauche instrumentale qui en mettrait partout et musclerait ostensiblement le propos, l’Orchestre Tout Puissant reste indéniablement ce qu’il est : un truc très métissé et toujours nuancé qui n’amoncelle les strates que par intermittence. La plupart du temps, on est plutôt dans le mélange, le tissage minutieux et la distribution parcimonieuse des uns et des autres. Dans la version XXL, chacun occupe les devants à tour de rôle et il est finalement assez rare qu’ils le fassent tous en même temps. Du coup, la musique gagne en densité mais conserve plus ou moins la même forme et aucune protubérance ne vient déformer l’écorché, ce que l’on pouvait craindre au regard du nombre d’intervenants (ils étaient six à l’époque de Rotorotor, ils sont désormais quatorze).

Alors bien sûr, même si en version XXL, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp reste incontestablement ce qu’il est, il n’en reste pas moins que quelques différences se font tout de même entendre. En premier lieu au niveau des voix : on reconnait toujours immédiatement celle de Liz Moscarola mais elle n’est plus seule puisque sur Sauvage Formes, « everybody sings » et le fait en anglais et aussi en français (ce qui est nouveau). Parfois les chants s’enlacent et s’épaulent et l’on se retrouve face à une chorale singulière et militante, à l’image de celle que l’on entend au beau milieu du très rampant et addictif Bêtes Féroces, balançant des mots calqués sur ceux de feu le poète québécois Gaston Miron : « nous avançons nous avançons/le front comme un delta/à force d’avoir haï toutes les servitudes/nous sommes devenus des bêtes féroces/de l’espoir ». Il arrive que le Tout Puissant foule aux pieds des rivages déjà défrichés par Hyperculte avant lui, sur le début du très étonnant Danser Soi-Même par exemple, où Vincent Bertholet s’empare du micro, très vite accompagné par tous les autres. C’est lui aussi qui a tout composé et a arrangé les cordes, les cuivres et les voix et l’on ne s’étonne donc pas de retrouver quelques réminiscences du duo qu’il forme avec Simone Aubert dans ces nouveaux morceaux. De prime abord, ces chœurs ont de quoi surprendre mais finalement, force est de constater qu’ils s’intègrent plutôt bien à cet environnement XXL. Ce qui change aussi, ce sont évidemment les cordes. Trois fois plus nombreuses, elles sont partout et tapissent élégamment les interstices, à l’instar de ce So We All final auquel leurs langueurs apportent une grande part de mélancolie.

C’est peut-être là sans doute le plus grand changement de Sauvage Formes  : son aspect ténu, un peu moins débordant que l’Orchestre ne l’était auparavant alors même qu’il arbore une taille XXL. Attention, ce n’est pas une déception mais il faut simplement un peu de temps pour se faire à l’idée que le collectif explore des idées nouvelles, expérimente des formes différentes de groove et se montre luxuriant d’une autre manière. L’adhésion est un chouïa moins immédiate. Bien qu’elle soit toujours aussi festive, il est vrai que la musique donne paradoxalement l’impression d’être un peu plus domestiquée et cela décuple l’impact des moments plus intimistes : les percussions sèches qui rythment Blow et qui résistent au déferlement des cuivres, celles qui à elles seules habillent Danser Soi-Même, la vraie tristesse du très beau Lost And Found qui finit par tout emporter dans son sillon et celle déjà évoquée du tout aussi beau So We All. Pour le reste, on retrouve toujours le tapis percussif foisonnant et virevoltant, cette guitare toujours anguleuse et Exienne, les cuivres majestueux et les contrebasses caoutchouteuses toujours divinement captés par John Parish et cela donne son lot de morceaux prototypiques, urgents et ultra-magnétiques : Sous Mes Yeux, The Unknown voire Across The Moor intégrant un chant traditionnel écossais. Bref, Sauvage Formes est incontestablement différent mais au fond, c’est bien l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp que l’on retrouve complètement. Même en version XXL, il est bien le seul à sonner comme il sonne, le seul encore à être capable de faire danser les jambes, les bras, les mains tout en ne court-circuitant jamais l’encéphale, le seul enfin dont le kaléidoscope bariolé continue à dynamiter les styles pour engendrer le sien, immédiatement reconnaissable.

Ce quatrième album s’en va alors rejoindre ses turbulents et inépuisables aînés en maintenant la formation à des hauteurs toujours stratosphériques.

Chroniques - 19.04.2018 par leoluce
 


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