Entretiens à Twin Peaks : #58 - mr.teddybear

Retrouvez chaque semaine dans nos pages les interviews de quelques-uns des contributeurs à la future compil’ Twin Peaks d’IRM. Metteur en son des grandes heures sombres et cinématographiques de Psykick Lyrikah, notre invité d’aujourd’hui n’a d’ours en peluche que le nom et de hip-hop que le background, partagé aujourd’hui entre le sound design professionnel en tant que ant., la composition de bandes originales de films, de courts métrages ou de jeux vidéo à la croisée de l’électronica et de l’ambient, avec un penchant tout particulier pour le genre de fantasmagories qui laissaient augurer d’une passion du Nantais pour l’univers lynchien qui nous occupe ici.

En témoignent notamment l’excellent Music For Video Games et les EPs qui ont suivi ou encore ce score pour une version muette dAlice au Pays des Merveilles datée du début du siècle dernier :



... et l’on ne s’y est pas trompé en conviant Antoine Piron à notre projet IRMxTP, jugez-en plutôt par l’érudition dont fait preuve le musicien lorsqu’il est question de Twin Peaks et son auteur David Lynch dont il assume pleinement l’inspiration.


L’interview



IRM : Comment résumerais-tu ton rapport à Twin Peaks ? A l’univers de Lynch en général ?

mr.teddybear : David Lynch est un mentor, autant artistique que dans la vie en général. Même si je n’adhère pas forcément à son délire de méditation transcendantale, son livre Mon Histoire Vraie est rempli de considérations qui me parlent et me touchent. La méthode générale du personnage et son respect pour le personnage artistique sont des modèles pour moi.
Avant ça, à vrai dire, j’ai découvert Lynch par petites touches. Les premières étaient Twin Peaks dans les dernières années de la 5 (la chaîne de TV). J’étais tout petit et j’en ai des souvenirs très vagues : seulement les scènes oniriques avec Bob et la Red Room aussi. Ça m’a bien marqué. J’ai redécouvert Lynch avec Lost Highway, et finalement Twin Peaks encore plus tard. J’ai alors bien compris les thèmes adultes qui m’échappaient quand j’étais petit.
Pour être tout à fait honnête, je pense devoir autant à Lynch qu’à son compositeur Angelo Badalamenti. J’ai longtemps écouté la BO de Twin Peaks sans avoir vu vraiment la série avec des préférences pour le thème de Laura Palmer, Night Life in Twin Peaks et le Love Theme from Twin Peaks (plages 2 , 8 et 10 sur la BO). Et plus généralement, je trouve Lynch meilleur quand il n’essaie pas d’être comme les autres. C’est là quInland Empire est vraiment un très bon truc, Mulholland Drive aussi, où il reprend les billes d’une série arrêtée en cours de route pour en faire son film. Ça dit bien tout le temps et la maturité qu’il faut pour faire la part des choses entre l’influence de l’extérieur et la nécessité de ne pas ruiner ce qu’on a dans la tête juste dans le but de plaire au plus grand nombre. C’est un homme assez courageux finalement.

Ton personnage préféré dans la série ?

Beaucoup de personnages de l’arc Laura Palmer sont fascinants. J’ai un faible pour le héros Dale Cooper, à la fois en tant que double de David Lynch et de ce qui reste de lui à la fin de la série. Je suis d’ailleurs bien curieux de ce que Lynch et Frost auront à dire sur lui. On a du mal à situer son rôle : héros ou prophète mystique ? Est-ce que c’est la curiosité, sa fragilité, ou son propre contrôle sur lui-même qui finit par le perdre en se confrontant à cette partie de lui-même qu’il refoule ?

Une scène qui t’a particulièrement touché... ou fait flipper ?

Comme tout le monde : les scènes avec Bob forcément, et la scène de son départ de Leland au commissariat quand il énonce la fameuse formule "Fire Walk With Me". Moment très fort de cette série, puisque justement son départ coïncide un peu avec ce qui est advenu de la série après ça : une coquille un peu vide.



Tu as enregistré un morceau pour notre future compilation Twin Peaks, quel aspect de la série t’a inspiré ? Toute anecdote est bienvenue !

Faire un morceau sur Twin Peaks, c’est déjà un bon prétexte pour sampler une de mes scènes préférées : celle où Dale Cooper se fait tirer dessus à l’entrée de sa chambre. Pas facile à placer hors contexte et pas facile à couper non plus ! C’est un morceau qui imagine Bob dans le corps de Dale Cooper, enfin libre, avec un accès aux grandes villes et plein de nouvelles proies potentielles. Il faudrait l’imaginer marcher dans des rues animées avec un regard de prédateur.
Pour la petite histoire, j’ai rencontré Grantby il y a quelques années en Angleterre. On a beaucoup parlé et échangé quelques samples. Sa rencontre m’a incité à évoquer de nouvelles choses dans mes morceaux, et aller plus loin que la mélancolie. Honnêtement, sans cette rencontre, je n’aurais probablement pas pu faire ce morceau tel qu’il est. Donc c’est un double hommage en quelque sorte.

Tu as eu vent de quelques-uns des musiciens impliqués dans ce projet. Duquel es-tu le plus curieux d’entendre la contribution ?

Kung Lao parce que je suis toujours curieux de ce qu’un beatmaker plus généraliste peut produire à la rencontre d’un univers plus sombre. Et David Shea, évidemment, que je suis depuis bien longtemps. Pour moi, c’est votre tête de gondole. Il a produit des choses très narratives comme The Tower of Mirrors. Bon il est vrai que je ne connais pas grand-chose de qui fait quoi aujourd’hui. Mais ces deux-là, j’ai bien hâte de savoir.



Un album vers lequel tu reviens quand il te faut ta dose de Garmonbozia ?

Ha, j’ai plus besoin d’énergie positive que de négative donc je ne me tourne pas souvent de ce côté-là. J’ai un peu tout lâché dans Psykick Lyrikah. Ceci étant dit, j’ai toujours beaucoup de plaisir à explorer de bons films d’horreur comme Shining, où plus récemment The Conjuring 1. J’ai très hâte du remake de Ça qui pourrait être bon finalement. Et puis mes propres fondamentaux : Lovecraft et Lewis Carroll (dont le monde intérieur n’est pas si rose). Dans une certaine mesure Stephen King aussi a écrit des choses vraiment dérangeantes comme dans Simetierre.

Ta dernière sortie en date, c’était l’OST du jeu vidéo Welcome Back, December en mai 2016, un exercice dans lequel tu excelles depuis le très beau Music For Video Games de 2013 chroniqué à l’époque dans nos pages. De nouveaux projets sur les rails ?

Je n’ai rien en cours de sérieux, non. C’est un peu la léthargie, et mon boulot dans la vraie vie ne me laisse pas beaucoup de temps. Néanmoins, je continue à prendre des notes régulièrement et faire des maquettes à mon rythme. J’ai toujours un rapport assez imprévisible à la production donc je ne m’en fais pas. Quand j’ai besoin d’un modèle de cohérence artistique, je me tourne vers The Caretaker, toujours une bonne source d’inspiration.




mr.teddybear sur Bandcamp / Site Officiel / Facebook / Twitter




English translation



IRM : How would you describe your relationship with Twin Peaks ? With the work/world of David Lynch in general ?

mr.teddybear : David Lynch is a mentor for me, as far as both art and life in general are concerned. I don’t particularly buy his transcendental meditation thing but still, his book Catching the Big Fish is filled with considerations that feel close to me and move me. The general method of the character and his respect for the artistic persona are inspiring to me.
Before that, I’d only discovered Lynch little by little. First with Twin Peaks on France’s "La 5" TV channel. I was very little and I have only vague memories of it : I only remember the dream sequences with Bob, and the Red Room as well. They really impressed me. I rediscovered Lynch’s work through Lost Highway, and finally, later, Twin Peaks again. That was when I understood all the adult themes that had eluded me as a child.
To be perfectly honest, I think I owe as much to Lynch’s composer Angelo Badalamenti as to the filmmaker himself. For a long time, I listened to Twin Peaks’ soundtrack without watching the series. My favourite tracks were Laura Palmer’s Theme, Night Life in Twin Peaks and Love Theme from Twin Peaks. Generally speaking, I think Lynch is at his best when he’s not trying to be like everybody else. That’s why I think Inland Empire and Mulholland Drive - an aborted series pilot made into a full feature - are really good. It really is a good testimony as to how much time and maturity it takes to sort everything out, between the influences from outside and the necessity to preserve your views from the need to please the general public. He’s quite a brave man actually.

Your favorite character in the series ?

A lot of characters from the Laura Palmer storyarc are fascinating. I have a weak spot for the hero, Dale Cooper - both as Lynch’s doppelgänger and what’s left of him at the end of the series. I’m actually quite eager to know what Lynch and Frost will have to say about him. His part is quite hard to define : is he a hero ? A mystical prophet ? Does he get lost in his repressed other self because of his curiosity, his frailty, or his self-control ?



A scene that particularly moved - or scared - you ?

Like everybody else : the Bob sequences of course, and the scene when he leaves Leland at the police station and states his famed "Fire Walk With Me" quote. A very strong moment in the series, coinciding with what the series became right after that moment : sort of an empty shell.

You recorded a track for our forthcoming Twin Peaks compilation, what aspect of the series inspired you ? Any anecdote about that ?

Writing a track about Twin Peaks is already enough of a good pretext to sample one of my favourite sequences : the one when Dale Cooper gets shot at his hotel room door. Not an easy one to place out of context, and not an easy one to cut either ! Mine is a track that tries to picture Bob In Dale Cooper’s body, free at last, with access to the big cities and plenty of new potential preys. Picture him walking in crowded streets, with his predator stare.
For the record, I met Grantby a few years ago in England. We talked a lot, and shared a few samples. This meeting has encouraged me to evoke new directions in my tracks, and to look beyond melancholy. Honestly, without this encounter, I probably wouldn’t have been able to produce the track as it is. It is therefore kind of a double homage.



You heard about some of the musicians involved in this project. Which one are you the most curious to hear the contribution from ?

Kung Lao, because I’m always eager to know what a more "general" beatmaker is going to produce when he has to encounter a darker universe. And David Shea of course, whom I’ve been listening to for quite some time now. He’s your headliner as far as I’m concerned. He’s produced very narrative tracks, as in The Tower of Mirrors. To be honest, I don’t know much about who’s doing what nowadays. But I’m really curious to hear from those two.

An album you often listen to when you need all your Garmonbozia ?

Ha ! I’m in need of positive energy rather than negative, so I don’t often go for these sensations. I sort of let it all out with Psykick Lyrikah. That said, I still have a lot of pleasure exploring horror classics like The Shining, or more recently The Conjuring. I can’t wait for the It remake - it eventually could end up being good. Other than those, my basics are Lovecraft and Lewis Carroll (whose inside world is not as innocent as you might think). I think that, to a lower extent, Stephen King has written some really disturbing things, e.g. Pet Sematary.

Your last release was the Welcome Back, December videogame soundtrack last May. It’s a type of work you’re brilliant at, since 2013’s splendid Music for Video Games which we reviewed back in the day. Do you have any new project on the way ?

I don’t have anything serious in progress. I’m a bit lethargic, and my real life job doesn’t leave me much time. I still regularly take notes and record demos at my own pace. I’ve always had an unpredictable relationship to production, therefore I’m not worried. When I need a model in artistic coherence, I look up to The Caretaker - always an excellent source of inspiration.







Un grand merci à mr.teddybear. Son morceau intitulé Being Bob paraîtra sur notre compilation Twin Peaks plus tard dans l’année.


Interviews - 12.05.2017 par Norman Bates, RabbitInYourHeadlights


Playlist IRM #7 - 'IRM x TP - une introduction en 20 titres' par Rabbit

Maintenant que la publication de la compilation fleuve d’IRM consacrée à Twin Peaks est terminée (la sortie du volume 15 hier ayant mis un point final au projet... ou est-ce vraiment le cas ?... "see you again in 25 years" comme dirait l’autre), chacun dans l’équipe a ses petits favoris et on parie que vous aussi. Sans plus de commentaires, et (...)