Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp - Rotorotor

Retour en fanfare de l’indomptable Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Rotorotor, leur troisième album, est une belle réussite. Tentative d’explications.

1. Slide
2. Close & Different
3. The Sheep That Said Moo
4. These Books Weren’t Made For Burning
5. Cranes Fly
6. Tralala
7. Apo
8. It Looked Shorter On The Map
9. Come on In
10. Homs

date de sortie : 04-04-2014 Label : Red Wig / Moi J’Connais Records

Toujours en retard, d’autant plus que celui-là a déjà été abondamment commenté. Il semble d’ailleurs faire l’objet d’une belle unanimité. Un signe ? Cette chronique n’ira pas à contre-courant, dès lors est-ce bien utile de l’écrire ? Sans doute pas. Mais on le fera tout de même parce qu’il s’agit là d’un album qui tourne et tourne encore et qui tournera probablement longtemps. Accaparant et positif, l’Orchestre Tout Puissant. Au même titre que sa musique, dense et bariolée, que l’on se plaît à explorer inlassablement. Une musique riche en accents et emprunts glanés ici et là, au gré des pérégrinations et des rencontres, des découvertes et des envies. Dans l’ADN du Tout Puissant, on trouve quelques gènes hérités de The Ex bien sûr, peut-être la réminiscence la plus évidente - d’ailleurs, G.W. Sok signe les paroles de deux titres - d’autres en provenance des Specials, notamment dans les cuivres et puis du Fela évidemment mais pas que puisque les atmosphères issues de l’Afrique sont nombreuses : rock collectif, mélodies chaleureuses, spleen solaire et groove omniprésent, tendu et tribal. Un zest d’expérimentations également dans cette volonté d’amalgame et d’échantillonnage, dans cette répétition distribuée avec parcimonie mais parfaitement dosée. Mais surtout, une patte, un truc bien à eux, un sillon qu’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp s’échine à creuser inlassablement : guitare anguleuse et aigrelette au vocabulaire post-punk, cuivres rebondissants et élégants, contrebasse capiteuse et caoutchouteuse, marimba entrainant et voix franchement classe capable de rester debout tout en déclamant de l’iconoclaste (The Sheep That Said Moo). « Iconoclaste », voilà bien un adjectif qui sied parfaitement à la musique du sextette : son côté foisonnant, sautant du coq à l’âne, sa densité importante poussant à multiplier les écoutes pour en faire le tour, un tour qui tarde d’ailleurs à être bouclé, ses éclats multiples, sa boule à facettes qui éclabousse le présent en réverbérant le passé, qui pervertit le traditionnel à grand renfort de modernité. Un entre-deux qui rend Rotorotor passionnant et parfaitement équilibré, sans doute plus que sur les essais précédents. Car jusqu’ici, si l’Orchestre mettait tout le monde d’accord, c’était surtout dans sa dimension live et sans doute un peu moins sur disque. Cette fois-ci, les deux semblent bien être au diapason.


La faute à une collection de morceaux sacrément bien construits. Dessinant des mouvements entêtants, trombone, guitare, percussions, contrebasse, xalam, cloches, violon, sifflets, marimba et jouets s’emboîtent les uns dans les autres, se mêlent et se démêlent et concourent à l’édification de vignettes colorées très prenantes sonnant joliment. John Parish que l’on ne présente plus a réalisé un boulot remarquable à la production, elle confère au disque une dimension naturelle et très détaillée. Chaque instrument se détache des autres même quand tous se font entendre au même moment. Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp tisse un patchwork saisissant dessinant de belles arabesques aux chausse-trapes et bifurcations nombreuses et aux destinations multiples : de l’Afrique à l’Europe, de l’Orient à l’Occident, du nord au sud, on touche pratiquement tous les endroits de la mappemonde. On voyage loin et on reste accroché longtemps par son indéniable richesse. De Slide, délicat et épicé, feutré et exubérant - parfaite entame - à Homs, tintinnabulant, porté par un marimba ténu - parfait épilogue (du vinyle en tout cas, la version CD étant enrichie de trois titres supplémentaires, tout aussi remarquables) - nombre de réussites constituent l’ordinaire de Rotorotor. De l’imparable (Close & Different), du joyeux bordel télescopé (Tralala offensif et pop à la fois), du chamarré (It Looked Shorter On The Map dont les percussions tropicales se fracassent contre des guitares afro-punk), du mouvant à la scansion exaltée (Come On In et ses six minutes qui débouchent sur une belle transe) entre autres pics saillants d’un disque au relief bigarré que l’on ne se lasse pas d’explorer. Car outre sa grande variété, on pourra louer la grande chaleur de l’ensemble, son côté extrêmement accueillant au regard des aspects retors et pour le moins inhospitaliers dont il regorge pourtant (la répétition, les expérimentations en tout genre, les riffs secs et austères). Bref, un disque à même d’être apprécié du plus grand nombre, tout aussi à l’aise dans le partage que dans l’introspection. Un peu l’équation idéale.

Hommage sans doute aux rotoreliefs d’un certain Marcel Duchamp, Rotorotor, comme eux, prend tout son volume lorsqu’il tourne sur la platine. Le disque charrie nombre de volutes épicées qui flottent dans l’air et recouvrent bien vite le morne quotidien de mille couleurs éclatantes. Tout à la fois drôle, impertinent et rigoureux, le groupe plie la réalité, la modèle à grands coups de morceaux métissés et aventureux. Mais trêve de mots, le mieux est évidemment de laisser la place aux télescopages d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, leur musique étant bien plus efficace qu’un long discours.

Remarquable.

Chroniques - 26.04.2014 par leoluce
 


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