Le streaming du jour #1710 : Lomostatic - ’s/t’
En cette fin d’année 2017, Ray Borneo est particulièrement productif. Des ambiances cosmiques du projet Tara King Th. au post-punk de 8 en passant par ce qu’il considère comme du charleston-garage avec le projet Bee Tricks, son actualité était déjà chargée en ce dernier semestre.
Mais le Français ne s’est pas arrêté là. A ce charmant cocktail manquait le nectar. Le projet qui saurait associer sa facilité déconcertante à composer des instrumentations hypnotico-pugnaces à la verve d’une brochette d’invités révoltés, débitant les punchlines comme certains tirent les balles. En respectant les précautions nécessaires à la survie mais sans précaution démesurée pour son prochain.
Olivier Depardon, Jull, Gontard, Bleu Russe et Ginger Man ont donc rejoint Ray Borneo aka Arnaud Boyer durant un weekend passé au bord du lac de Paladru en Isère. Au programme, des moments de plaisir partagés, mais surtout des ateliers d’écriture et l’enregistrement des quinze pistes qui constituent ce disque homonyme de Lomostatic faisant suite à un Sequence 02 enregistré en 2014 et sur lequel Olivier Depardon exposait déjà sa rage mélancolique sur quatre des onze titres.
Sur ce second long-format homonyme, Ray Borneo assume de plus en plus son attrait pour le hip-hop. Si les instrumentations revêtent toujours un caractère abstract s’appuyant sur des beats abrasifs et des saturations électriques, les invités délaissent toute tentative de chant pour distiller des spoken words enflammés et clairvoyants dans tous les contextes puisqu’ils peuvent même se faire nyctalopes sur un titre homonyme au pessimisme évident ("Tout rater, c’est comme le vélo, ça s’oublie pas").
Sans paraître décousu, l’hétérogénéité des supports condamne forcément Lomostatic à une paire de passes moins inspirées comme sur ce C’Etait Qui un poil trop saturé sur lequel les cinq voix s’associent. Ceux qui se donnent pour objectif de "chroniquer les naufrages" se rattrapent néanmoins avec un Roman-Photo 3 Point Zéro qui fait figure de sommet. L’instrumentation est percutante bien qu’elle s’articule autour de moyens resserrés, et la verve des invités revêt un caractère épileptique dissimulant mal quelques névroses assumées.
Certains s’interrogeront sur la facilité de la démarche visant, en 2017, à dénoncer le "streaming Hanouna" comme sur ce Syndrome Streaming, quand d’autres la justifieront en évoquant une nécessité aussi absolue que les cris de révolte contre le Front National dans les années 90.
Au-delà de ces quelques réserves, Lomostatic est percutant et distribue les uppercuts de manière aussi rapide et envahissante que le défilement des publicités dans ce monde de plus en plus numérique et sclérosé. Ainsi, La Politique C’Est Potemkine compare les bassesses et trahisons de ceux qui nous dirigent à la mutinerie du célèbre cuirassé russe sur des afflux électriques embrasés par le flow imparable et désabusé d’un Gontard également au sommet de son art sur un Brico Dépôt éthéré et caustique.
Toujours politique, un sample de Jean-Paul Sartre au micro de Jacques Chancel en 1973 rythme les effluves synthétiques distordus et minimalistes de La Liberté en expliquant notamment que "la solution est de travailler à créer des rassemblements qui soient des démocraties directes".
Cette volonté exposée de libérer les masses laisse place aux Rêveries finales, magnifique déambulation sonore sur laquelle Jull et Gontard ajoutent un caractère plus mélodique qu’à l’accoutumée à leurs flows respectifs sur une instrumentation hypnotique. Ils achèvent ainsi de la plus belle des manières cette vision acerbe d’un monde déliquescent dessinée lors d’une retraite au bord d’un lac s’étendant sur un simple weekend. Et si l’économie de temps et de moyens constituait le meilleur des antidotes face à la surenchère géopolitique contemporaine ?
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