Mon année 2014 en 100 albums - Part 8

Mes favoris de l’année écoulée triés sur le volet à l’instant T, 10x10 albums tous genres confondus et quelques bonus à la fin (meilleurs EPs, labels, etc.), voilà ce qui vous attend dans cette série qui réduira faute de temps les commentaires au strict minimum (les deux tiers des disques mentionnés ayant été chroniqués dans les pages d’IRM, vous savez où aller).

Et comme il arrive parfois qu’à l’instant T+1 une écoute de dernière minute vienne tout chambouler, je m’autorise pour cette huitième partie mêlant étroitement narration instrumentale et abstraction un petit bonus d’entrée de jeu. Car fait peu coutumier, ce mois de décembre que beaucoup oublient volontairement en publiant leur top dès novembre voire octobre (!) fut riche en sorties de qualité, en attestent pas moins de 8 albums présents dans ce classement dont 5 parmi les 30 premiers (et 2 de plus, signés LPF12 et Badun, recalés de si peu).





30 bis. Leonardo Rosado - Adrift (Oak Editions)


Successeur de l’intense Washed Away Memories qui évoquait l’année précédente la mélancolie des longues nuit de Suède et l’ambivalence de ses paysages magnifiés et violentés par le froid, ce bijou d’ambient électro-acoustique intégré de justesse au bilan voit le Portugais émigré à Göteborg flirter avec les allégories spéléologiques d’un Retina.it, avec en lieu et place des abîmes caverneux les étendues craquelantes d’une berge prise dans la glace, dernier refuge des oiseaux de mer avant le grand plongeon. Assemblant les parcelles d’émotions et d’impressions de ses rêves à demi effacés par la marée du subconscient, Leonardo Rosado nous fait partager la dérive symbolique qui s’ensuit au gré des courants, cette nécessité de s’abandonner aux éléments pour oublier tout ce que l’on croit savoir, tout ce que l’on tient pour important, et renouer enfin avec la primauté du ressenti.





30. Christopher Bissonnette - Essays In Idleness (Kranky)


Repéré notamment
dans nos pages pour son chef-d’œuvre ambient à quatre mains avec David Wenngren (aka Library Tapes) ou encore un très bon remix sur l’album de Pjusk & Sleep Orchestra, le Canadien Christopher Bissonnette réduit volontairement son champ d’action en choisissant comme unique source sonore de ce troisième opus chez Kranky un synthétiseur analogique qu’il s’est lui-même construit. En résulte un album aveuglant de pureté dont les ballets de textures mouvantes et autres radiations dronesques infusent notre perception de scintillements fugaces et de taches solaires dansant aux abords du champ de vision, déployant avec minutie leurs vapeurs de mélancolie parsemées des fragments de rêve d’un futur aux contours distordus.





29. Objekt - Flatland (PAN)


Venu des clubs berlinois (mais Briton d’origine) et remarqué ces deux dernières années pour des sorties singles batifolant de plus en plus ouvertement avec l’expérimentation, TJ Hertz partage avec Lucy ou Perc, sans pour autant céder aux mêmes abîmes de tourments et de nuances de noir profond, une démarche de déconstruction de la techno qui l’amène aujourd’hui aux frontières de l’ambient kosmische et de l’IDM du Warp des 90s ou encore du label Schematic. Onirisme malaisant, dialogues de sourds entre aliens, polyphonies de blips stridents et autres beats mutants se partagent donc les restes d’un groove déstructuré qui parvient pourtant toujours à insuffler quelques beaux morceaux de transe cybernétique dans nos membres épileptiques entre deux rêveries pour moutons mécaniques, et tout ça sans se départir d’une dimension ludique qui le rapproche tant d’Holden que d’Autechre... avouez qu’il y a pire comme comparaisons !





28. Ævangelist - Writhes In The Murk (Debemur Morti Productions)


"Déjà morbides et malfaisants comme pas permis sur l’apocalyptique Omen Ex Simulacra de 2013, les Ricains Ævangelist montent d’un cran dans la terreur en enfouissant sous un mur de guitares viciées leurs marches chaotiques vers le jugement dernier. Souvent quasi indiscernables dans le bourbier suintant des atmosphères troussées par Ascaris et Matron Thorn aux confins du black metal, du death et de l’ambient (versant dark de toute évidence), les vociférations de goules assoiffées et autres incantations malsaines remuent la fange de l’intérieur sans jamais parvenir à s’en extraire vraiment (une bénédiction pour les allergiques au grunt et à tout le folklore associé) tandis que la batterie redouble d’efforts pour se désengluer de ce même marécage de riffs déchiqueteurs et de chœurs d’âmes damnées qui la relèguent au second plan. Comment ne pas adorer un groupe de metal qui à l’image de The Body ou de Terra Tenebrosa fait fi de tout repère esthétique et de toute concession, se permettant même de lorgner sur un jazz aux ambiances cinématographiques à coups de solos de saxo insidieux ?"


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27. Vladislav Delay - Visa (Ripatti)


"Désormais adepte d’un ambient-jazz déconstructiviste avec le Vladislav Delay Quartet et d’une dubtronica impressionniste au sein du Moritz Von Oswald Trio, le Finlandais tire le meilleur de ces diverses expériences en offrant à ses nouvelles compos une densité et une tension qui doivent autant au drone qu’aux pulsations analogiques semi-aléatoires d’un Keith Fullerton Whitman, improvisant sur une trame en flux tendu des entrelacs de nappes oniriques aux mutations insaisissables et cette fois totalement libérés des contrainte mélodiques, harmoniques ou rythmiques qui encadraient encore, même avec discrétion, les longues errances dEle en 99. Pour autant, jamais Visa ne cesse de s’adresser aux sens, qu’il de s’agisse de les bombarder de reliefs fugaces et contrastés sur un Visaton intrigant de plus de 23 minutes, de les piler menus sur Viaton et Viisari, de les désorienter au gré des pulsions fractionnées de Vihollinen ou de finalement les anesthésier sur Viimeinen, conclusion plus concise aux motifs ambient minimaux réitérés jusqu’au vertige."


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26. Daniel Buess - Pitch (Pharmafabrik)


Habitué des collaborations à base de percussions semi-improvisées, de bruitisme et d’électronique (de l’Ensemble Phoenix Basel à Buggatronic en passant par Cortex, Mir ou Killamor), le batteur suisse Daniel Buess se lâche en solo sur cette première sortie pour l’excellent label slovène Pharmafabrik (on en reparlera tout en haut de ce classement), grand chantier dont les percus déstructurées à la croisée de l’indus, du dark ambient et des musiques tribales, microdistorsions synthétiques, cordes frappées aux sonorites quasi méconnaissables et autres crachotis de bruit blanc esquissent les contours flous d’un no man’s land démesuré où les débris de métal auraient pris vie pour copuler et se multiplier jusqu’à former un drôle d’écosystème moins anarchique qu’il n’y paraît. Quant aux presque 22 minutes du live final enregistré au Japon en compagnie de Cal Lyall (guitare) et Kikuchi Yukinori (électronique), elles ne brisent en rien l’immersion et redoublent de densité harsh, soufflant au rythme de leurs pulsations sourdes des bourrasques de limaille et de circuits imprimés.





25. John E Cab - Do What They Say (I Had An Accident)


"Rappeur, producteur et instrumentiste accompli (notamment au violon) qui côtoie au sein du collectif philadelphien US Natives l’excellent Ill Clinton, John E Cab aura mis 7 années à se livrer ainsi, à mettre en son les petites joies et surtout les grandes douleurs qui parsèment son parcours d’artiste et sa trajectoire d’être humain, à faire le deuil de son frère décédé en couchant sur sillons les émotions contradictoires et les sautes d’humeur, parfois avec l’aide de mots, parfois dans un maelström de sentiments changeants auxquels seule la musique pouvait rendre justice. Ainsi, bien que le flow résolument alt-rap de l’intéressé finisse par s’imposer sur les morceaux les plus faussement décontractés du disque, de l’anxieux The Night Shift au désespéré As Separate Worlds Collide dont le titre pourrait faire figure de manifeste pour ces télescopages musicaux à nul autre pareil, l’aventure est ailleurs et il nous faudra bien quelques dizaines d’écoutes pour explorer toutes les facettes de ce chef-d’œuvre étonnamment facile d’accès au regard du foisonnement d’idées dont il fait preuve."


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24. Be My Weapon - ¡¡GREASY !! (pSychopSpecificMusic)


"Passé sous les radars depuis l’abandon de son pseudo Swell, David Freel n’a pourtant rien perdu du panache et de l’audace des plus grandes heures de sa glorieuse formation psyché/lo-fi des 90s. Déglingué et larsenisant, pétri d’ironie et de névroses à fleur de peau, ¡¡GREASY !! évoque ainsi dans sa première partie la flamboyance baroque d’un Menomena voire même d’un TV On The Radio, dans la continuité des passages les plus weird et habités de For All The Beautiful People, avant de calmer le jeu mais pas l’intensité sur les fabuleux Please Pardon Me et From Sea To Shining Sea. Mais... une pirouette délicatement bruitiste (The Reason We Got Named) et voilà que l’album se met à tirer sur l’atonalité, à coups d’électronique et de synthés discordants puis dans une veine plus ouvertement expérimentale à l’entame du drogué We Know You Know We Know dont les nappes rétro-futuristes ouvrent pourtant sur une ballade comme on n’en fait plus, capable de coller des frissons au plus blasé des nostalgiques de Gastr Del Sol comme de Grandaddy."


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23. Pharmakon - Bestial Burden (Sacred Bones)


"Du lourd, du glauque, de l’asphyxiant, des vociférations de harpie névrotique et une tension de tous les instants, tant dans les pulsations industrielles ou tribales que dans les saturations synthétiques dont elles soutiennent les radiations mortifères et flippantes... c’est désormais une évidence, Margaret Chardiet ne va pas bien. Composé au sortir d’une lourde opération chirurgicale, Bestial Burden semble refléter une angoisse panique à l’idée de perdre son intégrité physique. On se souvient des titres des morceaux du premier album évoquant douleur (Ache), blessures (Crawling On Bruised Knees), défiguration (Pitted) et autres fardeaux à porter (It Hangs Heavy) qui donnent également son nom à cette suite, cette fois c’est une respiration haletante d’asthmatique en pleine crise qui ouvre le disque avec Vacuum, cette toux convulsive qui vire à l’étouffement sur Primitive Struggle, la référence du terrifiant Autoimmune aux maladies du même nom où notre propre corps s’autocannibalise ou encore le titre Body Betrays Itself, tout aussi explicite dans ses tourments rageurs sur fond de martèlements martiaux et de nappes malfaisantes."


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22. Matthew Collings - Silence Is A Rhythm Too (Denovali)


"Le silence moteur d’intensité, voici ce que vise ce second long format de celui dont on avait pu mesurer le talent sur EP au côté de Talvihorros puis de Dag Rosenqvist (Jasper TX, From the Mouth of The Sun). Cette harmonie aussi fragile qu’incandescente, l’Écossais en capte justement les vacillements ambivalents tout au long de ce bien-nommé Silence Is A Rhythm Too, dont le magnétisme tantôt mélancolique ou menaçant flirte sans complexe avec les plus belles réussites d’un Ben Frost pour cette capacité à doter le moindre craquement d’un impact viscéral démultiplié par la pesanteur du vide qui l’entoure. Si ses incursions pop limitaient dangereusement l’ampleur de Splintered Instruments, le retour au "tout instrumental" de ce nouvel opus trouve un équilibre parfait dans la tension contrastée d’une acoustique baroque (cordes, vents, piano...) que le musicien soumet aux frictions hostiles des saturations noise ambient et autres agrégats rythmiques (du clappement de mains au beat électronique), la dynamique naissant des respirations même de l’instrumentation."


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21. Nereus - Exegesis (CRL Studios)


"Concentré de textures malaisantes et de pulsions épileptiques dont la dimension cathartique est mise en exergue sur la page Bandcamp de Keldrick Brown par une citation du roman L’étranger, le chaos des beats implosifs que l’Américain tente de dompter dès l’entame de ce successeur d’un Course Correction déjà fortement attiré par la cosmogonie n’est qu’une porte ouverte sur l’infiniment grand, évoquant ces pluies de météores dont le pouvoir de destruction est proportionnel au peu d’incidence qu’elles auront sur l’expansion de l’univers. Sur Exegesis, malgré la violence et la vélocité des rythmiques en roue libre, on est ainsi plus proche des pulsations stellaires de matière noire faussement déstructurées d’un Access To Arasaka (Written In The Blackness Behind The Stars) que des aboiements de chien fou du breakcore, la radicalité des déferlantes tachycardiques contrastant avec la cinétique immuable des astres et des trous noirs aux radiations obscures."


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