Top albums - juin 2021

Avant notre break estival coutumier et le probable retour du top albums début septembre, le petit comité de résistants du début d’été vous a concocté une sélection que l’on espère digne de ce mois de juin, substantifique moelle de la cinquantaine de sorties recensées dans notre agenda parmi lesquelles quelques futurs favoris de nos bilans annuels. Bonne écoute !


Nos albums de juin 2021



1. Kelpe - Kyverdale Road

Run With the Floating, Weightless Slowness avait changé la donne l’an dernier pour le Britannique. Exit les beats ou batteries, bonjour l’onirisme des nappes de synthés, la mélancolie des claviers et le lyrisme douloureux des cordes texturées, un chef-d’œuvre presque ambient qui tranchait avec la dynamique coutumière de Kelpe et qui explique peut-être la frilosité des soutiens, sur Bandcamp, concernant ce Kyverdale Road pourtant moins cotonneux. Passée l’ouverture méditative de Don’t Forget To Breathe Eh, les rythmiques syncopées refont en effet leur apparition, sous forme de véritables drums plus feutrés que dans les live sets du Londonien il y a quelques années, car c’est bien Kelpe lui-même qui est aux fûts, enregistrés à la maison. Autre nouveauté, la guitare s’immisce dans les productions denses du musicien, et comme avec le dernier grand cru de Prefuse 73, qui bénéficiait lui aussi de véritables batteries et percussions, tout cela contribue à un feeling particulièrement organique, faisant de ce chaînon manquant entre kosmische musik, electronica et trip-hop l’un des joyaux rêveurs et enivrants de ce début d’année.

(Rabbit)


2. Emilie Zoé, Franz Treichler & Nicolas Pittet - /A\

" /A\ est tout neuf mais sort déjà son premier album. Si les oscillations vertes de la pochette n’indiquent rien, les quelques secondes qui ouvrent le disque suffisent à comprendre de quoi il s’agit. On connait cette voix et on connait ce climat sec, à fleur de peau, on connait aussi ces guitares. C’est Emilie Zoé, toujours accompagnée de Nicolas Pittet. Néanmoins, une autre voix se fait entendre, d’autres guitares aussi, d’autres climats : /A\ , c’est aussi Franz Treichler et il y a donc fort logiquement du Young Gods (récent) là-dedans.
Ce qui est intéressant, c’est que si l’on reconnait aisément les uns et les autres, la greffe propose aussi de l’inédit. C’est souvent lent, toujours mystérieux et très imbriqué. La plupart du temps, c’est beau aussi.
Tout y est mouvant. L’électronique fait jeu égal avec l’organique et si la couleur générale vire systématiquement au sombre, les nuances sont nombreuses. Les mots sont susurrés, scandés, grognés ou simplement chantés, les soubassements peuvent être minces ou montrer une épaisseur rageuse, les claviers prendre l’avantage ou les guitares, la dynamique reste bloquée sur le qui-vive, dans un entre-deux flou dont on remarque à peine les contours. C’est un disque de sensations vastes, d’émotions entremêlées qui finit par prendre le contrôle de la boite crânienne et imposer une forme de blues bien singulier."

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(leoluce)


3. Aries Death Cult - The Lunarians

La modestie a ses limites. Peu de votants au sein de la rédaction ce mois-ci et le classement du premier disque d’Aries Death Cult souffre de l’élégance de Konejo, moitié du duo mais également membre actif de notre comité, qui n’a pas plébiscité son propre travail. Sans cela, The Lunarians aurait probablement disputé la première place à Kelpe. Qu’importe. Admirateur des travaux d’Eddie Palmer, largement relayés dans nos colonnes, Konejo s’est offert une expérience - qui pourrait être reconduite - aux côtés de l’Américain qui tient également les manettes du projet Cloudwarmer.
Pour ceux qui connaissent les univers des deux artistes, le résultat sera savoureux tant il se situe à mi-chemin des influences de chacun. Des collages de samples chers aux Français aux abstractions diverses sur fond de spoken word enivrant d’Eddie Palmer, chacun apporte sa pierre à l’édifice et les rythmiques, à classer entre trip-hop et lofi beats, sont un modèle du genre. La production d’Eddie Palmer contribue à renforcer l’ambiance à la fois abrasive, lancinante et psychédélique versant Lynchien. Jolie réussite que cet album narratif, comme souvent avec chacun des deux membres du duo, centré cette fois sur les douze signes du zodiaque. Probablement l’un des albums mélangeurs les plus ambitieux et accessibles de ce premier semestre.

(Elnorton)


4. Fields Ohio - Litha

Mois de juin chargé pour Eddie Palmer puisqu’on le retrouve également associé à l’instrumentiste Christine Annarino, collaboration plus ancienne celle-ci puisque les premiers enregistrements de Fields Ohio remontent à huit ans déjà. Entre groove chillesque sous perfusion trip-hop, influence des musiques africaines (Cusp of Magic) et envolées d’arrangements baroques, des chœurs de Coven aux claviers de Serpent’s Shadow : Mayan Surprise en passant par la guitare wah-wah de Lucia Lights a Fire, on reconnaît bien l’inspiration récente du New-Yorkais, qui construit ici certains des morceaux sur les motifs acoustiques de banjo ou de ukulélé de sa comparse, à l’exemple de Drop Me From The Maypole ou The Garden Aligns with Orion. Si l’ensemble, particulièrement généreux du haut de ses 21 titres pour plus d’une heure et demie de musique, s’avère moins hanté, plus léger que la plupart des sorties de l’Américain, Litha rayonne assurément du même talent et de la même virtuosité, déjà un classique pour cette année 2021.

(Rabbit)


5. Hania Rani - Music for Film and Theatre

Si les deux premiers opus de la pianiste polonaise, sortis chez Gondwana Records, avaient été remarqués pour leur romantisme en clair-obscur, en particulier Home qui s’ouvrait l’an dernier à un chant fragile et à des arrangements plus luxuriants après le piano solo du superbe Esja l’année précédente, ce merveilleux Music for Film and Theatre défendu par le même label passe un pallier en mêlant avec subtilité piano impressionniste, nappes ambient et orchestrations lancinantes. Pas de chant cette fois mais un grand moment de spleen cinématographique aux tourments sous-jacents et aux pointes de lyrisme retenues - Hania Rani, à l’image d’un Max Richter, se révèle taillée pour les bandes-son, un talent qui culmine ici sur le troublant Wildfires qui n’est pas sans évoquer le Pyramid Song de Radiohead (influence dont on parlait déjà à propos du single F Major) et annonce on l’espère de futurs projets pour le petit ou pour le grand écran.

(Rabbit)


5. Scvtterbrvin - Phantasmagoria

Après plusieurs EPs très réussis, le patron du Red Lotus Klan revient au long format, laissant à un certain al3jxndro le soin de mettre en musique cette ode au cinéma d’exploitation fantastique des années 70/80 à l’esprit baroque. Moins sombre et horrifique que certaines productions du Californien sous son pseudo Infinity Gauntlet (celle-ci par exemple), Phantasmagoria manie le kitsch avec délectation et une paradoxale élégance, le romantisme des cuivres, la mélancolie des cordes et vents et le psychédélisme des autres arrangements samplés contrastant avec des boucles plus fantasmatiques, des synthés au spleen rétrofuturiste et le flow tendu et sans fioriture du rappeur pour donner corps à une série de vignettes aux allures de film à sketches, les fameux "portmanteau films" qu’adaptait de comics d’épouvante une boîte de production telle qu’Amicus dans les 70s. Le résultat, superbe, doit au final autant à Kool Keith qu’à Syd Barrett, auquel rend justement hommage le dernier morceau du disque.

(Rabbit)


7. Nigel - Tantrum

On a un peu triché avec celui-là, par amour pour l’excellent label clermontois Hello.L.A. puisque ce Tantrum est la réédition en cassette d’une production d’il y a deux ans signée Nigel, alias méconnu d’Onry Ozzborn, fondateur du crew Oldominion aux multiples identités - et notamment moitié de Dark Time Sunshine, avec son compère Zavala qui produit ici trois morceaux avec le dynamisme presque dansant qui le caractérise mais laisse les meilleurs aux moins connus Rain et Smoke M2D6. N’y allons pas par quatre chemins, au contraire du dernier Dark Time Sunshine justement dont les prods bâclées nous avaient déçus, Tantrum est peut-être la meilleure sortie du rappeur de Seattle depuis le gigantesque Die Already de The Gigantics qu’il avait entièrement produit il y a 13 ans déjà. Outre les featurings forcément savoureux d’Aesop Rock et Mr Dibbs, influences de l’époque Def Jux pour le bonhomme, il y a renoue en effet avec un minimalisme singulier et mutant qui s’avère aussi jouissif qu’atmosphérique et n’exclue pas quelques élans lyriques plus appréciables ici que chez DTS car distillés avec modération.

(Rabbit)


Les EPs du mois


1. Kenny Segal - INDOORS

Sous le feu des projecteurs indie rap depuis qu’il produit pour Billy Woods ou Serengeti, Kenny Segal a plus d’une corde à son arc et devrait emballer les fans des premiers Flying Lotus, des télescopages électro-hip-hop de Thavius Beck ou des métissages future jazz du génial 10th Letter avec ce nouvel EP d’instrumentaux tour à tour feutrés, épileptiques ou psyché dont les rêveries aux tempi mutants ont ce charme délicieusement bancal et contrasté des grandes heures du glitch-hop, pasé à la moulinette de l’un des beatmakers les plus talentueux de notre temps - lequel se permet même un clin d’oeil à la drum’n’bass chillesque et jazzy du Ninja Tune mid 90s via l’excellent Wave Function of the Universe.

(Rabbit)


2. Tenshun - Groove Geometry

Usant cette fois de field recordings ou de synthèse sonore pour créer des drums qu’il malmène ensuite sur ses machines, l’Américain Tenshun, collaborateur fréquent de Bonzo, livre un nouveau 2-titres à la croisée de la noise et d’un abstract hip-hop... forcément plus géométrique qu’à l’accoutumée. Le groove en roue libre le dispute aux sonorités électro abrasives et aux effluves psyché, rapprochant par moments ce Groove Geometry des expérimentations les plus viscérales d’un label tel que Mego qui aurait digéré les collisions mathématiques de Raster-Noton.

(Rabbit)


3. 90 (noventa) - D3PR35510N 2

Sous les titres évoquant avec ironie ses différents projets parfois défunts et les va-et-vient de cette flamme créatrice que les autoproduits se battent jour après jour pour conserver, ce nouvel EP de Noventa se passe de rap et distille son mal-être via de simples boucles malades agrémentées de beats lo-fi, évoquant rien de moins que l’une de nos idoles de la grande époque d’Ant Records et d’Anticon, Sixtoo, pour cette capacité à fasciner avec le squelette d’un hip-hop old school déplumé de ses rondeurs superflues et déglingué au papier de verre des musiques expérimentales et de l’indus.

(Rabbit)


3. Adrian Younge, Ali Shaheed Muhammad & João Donato - Jazz Is Dead 007

Nouvelle collaboration des beatmakers Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad avec un géant de l’ombre du jazz au sens large, ce 7e EP les voit s’associer avec João Donato, pianiste brésilien de 86 printemps qui aura notamment contribué à importer des sonorités sud-américaines et cubaines dans le jazz west coast des 60s. Illuminant au Fender Rhodes ces 9 titres dont le groove tropical et feutré se teinte d’accents stellaires et flirte avec les soundtracks d’exploitation soul/jazz les plus classieux des 70s, il signe avec la paire d’instrumentistes et producteurs l’un des plus beaux - si ce n’est LE plus beau - volets de la série à ce jour.

(Rabbit)


Articles - 13.07.2021 par La rédaction
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